jeudi 27 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


L’archiviste

Alexandra Koszelyk

 


« N’apprend-on donc rien des leçons de la guerre ? »

Telle est la question que se pose Alexandra Koszelyk lorsque la Russie envahit l’Ukraine. Autrice remarquée pour ses deux premiers excellents romans, elle décide de prendre les armes : l’encre et la plume, les seules qui trouvent grâce à ses yeux, pour écrire une fable percutante sur ce mal qui ronge les hommes depuis la nuit des temps : la guerre.

K, l’héroïne, est archiviste dans une bibliothèque d’une ville ukrainienne détruite par la guerre. S’occupant le jour de sa mère mourante, elle passe ses nuits à tenter de sauvegarder le patrimoine qui a été placé en urgence dans le bâtiment. Elle ne compte pas ses heures, l’art est SA vie, l’art est LA mémoire d’une nation, d’un peuple. Mais tout vire au cauchemar lorsqu’elle reçoit la visite d’un étrange personnage, l’homme au chapeau qui lui ordonne de détruire ou de falsifier les œuvres d’art. Une réécriture de l’histoire en faveur de l’attaquant. Le tout sous la menace : la sœur jumelle de K, journaliste, étant aux mains de l’ennemi.

Le triste jeu du chat et de la souris commence, K est rongé par le travail à accomplir mais va imaginer un subterfuge pour détourner le saccage en cours. Curieusement, ce sont des ombres qui vont l’éclairer, la soutenir dans cette funeste farce. Mais jusqu’où ?

Un roman aux couleurs de l’Ukraine qui flamboient au fil des pages par un jeu de subtiles métaphores ; le jaune et le bleu se croisent et se recroisent aux carrefours des mots. Le personnage de K, guerrière de paix, permet d’évoquer les figures de la résistance ukrainienne au cours des siècles : Pavlo Tchoubynsky, Alla Horska, Lessia Oukraïnka, Taras Chevtchenko, et, les heures noires de l’histoire récente comme l’holodomor des années 30 ou la catastrophe de Tchernobyl.

Un livre incontournable et qui va au-delà du conflit ukrainien ; par extension, c’est un plaidoyer contre tous les conflits de par le monde, contre toutes les dérives pour assassiner une mémoire collective, contre celles et ceux qui veulent réécrire l’histoire ou/et modifier des écrits au nom d’une idéologie. Non seulement une réussite, mais une nécessité. Que dis-je, une urgence absolue ! 

« Parfois, des choses se passent de façon silencieuse, mais les historiens verront plus tard des évidences que personne ne perçoit pour le moment. Mon plan est de cet ordre. Il se passe tout en douceur. Mon but n’est donc pas de tout métamorphoser, nous ne sommes plus à l’ère de la propagande dictatoriale classique ! Ce temps est révolu. Non, j’ai dans l’idée que la nouvelle force de propagande est ailleurs. Elle réside dans ce manque d’unité : instiller le doute face à des œuvres plurielles. De ces variantes naîtra une hésitation. Je m’insère dans cette brèche ».

« Il s’en fallait toujours de peu pour que la guerre ne resurgisse. Elle était là, opportuniste, avec son visage terrifiant comparable à un abattoir où les yeux ne s’ouvrent jamais sur les réalités de la souffrance. Parmi toute cette horreur, il y avait eu ces jours où, fait prisonnier, il avait été attaché à un poteau, à la merci des autres qui l’invectivaient, lui crachaient à la figure mots et salive, le molestaient, écrasaient sur lui leurs cigarettes, non pas avec mépris, mais avec une haine indifférente aux supplications. Il n’oublierait ni ces jours, ni ces regards clairs. Les cicatrices ne sont pas que des boursouflures rouges et visibles ».

« Je n’aime ni les étiquettes, ni les frontières, même celles que je trace volontiers moi-même : ce ne sont que des carcans pour délimiter le monde, où la lumière n’entre pas ».

L’archiviste – Alexandra Koszelyk – Éditions Aux forges de Vulcain – Octobre 2022

jeudi 20 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


Le jardinier assassin

Hubert Loiseau

 


Après une vie de labeur commencée au plus jeune âge comme ouvrier agricole, Marcel Binet s’offre enfin un repos bien mérité dans sa petite maison de l’Indre qu’il a pu acquérir à force d’économies. Malgré un confort rudimentaire, il est chez lui et peut s’occuper à loisir de son jardin et profiter du calme champêtre. Jusqu’au jour où un certain Frappa achète un terrain pour mettre sa gigantesque meute de chiens de chasse. À quelques mètres de sa maison. Les craintes s’effacent lorsque ce nouveau propriétaire parait affable, construit un enclos et nourrit correctement ses chiens. Mais, flambeur invétéré il très rapidement aux abois : abandon des chiens, vols de matériel dans la grange du sieur Binet, cadavres d’animaux dégageant une odeur pestilentielle. Soutenu par le maire qui ne sait que faire malgré les alertes et par son voisin Pierre Chardonnet - ce dernier allant être victime à son tour de l’ostrogoth - Binet, pourtant exemplaire et citoyen au-dessus de tout soupçon, songe à prendre le fusil. Encouragé par Chardonnet.

