Une noisette, un
livre
Pour l’amour de
Beyrouth
Ouvrage
collectif
4
août 2020. En pleine crise du Covid une ville légendaire va tressaillir
d’effroi : Beyrouth est soufflé en son cœur, encore une fois. Des
explosions gigantesques anéantissent le port en faisant plus de deux cents
morts et des milliers de blessés. Les images défilent sur nos écrans, les messages
de solidarité se multiplient ; quelques jours plus tard des reportages
montrent la formidable solidarité libanaise et les efforts des habitants pour
tenter de continuer à vivre, pour beaucoup à survivre dans une société où
l’économie a déjà broyé nombre de destins. Mais il en faut davantage à ce
peuple pour se déclarer vaincu. L’aide internationale s’organise, les
humanitaires apportent leur soutien, des volontaires viennent soulager corps et
âmes.
La
journaliste et écrivaine Sarah Briand vit et travaille
en France. Mais une partie d’elle se trouve au Pays du Cèdre, ayant foulé
depuis vingt-cinq ans ces terres orientales et, forcément, comment ne pas
rester imprégné des fragrances d’une culture prodigieuse. Face à l’urgence,
elle a convoqué trente-cinq personnalités qui ont accepté d’apporter leur
soutien en écrivant un texte inédit sur Beyrouth et son pays, le Liban. Des
témoignages divers, ceux qui y sont nés, ceux qui y sont allés, ceux qui en
sont partis. Acteurs, écrivains, musiciens, journalistes, poètes… des artistes.
Chacun dépose une pierre de mots, une pierre jetée dans l’immensité des
souvenirs, une pierre lancée pour qu’elle fasse des petits cailloux, des
cailloux à semer, les faire grandir, pour reconstruire. A chaque fois une
émotion perceptible dans la délicatesse des pages de l’écrit. Un hommage et un
formidable message d’espoir. Comme le souligne Sarah Briand « Le cœur de
Beyrouth a explosé » mais c’est la solidarité, la participation de loin ou
de près qui la fera « renaître une nouvelle fois de ses cendres ».
Pour
chaque témoignage, un extrait. Et de ces extraits, une invitation à la lecture
de ce livre qui, à chaque vente, contribuera à reverser deux euros à
l’association OFFRE JOIE.
Isabelle Adjani : Aucun
Libanais, aucune Libanaise ne veut vivre ni mourir martyr aux yeux du monde, et
moins encore à ses propres yeux
Fanny Ardant : Ce cèdre
que j’aimais sans savoir qu’il était le talisman d’un pays merveilleux.
Tahar Ben
Jelloun :
Quand je passe quelques jours à Beyrouth, je me sens chez moi. Je suis installé
dans un livre, sans doute un roman, un gros roman avec des personnages qui
quittent la réalité pour se remplir de mots et venir se poser devant vous au
moment du café du matin.
Bernie Bonvoisin : En ce
pays où la nature rime avec la beauté, c’est de nouveau l’heure de la douleur.
Une nouvelle aube sur des regards perdus, sur des êtres partis sans raison.
Renaud Capuçon : J’ai
confiance dans la capacité de ce peuple à se reconstruire et à créer les
conditions d’un avenir meilleur.
Patrick Chauvel : Après un
moment de stupeur, les Libanais sont descendus dans la rue et ont commencé à
s’entraider. Déterminés à reprendre en main leur pays, sans l’aide de leur
gouvernement, qui depuis des années ne cherche qu’à se maintenir en place au
détriment de la population, prise en otage depuis quarante-cinq ans par des
politiciens véreux qui jouent sur le vote identitaire.
Louis Chedid : Mon
Liban, c’est cet accent qui roulait des « rrrr » de ma chère maman
quand elle me lisait le poème qu’elle venait d’écrire.
Boris
Cyrulnik : Les Libanais sont aujourd’hui sur une crête étroite où ils
peuvent basculer d’un côté ou de l’autre pour une pichenette, un incident
mineur aux conséquences énormes.
Sophie Fontanel : On rêve
les choses. Une fois qu’elles sont écrites, elles existent, et je possède
presque une maison là-bas, sur cette côte abîmée par tant de choses.
Laurent Gaudé : Beyrouth
n’est pas morte, mais c’est cette phrase qui m’est venue à l’esprit lorsque
j’ai découvert les images de l’explosion. Aujourd’hui Beyrouth saigne, Beyrouth
pleure. Mais les Libanais vont voir ce qu’est Beyrouth. Ils vont le voir à
travers l’émotion de tous ceux qui – comme moi – sont passés par cette ville,
l’ont aimée et ont décidé qu’il y aura toujours un peu de leur cœur dans les
rues de Hamra ou d’Achrafieh.
Marie-Agnès
Gillot :
J’aime Beyrouth. J’aime le Liban. J’aime cet endroit, car il offre la liberté
d’un monde qui n’existe nulle part ailleurs. Et pour toute femme libre comme
j’aime l’être, Beyrouth est la ville où tout est possible.
