samedi 28 mai 2022

 

Une noisette, un livre
 
Qu’est-ce que j’irai faire au paradis ?
Walid Hajar Rachedi

 


Si le titre laisse dans l’expectative, le déroulé de ce roman n’éveille aucun doute : c’est brut, réaliste, piquant, tragique, avec une fin en terrible gifle !

Malek est issu de cette banlieue parisienne symbole du désœuvrement et des peuples oubliés même si de vaillantes âmes locales essaient de stopper la spirale infernale du chômage, de la pauvreté et du banditisme. Lors d’un séjour dans le nord de la France chez son cousin Ali, il est marqué par sa rencontre avec Atiq, un jeune refugié afghan à la recherche de son frère qui s’est évadé d’une prison tenue par les Américains lors de la prise de Kaboul aux Taliban. Il décide de partir dans une quête indéfinissable qui va l’entraîner à Madrid, Séville, Grenade, Oran, Tanger… le long fil d’une culture arabe. En Espagne, le hasard le mène à plusieurs reprises dans les pas d’une jeune britannique aussi flamboyante que sa chevelure. Il en tombe amoureux surtout qu’elle aussi, recherche un proche : son père a disparu lors d’une énième mission humanitaire sur le sol afghan. Et ainsi de suite…

Un premier roman parfaitement maîtrisé qui entraîne le lecteur dans le labyrinthe de la géopolitique et des errements du monde avec, comme toujours, des femmes et des hommes laissés dans l’injustice et qui peut mener au pire sur l'échelle des victimes innocentes. Comprendre l’incompréhensible pour expliquer sans juger ni tomber dans la spirale infernale du bien versus le mal et inversement.Sans oublier le "piège humanitaire" et là on retrouve le fameux essai de Jean-Christophe Rufin. 

Mais ce qui est encore le plus éloquent et courageux reste avant tout la base du livre : l’Afghanistan et son histoire récente, ce pays multiple aux prises entre un extrémisme religieux et l’invasion soviétique puis américaine pour des motifs différents mais avec un résultat tout aussi désastreux.

Narration dynamique, contenu extrêmement riche sans jamais être lourd, dialogues percutants et remarquablement bien adaptés selon les personnages font qu’il est impossible de lâcher ce roman et que l’on reste aphone lorsque la lecture s’achève en ce demandant « Qu’est-ce que le monde pourrait faire pour retarder l’entrée au paradis ? Et éviter de faire subir aux êtres l’enfer sur terre… »

« Le monde est une énigme que seul le voyage peut résoudre »

« En regardant cette belle eau couler sans entrave, j’avais une folle envie de croire qu’il avait pu exister un havre d’intelligence, de tolérance, d’harmonie. Mieux, j’en avais besoin. Un besoin vital de trouver une filiation avec ce qu’il y avait de meilleur en l’humanité, de trouver les traces de quelque chose de beau, de grand, de digne. Quelque chose qui donnerait un sens à cette vie ».

« Dans une guerre, personne n’est jamais neutre. Dans une guerre, la vie des uns et la mort des autres n’ont plus la même valeur ni la même signification ».

« Nous Afghans, n’avons eu pratiquement aucun mot à dire sur les décisions qui ont affecté notre pays, notre peuple depuis plus de vingt ans : avons-nous demandé aux Russes d’envahir notre pays ? Avons-nous demandé aux Américains de financer et d’armer les plus extrémistes des moudjahidines ? Avons-nous demandé aux services secrets pakistanais et saoudiens, à la CIA de soutenir l’émergence des talibans ? Avons-nous demandé que notre pays devienne le terrain d’entraînement des combattants d’Al-Qaida ? Monsieur Jeffrey, vous m’avez dit, une fois, que vous rêviez d’unité et d’un avenir meilleur pour l’Afghanistan et pour ses enfants. C’est un rêve que je partage  du plus profond de mon âme. Mais comment notre pays peut-il être uni ou œuvrer à un avenir meilleur pour les générations futures s’il est le jouet de puissances pour lesquelles nos vies n’ont aucune valeur ; dépossédé de son destin, ébranlé jusque dans son âme ? »

Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ? – Walid Hajar Rachedi – Éditions Emmanuelle Collas – Janvier 2022

Livre reçu et lu pour le Prix Orange du Livre – Finaliste 2022

jeudi 26 mai 2022

 

Une noisette, un livre
 
Portrait du baron d’Handrax
Bernard Quiriny

 