La suite de l’histoire se joue dans les tribunaux et à la prison de Châteauroux. Elle est racontée par Monsieur le Juge. Un juge qui tente de comprendre, de ne pas surjouer sur la vox populi, de prendre son temps pour examiner tous les faits. À la cour d’assise les jurés complètent la magistrature. Un verdict est toujours une décision très lourde. Encore davantage lorsque la quasi-légitime défense se faufile même si le crime a été prémédité.

Hubert Loiseau, ancien magistrat, n’a pas écrit ce récit au hasard. Il s’est basé sur des faits réels pour les romancer et en faire un livre pédagogique. Expliquer comment fonctionnent la justice, la prison, comment réinsérer les condamnés, comment ne pas tomber dans l’instantané et le verbe, souvent haut, de ceux qui jugent sans connaître une seule ligne du dossier d’instruction. Réflexions personnelles font de ce roman un livre humain pour rendre la justice humaine.

Le jardinier assassin, querelle mortelle en Berry – Hubert Loiseau – Éditions La Bouinotte – Février 2023

mercredi 12 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


Herr Gable

Jean-Baptiste Lentéric

 


Mais quel roman ! Une plume et une imagination si brillantes que l’on ne sait plus quel est le vrai de vrai, le faux du faux, le vrai faux et le faux vrai. Jeu de pistes sur trame historique pour un résultat haut en péripéties tout en relatant la tragédie de la deuxième guerre mondiale en Europe avec l’ogre nazi.

Jean-Baptiste Lentéric s’est basé sur un fait réel : l’engagement de Clark Gable dans la U.S.Air Force après le décès de son épouse Carole Lombard et le souhait d’Hitler de capturer l’acteur pour le faire venir dans son Nid d’Aigle, tant il était secrètement fan du comédien. Ensuite, l’envie de mélanger personnages réels et fictifs va accroître en même temps le rocambolesque et le suspense tout en décrivant parfaitement les drames de cette guerre dévastatrice, le caractère ambigu de « Rhett Butler », les intrigues autour d’Hitler et le destin d’Éva Braun car le Berghof était un peu du genre mensonges, complots et stupéfiants !

Mais avant d’arriver à l’enlèvement du sieur Gable, le lecteur va pénétrer dans l’intimité de l’acteur et, en parallèle, dans celui d’Hitler. Avec celui qui vole la vedette à l’acteur américain : Florian Weiter, tireur d’élite de la Wehrmacht envoyé à la bataille de Stalingrad.

Malgré l’apparente légèreté de ton, l’auteur trace avec une vérité absolue les coulisses de cette guerre : pendant que les sbires nazis s’enfonçaient dans l’inénarrable barbarie, les alliés anéantissaient des milliers de vie en bombardant tous azimuts, peu importe les cibles. Tandis que sur le front Est, la douceur de vivre avait été rayée de la carte. Mention spéciale pour rappeler qui fut le créateur des premiers pas sur la lune…

Vous l’avez compris, ne pas lire Herr Gable serait une erreur.

Herr Gable – Jean-Baptiste Lentéric – Éditions Pocket – Juillet 2023

lundi 10 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


Celle qui s’aime enfin

Dominique Lagrou Sempere

 

« Vivre debout et plus jamais à genoux »

 


Toscane est une brillante violoniste, une virtuose. Elle persiste pourtant à croire qu’elle est une imposture dans le milieu musical. D’emblée, on s’attache à elle :

 « Toscane a grandi, sans rien dire, sans se faire remarquer, sans cette flagornerie tant prise en société. Toscane s’excuse presque des mots qu’elle prononce. Elle a la délicatesse et l’élégance de celles et ceux qui pensent d’abord aux autres avant d’agir, qui s’évertuent à trouver le mot juste par respect pour leur entourage, à contre-courant du mépris ambiant (…) Ne surtout pas se mettre en avant, pour ne pas éclipser la lumière des autres. Elle se met en retrait pour laisser de la place à ceux qui l’entourent, quitte à se déprécier parfois, à s’oublier souvent ».

Toscane a rencontré depuis longtemps Victor. Aussitôt, elle a eu l’impression d’être en face de son double : même comportement, même effacement, un passé à oublier. Une amitié très forte va les lier au-delà du travail, l’émoi prenant de l’ampleur. Mais comment franchir la barrière de plus en plus ténue entre l’amitié et l’amour ? Avec toujours cette crainte de décevoir cet homme « cuirassé » sous l’armure des sentiments. Progressivement, les garde-fous vont disparaître…

Ce premier roman de la journaliste grand reporter est un bijou de délicatesse, de tendresse. Le temps est suspendu dans cet envol vers l’amour et la reconstruction de deux êtres qui avaient du mal à s’affirmer dans la société, malgré leur succès. Les ombres s’éloignent, certaines devenant lumière, comme pour Rémy – un autre personnage - dont la renaissance va flamboyer.