Tania
Hadjithomas Mehanna :
Les rues qui pleurent, les murs qui reculent, les maisons qui se vident, les
larmes jamais loin. Dire que je n’ai jamais vu autant de mains tendues, de bras
serrés, de tristesses échangées dans une quintessence d’humanité qui serre les
dents face au désastre.
Alexandre Jardin : Les gens
sont venus. S’il y a la guerre demain, dansons ce soir ! Une émotion
colossale me saisit. Et si c’était cela, l’intelligence du cœur ? Savoir
fêter la vie, quoi qu’il arrive. Cette ville a le cœur intelligent.
Vénus
Khoury-Ghata :
Sourds-muets les murs, aveugles les fumées.
Dany Laferrière : Je me
souviens qu’après le tremblement de terre de Port-au-Prince tout ce que
j’attendais des gens, c’était un peu de tendresse. Aujourd’hui toute ma
tendresse ve vers Beyrouth.
Marc Lambron : Je reste
frappé d’une grande tristesse, comme une affliction familiale. La létalité
insidieuse d’un virus, la fulgurance tragique d’une explosion, ce pourrait être
vu par des déclinistes comme un prélude à l’Armageddon.
Jack Lang : Nous sommes en
2016, et je traverse les monts de la Bekaa. Les camps de réfugiés ont envahi
tes collines. Tu ne mouftes pas. A la différence de bien des grands pays
européens, tu ne t’insurges pas face à cette nouvelle vague migratoire. Tu
décides de leur ouvrir les bras. Faisant fi des quotas, tu les héberges, coûte
que coûte, avec les moyens du bord. Les réfugiés syriens représentent 30% de ta
population. L’expression « terre d’accueil » prends avec toi tout son
sens.
Yara Lapidus : Liban,
t’es mon refuge/Repère en plein déluge/T’es mon ancre ma racine/La plus douce
de mes épines/j’ai gravé dans du granit/Mes souvenirs en fuite/On riait sans
ceinture/A huit dans la voiture/De fous rires en éclats/En criant YAMAMA YAMAMA
J.M.G. Le Clézio : Cette
ville ancienne, à laquelle se rattachent tant d’éléments de l’histoire de
l’Europe et du monde entier, a su traverser les périodes les plus sombres avec
courage et détermination.
Amin Maalouf : Pour que
le Liban puisse/Cette fois encore, se remettre debout/Et relever ses murs, et
panser ses blessures/Qu’il sache surmonter sa détresse/Sa douleur et son
abattement/Qu’il sache triompher/De la férocité du monde/Et aussi de ses
propres démons. De notre havre millénaire devenu soudain/Un monument à la folie
des hommes/Et le temple de leur colère/Une prière vers le Ciel.
Charif Majdalani : Ce qui a
été réduit à néant le 4 août, c’est bien la créativité et la vitalité d’un
peuple, vitalité incarnée par ses artistes et ses créateurs et par leur désir
acharné, désespéré parfois, de continuer à exister et à faire exister ce pays à
travers l’art, la beauté et l’intelligence, et à travers un génie qui leur est
propre.
Diane Mazloum : Parce
qu’il y a eu ce témoignage d’une femme le soir à la télévision, qui racontait
qu’après la déflagration son fils l’avait appelée. Il était coincé sous les
décombres. Ils se sont parlé plusieurs fois, puis la batterie du portable du
jeune homme s’est vidée. La mère se retenait très fort pour ne pas pleurer
devant tout le monde, les lèvres tremblantes, elle disait qu’elle sentait que
son fils était encore en vie, qu’elle pouvait entendre les pulsations de son
cœur, que les secouristes allaient bientôt le retrouver. Il a été retrouvé le
lendemain matin, il
était mort.
Alexis Michalik : Je me
suis surpris à voir ici des églises cohabiter avec des mosquées. Je découvrais,
fasciné, cette sorte de melting-pot de langues, de religions, de rites, de
cultures, ce mélange aux accents orthodoxes, byzantins, arabes, perses,
chrétiens, musulmans, ce constant statu quo, jusque dans l’organisation du
gouvernement, cette acceptation désabusée d’une corruption généralisée, parce
que, après toutes ces guerres et ces destructions, il fallait vivre,
essentiellement, cet amour de la fête, des musiques qui me rappelaient les
complaintes grecques accompagnées d’un violon et d’un bouzouki, cet accueil de
l’étranger, ces origines si variées qui finiseent par se retrouver finalement,
autour de la table et d’une cigarette.
Kamal Mouzawak : Les
immeubles se sont effondrés, les maisons se sont éventrées, les pierres
entassées… Ce sont les Beyrouthins qui les ont construits à la base… et qui
pourront le faire encore… s’ils ont encore la foi. Le courage. Et la force de
refaire Beyrouth.
Alexandre Najjar : Il y a
des villes masculines et d’autres féminines. Beyrouth est une femme, de toute
évidence, comme celle qui porte le flambeau de la Liberté, comme celle qui,
dans le fameux tableau de Delacroix, guide la révolution. On dit que cette
ville a été détruite et reconstruite à sept reprises. C’est donc la huitième fois
qu’on la défigure. Mise à genoux, elle se relèvera, courageuse et digne, malgré
ses blessures et ses cicatrices…
Nahida Nakad : Depuis
l’effondrement économique et politique du Liban, suivi de l’explosion du port
de Beyrouth, une question me hante. Un pays peut-il mourir alors que son peuple
est toujours vivant ? Elle me hante parce que je sais que la réponse peut
être : oui. Les Kurdes, les Palestiniens, pour ne citer que les plus
proches de Beyrouth, n’ont pas ou plus de pays. D’autre part, il ya plus de Libanais à l’extérieur qu’à
l’intérieur (…) Beyrouth et les Libanais ont compris qu’ils ne pourront plus
s’en sortir tout seuls. Comme moi, ils ont peur que leur pays meure. Ils nous
appellent à l’aide, tendons-leur la main.
Christophe
Ono-Dit-Biot :
B comme Beyrouth et comme beauté d’une promesse de coexistence entre les
peuples, dans une ville mosaïque où les clochers carillonnent près des minarets
qui muezzinent, sans jamais réveiller les dormeurs phéniciens du Musée
National, bien bordés dans leurs sarcophages de marbre d’un blanc scintillant.
Soudain B comme Boum et B comme Blast, et Beyrouth, cette fois, vraiment à
l’envers, cherchant de nouveau sa route, son itinéraire bis, dans les gravats
d’un Orient devenu hiéroglyphique à force d’être compliqué. On voudrait être
là-bas pour lui tenir la main.
Maria Ousseimi : Beyrouth
est une vieille dame qui ne se fait aucune illusion et a oublié de se
construire, trop occupée à vivre/Beyrouth crée/Beyrouth vit/Beyrouth enfante
l’exil.
Katherine Pancol : Il est
interdit d’oublier le Liban. Interdit d’oublier ce qui est arrivé ce mardi 4
août 2020.
Patrick Poivre
d’Arvor :
Tout arbre, même blessé, même atrophié, peut repousser. C’est le destin du
Cèdre libanais. Et c’est celui d’un peuple que j’embrasse ici affectueusement.
Daniel Rondeau : Beyrouth
parle le français qui résiste, un français poétique, utilisant toutes les
nuances et les fantaisies de notre langue, qui permet à chacun d’entrer dans
des rêveries communes, de ne pas réduire le monde à des clichés ou à des clips,
ni la vie à la politique, ni la politique à la propagande.
Sylvia Rozelier : Beyrouth/Défigurée,
éventrée, détruite-reconstruite/Décomposée-réhabilitée-recomposée/Elle n’en
finit pas de mourir et de renaître/De perdre la mémoire.
Elie Sab : Enfant
de la guerre et d’un pays incertain, je connais mieux que quiconque cette force
qui nous vient quand on croit avoir tout perdu, insufflée par l’amour, qui
dicte de ne jamais abandonner ce que l’on aime.
Emanuele Scorcelletti : Ne pas oublier que l'équilibre est précaire entre sourire et tristesse et que tout peut basculer, si vite, si fort.
Jacques Weber : J’ai
connu Beyrouth en fin de guerre ; aux ruines des quartiers populaires ou
résidentiels on accrochait le linge, on battait les tapis et tendait des vélums
de fortune, parfois d’une façade éventrée on entendait la radio et la friture,
la maman qui grondait le petit… A Baalbek, le cèdre et l’olivier remuaient
encore dans les ruines de la cité sportive, des enfants chahutaient en riant.
Voilà ce qui me revient le cœur serré en pensant à Beyrouth et son pays, le
Liban.
Pour l’amour de
Beyrouth – Ouvrage collectif sous la direction de Sarah Briand – Editions
Fayard – Novembre 2020
Cette
chronique est longue. Pourtant, je ne peux m’empêcher de rajouter encore
quelques phrases. Elles viennent d’un poète, un romancier, un historien,
amoureux fou du Liban après son Voyage en Orient : Alphonse de Lamartine. En
1838, il entonnait un Chœur des cèdres du Liban.
« Aigles
qui passez sur nos têtes
Allez dire aux
vents déchaînés
Que nous défions
leurs tempêtes
Avec nos mâts
enracinés
Qu’ils montent,
ces tyrans de l’Onde
Que leur aile
s’amante et gronde
Pour assaillir
nos bras nerveux !
Allons !
leurs plus fougueux vertiges
Ne feront que
bercer nos tiges
Et que siffler
dans nos cheveux »