Si vous habitez le département de l’Allier ou pensez y séjourner, peut-être aurez vous la chance de croiser le fantôme de ce personnage haut en couleur et en finesse cérébrale. L’auteur a eu la chance de rencontrer ce baron haut perché par l’intermédiaire non prémédité d’un peintre illustrement inconnu, Henri Mouquin d’Handrax. Lors d’une visite du musée qui porte son nom, notre facétieux écrivain « s’amourache » de cet artiste et part à la rencontre de son petit-neveu, Archibald d’Handrax. La galerie de bons mots et de réparties croustillantes s’ouvre pour le plus grand plaisir du lecteur transporté dans un autre temps avec des pages respirant un charme désuet et parsemé d’humour.

Bernard Quiriny refuse de photographier les œuvres du peintre préférant les reproduire sur une toile. Excellent moyen pour s’introduire au château d’Archibald – enfin, châteaux au pluriel puisque l’intéressé ne sait même pas combien il en possède – et peu à peu se familiariser avec ce hobereau fantasque qui fait indéniablement penser à un Philippe Noiret avec voix identique s’il vous plait. Inclassable et libertaire, ses humeurs font sourire et ses opinions se fichent de la vox populi ou du politiquement correct ; entre une malle de souvenirs et un chemin faisant dans la bucolique province du Bourbonnais, chacun trouvera un trésor sur cette route livresque aussi cocasse qu’attendrissante.

Cours chapitres pour grands instants, plume sémillante pour histoire gouleyante comme un bon vin hors d’âge, ce roman est une ode à l’extravagance dans l’élégance. Quelques coquilles ont subsisté au "bon à tirer" mais, après tout, c’est peut-être une espièglerie de ce cher Archibald !

Truculement vôtre, 

Portrait du baron d’Handrax – Bernard Quiriny – Editions Rivages – Janvier 2022

Livre reçu et lu pour le Prix Orange du Livre / Finaliste 2022

lundi 9 mai 2022

 

Une noisette, un livre
 
L’Inconnue des archives
Emmanuelle Derossi


 

Roman Delcourt, un généalogiste pour qui la passion est une vocation, repère lors d’une exposition consacrée aux ducs de Bourgogne, la sculpture d’une jeune fille inconnue datant du XIV° siècle. Intrigué, il en fait part à son camarade de lycée François-Xavier Delorme directeur des collections du musée des Beaux-Arts où justement fut découvert le portrait lors d’une rénovation du site.

Cette femme est Philippa, fille de la poétesse Christine de Pizan. Alors que sa mère, veuve, doit affronter les affres du destin, la jeune fille est miraculeusement sollicitée pour exercer ses talents d’enlumineuse au palais ducal où elle côtoie le fameux sculpteur Claus Sluter et l’un des artistes de l’atelier, Côme. Mais son destin basculera quelques années plus tard, une naissance qui rappelle une rencontre secrète avec le comte Jean, le fameux Jean sans peur.

Si le tout début du roman peut sembler monotone, très vite le lecteur sera happé par ce récit où Emmanuelle Derossi déroule un fil d’Ariane entre présent et passé, entre notre XXI° siècle et l’aube du XV° en mettant en lumière deux femmes, mère et fille, à la fois artistes et empreintes de sororité. Où commence le conte, où s’arrête la vraie histoire ? Peu importe, la primo-romancière a posé son écriture après moult recherches sur cette poétesse du Moyen Âge – connue non seulement pour sa poésie mais aussi pour son rôle avant-gardiste féminin et ses piquantes lettres envers Le Roman de la rose – et de sa fille restée dans l’anonymat absolu, pour créer une rencontre avec cette époque des ducs de Bourgogne et de la conquête des Balkans par l’Empire ottoman.  

Agrémenté de quelques effluves italiens, la déambulation dans les rues de Dijon et  l’invitation de séjourner à Germolles sont des incitations à visiter ces lieux prestigieux et peut-être d’y croiser nos protagonistes flamboyants et l’âme de celles et ceux qui laissent une trace immortelle dans l’immensité du monde.

Seulet, seulette, tu ne le seras point en lisant ce roman,

L’Inconnue des archives – Emmanuelle Derossi – Editions Ex Œquo / Collection Hors Temps – Décembre 2021

 

 

jeudi 5 mai 2022

 

Une noisette, un livre
 
L’homme que je ne devais pas aimer
Agathe Ruga

 


Autant comme le titre suscitait la curiosité chez votre serviteur, autant comme l’histoire en partie autobiographique le faisait reculer de plusieurs sauts par simple lassitude de l’abondance d’autofictions. Pourtant, la lecture de ce deuxième roman d’Agathe Ruga est devenue un grignotage intensif.

