Une noisette, un livre
Belle-Amie
Harold Cobert
Bel-Ami,
réveille-toi, tu es revenu parmi les nôtres pour réaliser ton objectif, ton
rêve prémédité, peut-être ton seul but dans la vie : avoir le pouvoir,
avoir la reconnaissance universelle, écraser les faibles pour atteindre
l’Olympe des puissants, jouer de tes amis, de tes amours, utiliser les plus
vils stratèges politiques pour accéder, non pas aux couloirs du pouvoir, mais
aux fauteuils les plus glorieux.
Peu
importe les méthodes, l’hypocrisie est ta marque de fabrique, l’égoïsme ton
pilier, et les femmes un désir de chair et un moyen de flirter avec le luxe des
parvenus. Au diable les principes, au diable l’intégrité, au diable l’amour, ta
volupté est de caresser l’argent avec quelques plaisants chatouillements. Mais
prends garde à toi Georges Du Roy, tu peux finir comme Narcisse, Icare, te
brûler à force de te regarder et admirer ta réussite…
Autant
le dire de suite, Harold Cobert réalise un véritable tour de force littéraire,
tout porte à croire que, depuis le paradis des écrivains, l’âme de Guy de
Maupassant est venue se poser sur la plume de l’auteur pour tisser une toile
scripturale.
Car
c’est tout de même une gageure que de vouloir continuer une fresque classique
sans jamais trahir le géniteur et savoir respecter à la lettre la marque
originale. En y apportant toutefois une étrange modernité, comme si l’histoire
n’était qu’un miroir à facettes qui se réfléchit à travers les époques.
Il
faut, avouons-le, un certain génie pour oser glisser « le monopole du
cœur » au sein d’un affrontement électoral de la fin du XIX° siècle et
être sacrément judicieux pour intercaler en toute discrétion le personnage de
Don Giovanni…
Autre
noisette gustative, celle de n’être jamais rassasié, de savourer chaque page en
se pourléchant d’avance pour les suivantes, aucune longueur grâce à des petits
digestifs coquins qui ne font que renforcer l’intrigue. Avec comme invité
d’honneur, la parfaite palette des êtres ambitieux et perfides qui, sous
couvert d’humanité, profitent d’un drame pour se fabriquer une notoriété et
recevoir des acclamations. Et là, encore, aucune échelle dans le temps pour les
graduer…
Une
belle opportunité pour faire revivre cette écriture du siècle des Maupassant,
Dumas, Hugo, Baudelaire, Stendhal… et qui prouve que les époques ne doivent pas
s’opposer mais au contraire former un palimpseste infini.
Belle-Amie,
délicieusement désuet, singulièrement moderne.
« En politique, la
colère ou l’emportement, lorsqu’ils ne sont pas feints et contrôlés, sont de
mauvais conseillers ».
« Il emprunta
l’entrée réservée aux représentants de la nation et non celle dévolue aux
journalistes ou au tout-venant du peuple. La solennité et la majesté du lieu,
la beauté de la pierre et la magnificence du marbre s’accordaient à l’idée
qu’il se faisait de son importance. Il marchait d’un pas sentencieux, les
jambes ouvertes, martelant le sol de ses talons, le menton haut, le torse en
avant, bombé de lui-même et de son succès, une attitude de guerrier victorieux
arpentant un territoire conquis de haute lutte ».
« Courtisé par
tous, ne se donnant à aucun, ne promettant jamais rien à personne et laissant
pourtant chacun espérer, il ne comptait plus les invitations aux dîners en
ville triés sur le volet, les marques d’intérêt et d’amitié qu’on lui
témoignait à grands renforts de cadeaux ou d’avantages en nature. A ce jeu de
dupes, Du Roy n’était pas plus crédule que ceux dont il recevait la
complaisance, mais il avait tellement attendu et espéré sa position d’aujourd’hui
qu’il était bien résolu à en user et en abuser, à prendre lui aussi sa part de
fortune que tout ce joli petit monde hypocrite se partageait sans vergogne
aucune ».
Belle-Amie – Harold
Cobert – Editions Les Escales – Janvier 2019
Livre lu dans le cadre
du Prix Orange du Livre et finaliste pour l’édition 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire