mardi 14 mai 2019


Une noisette, un livre


 Belle-Amie

Harold Cobert




Bel-Ami, réveille-toi, tu es revenu parmi les nôtres pour réaliser ton objectif, ton rêve prémédité, peut-être ton seul but dans la vie : avoir le pouvoir, avoir la reconnaissance universelle, écraser les faibles pour atteindre l’Olympe des puissants, jouer de tes amis, de tes amours, utiliser les plus vils stratèges politiques pour accéder, non pas aux couloirs du pouvoir, mais aux fauteuils les plus glorieux.
Peu importe les méthodes, l’hypocrisie est ta marque de fabrique, l’égoïsme ton pilier, et les femmes un désir de chair et un moyen de flirter avec le luxe des parvenus. Au diable les principes, au diable l’intégrité, au diable l’amour, ta volupté est de caresser l’argent avec quelques plaisants chatouillements. Mais prends garde à toi Georges Du Roy, tu peux finir comme Narcisse, Icare, te brûler à force de te regarder et admirer ta réussite…

Autant le dire de suite, Harold Cobert réalise un véritable tour de force littéraire, tout porte à croire que, depuis le paradis des écrivains, l’âme de Guy de Maupassant est venue se poser sur la plume de l’auteur pour tisser une toile scripturale.
Car c’est tout de même une gageure que de vouloir continuer une fresque classique sans jamais trahir le géniteur et savoir respecter à la lettre la marque originale. En y apportant toutefois une étrange modernité, comme si l’histoire n’était qu’un miroir à facettes qui se réfléchit à travers les époques.
Il faut, avouons-le, un certain génie pour oser glisser « le monopole du cœur » au sein d’un affrontement électoral de la fin du XIX° siècle et être sacrément judicieux pour intercaler en toute discrétion le personnage de Don Giovanni…

Autre noisette gustative, celle de n’être jamais rassasié, de savourer chaque page en se pourléchant d’avance pour les suivantes, aucune longueur grâce à des petits digestifs coquins qui ne font que renforcer l’intrigue. Avec comme invité d’honneur, la parfaite palette des êtres ambitieux et perfides qui, sous couvert d’humanité, profitent d’un drame pour se fabriquer une notoriété et recevoir des acclamations. Et là, encore, aucune échelle dans le temps pour les graduer…

Une belle opportunité pour faire revivre cette écriture du siècle des Maupassant, Dumas, Hugo, Baudelaire, Stendhal… et qui prouve que les époques ne doivent pas s’opposer mais au contraire former un palimpseste infini.

Belle-Amie, délicieusement désuet, singulièrement moderne.

« En politique, la colère ou l’emportement, lorsqu’ils ne sont pas feints et contrôlés, sont de mauvais conseillers ».

« Il emprunta l’entrée réservée aux représentants de la nation et non celle dévolue aux journalistes ou au tout-venant du peuple. La solennité et la majesté du lieu, la beauté de la pierre et la magnificence du marbre s’accordaient à l’idée qu’il se faisait de son importance. Il marchait d’un pas sentencieux, les jambes ouvertes, martelant le sol de ses talons, le menton haut, le torse en avant, bombé de lui-même et de son succès, une attitude de guerrier victorieux arpentant un territoire conquis de haute lutte ».

« Courtisé par tous, ne se donnant à aucun, ne promettant jamais rien à personne et laissant pourtant chacun espérer, il ne comptait plus les invitations aux dîners en ville triés sur le volet, les marques d’intérêt et d’amitié qu’on lui témoignait à grands renforts de cadeaux ou d’avantages en nature. A ce jeu de dupes, Du Roy n’était pas plus crédule que ceux dont il recevait la complaisance, mais il avait tellement attendu et espéré sa position d’aujourd’hui qu’il était bien résolu à en user et en abuser, à prendre lui aussi sa part de fortune que tout ce joli petit monde hypocrite se partageait sans vergogne aucune ».

Belle-Amie – Harold Cobert – Editions Les Escales – Janvier 2019

Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre et finaliste pour l’édition 2019







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