Ariane a tout pour être heureuse : elle se consacre avec passion à la littérature, est mariée à un bel homme, a trois enfants épanouis et n’a pas de soucis financiers. Élevée dans une liberté totale, elle tient absolument au statut de femme émancipée. Soudain, sans savoir pourquoi et quelques mois après la naissance de sa troisième fille, elle tombe éperdument amoureuse d’un barman qui, a priori, n’a rien pour lui plaire. Pourtant, sa vie va basculer au risque qu’un Eros se brule les ailes. En parallèle, elle se remémore l’un des amants de sa mère et puise dans cette hérédité pour tenter de comprendre ce qui lui arrive.

Cette Ariane peut agacer, d’aucuns peuvent se mettre à la détester. Peu importe. Pour son Sandro elle est prête à faire n’importe quoi car elle se fout du monde entier tant qu’elle peut espérer frémir sous les mains de son amant. Et ce, et c’est important de le mentionner, sans que les enfants en souffrent grâce à l’amour de la mère qui reste en Ariane malgré parfois l’envie de tout abandonner.

Une narration bluffante pour ce roman très personnel qui dessine à la perfection le comportement d’une femme amoureuse et, tout simplement, comment un coup de foudre peut déverser des éclairs à chaque instant et déclencher un orage chronique dans une vie. Ne plus penser qu’à l’homme qui est entré en vous par un simple regard, une banale conversation, un geste anodin. S’ajoute à cette ode à l’amour l’héritage génétique et comment le passé peut ressurgir par un coup de boomerang

Impudique, cathartique, volcanique.

L’homme que je ne devais pas aimer – Agathe Ruga – Éditions Flammarion – Avril 2022

 

 

 

dimanche 1 mai 2022

 

En ce jour de 1er mai





Un peu d’immortalité dans le muguet puisque la tradition remonte au XVI° siècle sous Charles IX qui décida en 1561 d’offrir ces quelques fleurs pour porter chance. L’une des légendes raconte que le jeune roi avait reçu un brin de muguet du chevalier Louis de Girard de Maisonforte alors qu’il déambulait avec sa mère dans les allées d’un jardin dans le Dauphiné. Une autre version clame que c’est Catherine de Médicis qui avait reçu la brassée et avait pu la remettre intacte malgré les affres du voyage au jeune Charles à Fontainebleau. Quoi qu’il en soit,  charmé par ce présent bucolique, le souverain déclara maintes fois en offrant aux dames de la cour des clochettes blanches « Qu’il en soit fait ainsi chaque année ».

Pour illustrer cette renaissance annuelle, quoi de plus parlant que cette gravure sur cuivre d’Érasme réalisée, quelques années avant le début de l’ère du muguet, par Albrecht Dürer. Cette œuvre de 1526 imaginée en pleine révolution de l’imprimerie, exprime un profond humanisme dont Didier Érasme fut l’un des plus prodigieux chantres.

Comment ne pas penser au pouvoir naissant de la communication visuelle mais également à celui des mots par le mouvement de l’écriture, les livres déposés sur le bureau, l’inscription en latin et en grec « La plus forte image de lui, ses écrits le montreront » et… le bouquet avec quelques brins de muguet.

Deux symboles en ce jour.

Par le muguet, nous fêtons le retour des beaux jours, l’espoir du bonheur, la richesse de la vie sous les traits de l’élégance, la délicatesse et de la beauté si l’on se réfère au mythe d’Apollon qui nous rappelle la fragilité des choses.

Par Érasme, qui devrait être relu, réétudié de par le monde. Lui, prince des humanistes préférant le savoir à l’ignorance, la découverte à l’immobilisme, faisait l’éloge de l’éducation, intégrant la culture antique à la vie.

Encore une fois, Stefan Zweig avait tout compris « Ne vivant en sédentaire dans aucun pays, citoyen de tous, Erasme ce premier européen, ce premier cosmopolite conscient ne reconnaissait aucune prépondérance d’une nation sur une autre ».

 

Pacifiquement vôtre,

 

  Noisette savoyarde Col rouge Catherine Charrier   Savez-vous qui étaient ceux que l’on nommait les « Cols rouges » ? Les commiss...