Une ode à l’acceptation de soi – qualités et défauts – pour apprécier la vie et la partager. Subtiles références musicales et littéraires, jeux de mots pour panser les maux et anagrammes rythment cette partition livresque s’inscrivant dans le cœur des êtres. Merveilleux.

« L’or en soi, celui caché sous la poussière. Il suffit parfois de souffler sur la surface pour qu’il brille de nouveau ».

« Toscane a l’assurance de celles qui ont retrouvé leur dignité, cette fierté qui permet de rester encrée, alignée. Elle sait désormais ce qu’elle ne veut plus subir, ce qu’elle n’endurera plus jamais. Toscane est en paix avec elle-même ».

Celle qui s’aime enfin – Dominique Lagrou-Sempere – Éditions Flammarion – Mars 2023

 

 

samedi 8 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


L’alphabet du silence

Delphine Minoui

 


Comment une simple pétition pour la liberté d’un peuple peut conduire en prison ? Comment un pays peut sombrer progressivement vers une dictature ? Pourquoi un chef d’état, tendance autocratie, a-t-il autant besoin de placarder sa photo sur les murs des villes et d’ériger des statues à son effigie ? Comment ? Pourquoi ? Nombreuses questions, réponses diverses. Pour tenter d’y répondre, Delphine Minoui, grand reporter, emploie la fiction… jamais très loin de la réalité.

Ayla et Götkay sont tous deux professeurs et portent tout leur amour sur leur petite fille Deniz, surtout le papa. Si Ayla préfère préserver sa famille et une certaine tranquillité de vie, Götkay refuse de se taire et s’engage politiquement contre toutes les injustices de son pays. Il signe une pétition en faveur des Kurdes – bien que non vif défenseur de ce peuple car son père est tombé sous les balles de l’un des leurs – mais c’est la pétition de trop : il est jeté en prison et toute tentative de libération anticipée est synonyme de néant. Son épouse va alors prendre le relais et progressivement devenir militante. Pour son mari, pour sa fille, pour les personnes bâillonnées croisées sur son nouveau chemin de rébellion.

Après le sublime « Les passeurs de livres », Delphine Minoui signe un roman qui aurait pu s’appeler « Les passeurs de liberté ». Ses personnages sont plus vrais que nature et elle sait doser chaque pensée, chaque geste, chaque énergie, chaque désespoir, chaque révolte et… chaque espoir. Sa plume pose de la délicatesse sur la brutalité du monde et montre une tolérance absolue envers chacun, excepté les ogres assoiffés de barbarie. Une fine analyse de la situation en Turquie et de son histoire permet de renforcer la plus-value géopolitique du roman, un roman incontournable non seulement par l’émotion qu’il dégage mais aussi par la force extraordinaire des mots pour traduire le refus de sombrer dans les ténèbres, quitte à s’enfoncer parfois dans l’obscurité pour retrouver la lumière.

L’alphabet du silence – Delphine Minoui – Éditions L’Iconoclaste – Avril 2023

lundi 3 juillet 2023

 

Une noisette, un livre


Mortelle envolée

Pierre Mangin

 


Le monde de la littérature est en émoi suite à une « Envolée des livres » qui sombre dans une épidémie criminelle : en moins de quarante-huit heures, plusieurs morts violentes frappent des écrivains présents au prestigieux salon annuel du livre de Châteauroux. Aucun lien ne lie les victimes, excepté l’écriture et qu’elles sont méprisées par le Président de l’édition en cours : Ambroise Gâtefin, un écrivain sur le retour, imbus de sa personne et pestant contre tous les « plumitifs », « ces pisse-copies sans envergure qui encombrent les librairies de leurs romans sans âme », voyez le genre !

Pour que la sauce prenne bien, d’autres écrivains peuplent le roman, à commencer par Antoine Levorgne, hébergé depuis plusieurs années à la Maison Centrale de Saint-Maur et qui bénéficie d’une sortie pour présenter son livre écrit derrière les barreaux. Pour l’occasion, il est chaperonné de sa bienfaitrice, une certaine Alice Champlain, proche de la vésanie religieuse.

L’enquête est confiée à la pétulante commissaire Laeticia Orion, aidée de l’intrépide, et parfois grincheux dans le bon sens du terme, Simon Dargelois, journaliste indépendant.

Délicatement saupoudré d’humour, l’auteur égratigne, sans en avoir l’air, aussi bien le monde littéraire que les comportements excessifs ; le récit est rondement mené sans aucune longueur et le seul souhait à la fin de la lecture est de retrouver une autre fois ce sympathique Simon Dargelois qui a plus d’une noisette dans son sac. Des crimes certes, mais une belle dose d’humanité aussi !

Mortelle envolée – Pierre Mangin – Éditions La Bouinotte – Novembre 2021

 

 

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...