vendredi 30 décembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Autrices
Ces grandes effacées qui ont fait la littérature
Tome 1, du Moyen Âge au XVII° siècle

 


Daphné Ticrizenis, la directrice littéraire du présent livre, et qui a travaillé pour des ouvrages scolaires, a fait l’amer constat de la quasi-absence des autrices dans les manuels. L’idée de palier à ce cruel manque est née. « Autrices » est le premier tome consacré à ces « oubliées » de la littérature ; pour commencer, du Moyen Âge au XVII° siècle.

Car les femmes ont toujours écrit, certes l’exercice était plus rare que pour les hommes voire plus dangereux, et ce, depuis le Moyen Âge en commençant par les « Trobaintz », mot occitan pour désigner les femmes qui dès le XII° siècle écrivaient, chantaient et signaient de leur propre nom leurs proses et leurs vers.  Les troubadours au féminin.

Titiou Lecoq, qui signe la préface et remet quelques pendules à l’heure, revient sur le vocable qui fait le titre du document. Ce terme n’est pas né d’aujourd’hui, il vient du latin « Auctrix » et est couramment employé jusqu’au XVII° siècle. C’est dans la première moitié de ce même siècle qu’est créée l’Académie française avec l’élaboration d’un dictionnaire aux bons soins d’une confrérie de petits hommes verts – et ce jusqu’à pratiquement la fin du XX° siècle soit dit en passant – qui a décidé de laisser une large place à la domination masculine dans le vocabulaire et la grammaire. Autre fait notoire et révélateur : la règle de proximité qui accorde le genre et éventuellement le nombre de l’adjectif avec le plus proche des noms. Cette règle disparait progressivement, bien que Racine l’utilise encore. Personnellement, si mon pelage se hérisse avec l’écriture inclusive, je souhaiterais de toute ma noisette que revienne cette règle grammaticale de la proximité.

Romans, sonnets, ballades… moult pages oubliées et qui méritent de revenir dans nos cœurs de lectrices et lecteurs. Ces femmes n’étaient pas seulement des artistes de la plume, elles étaient des combattantes en chantant leur féminité et en revendiquant la liberté et l’égalité.

Quelques exemples parmi la cinquantaine de portraits

Christine de Pizan, qui reste peut-être malgré tout la plus connue des autrices du Moyen Âge. Pourtant combien savent que le célèbre proverbe « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage » vient d’une de ses ballades où elle exprime sa colère contre les mensonges des hommes et leurs « faux plumages ». Elle reste aussi celle qui se souleva contre la misogynie, l’attaque la plus virulente reste contre celle du Roman de la rose (la partie écrite pas Jean de Meun). Pour récompense elle fut jusqu’au XX° siècle méprisée et censurée !

Louise Labé – traitée de courtisane pour ses écrits poétiques et sensuels – réclamait au XVI° siècle le droit d’accès à l’écriture pour les femmes et qui deviendrait une émulation collective ; les hommes ne pourront qu’écrire mieux en lisant ce que sont capables ces dames.

Catherine de Parthenay, protestante passionnée, a mis tout son talent au service de la cause des Huguenots et tentée de faire entendre sa voix sur la scène politique comme lors de la prise de La Rochelle en 1627, en vain hélas car la famine a offert la victoire à Richelieu. Néanmoins, elle continue à défendre ses idées jusqu’à la fin de sa vie. Surnommée « La grande Catherine » dans le Poitou elle laisse des innovations féministes littéraires comme la satire politique et le ballet (face à son utilisation royale…).

Marie de Gournay, plus connue comme l’éditrice de Michel de Montaigne, elle publie pourtant en 1622 « Égalité des hommes et des femmes » et reçoit – fait exceptionnel – une pension du roi pour son travail et peut ainsi vivre de ses écrits. Cela n’empêche les sarcasmes de tomber en tempêtes sur cette femme qui brandissait l’oriflamme de l’indépendance en restant célibataire.

Madeleine de Scudery, l’une des pionnières du roman moderne qui a connu un grand succès et qui a même été reconnue, peut-être dû en partie grâce à son succès littéraire qui lui permettait d’être indépendante financièrement. Célèbre est le salon littéraire qu’elle avait créé mais qui entraîna de nombreux sarcasmes de la part de la gent masculine.

Marie-Catherine d’Aulnoy fait partie de ces autrices qui ont publié de nombreux contes de fées, bien plus que leurs homologues masculins le genre étant à cette époque quasi-exclusivement féminin. D’ailleurs Charles Perrault publie anonymement « La belle au bois dormant » en faisant croire qu’il a été écrit par une femme, une façon de « défendre la présence des femmes dans le domaine littéraire ». Pourtant, il restera immortel – dans tous les sens du terme – et Marie-Catherine d’Aulnoy n’accèdera pas à la postérité malgré avoir écrit trois fois plus de contes que le sieur Perrault.

Catherine Bernard reste bien dans l’ombre depuis le XVII° siècle et pour cause ! Après son trépas, on lui a volé son statut d’autrice – une procédure d’effacement assez récurrente dans l’histoire littéraire – La pièce de Voltaire « Brutus » est tout simplement un plagiat, on reconnait des vers entiers de la main de Dame Bernard. Voltaire se défend et « avoue » qu’il a copié Fontenelle. Fontenelle étant un homme – et de surcroit académicien – il était plus noble de le copier plutôt que d’une illustre inconnue !

Puissent ces quelques exemples vous donner envie de découvrir cette fabuleuse anthologie qui permet de revisiter l’histoire littéraire, lire des extraits et les biographies de ces femmes de lettres remises dans le faisceau de la littérature. Une chose est certaine, en dehors de la traditionnelle misogynie et de toutes les barrières posées à l’encontre des descendantes d’Eve, la question morale a joué énormément en défaveur des femmes. Les jugements sur la vie privée n’épargnaient guère les chromosome XX . Cette sempiternelle condamnation de la légèreté des mœurs ne concernait que les femmes… Cependant, ne croyez pas qu’il s’agisse d’un pamphlet contre les hommes ou d’un tribunal à charge contre la masculinité ! Simplement, remettre les noisettes en place et faire que chaque sexe puisse jouir de la même lumière sur le fil de l’égalité.

Autrices, ces grandes effacées qui ont fait la littérature. Tome 1 : du Moyen Âge au XVII° siècle. Textes choisis et présentés par Daphné Ticrizenis – Préface de Titiou Lecoq – Illustrations de Marie Fré Dhal – Éditions Hors d’Atteinte – Septembre 2022

lundi 26 décembre 2022

 

Une noisette, un concert
 
Misa Criolla
Automne baroque de Bourges

 

Pendant le concert ©Squirelito

Le dimanche 16 octobre 2022, votre serviteur est revenu dans son arbre le cœur en musique après avoir assisté à la Misa Criolla en la cathédrale Saint-Étienne de Bourges. L’immensité de l’histoire dans l’infini des notes.

La Misa Criolla, une messe née du peuple et écrite par Ariel Ramirez, un chant créole dans la tradition espagnole et inca avec des instruments comme le Charango ou le Bombo. Le texte liturgique est bien différent à celui que nous sommes habitués, des phrases courtes mais essentielles, en espagnol évidemment mais grâce au Concile Vatican II), et portées par une musique au rythme andin et…dansant ! Ainsi les Kirie/Gloria/Credo/Sanctus/Agnus Dei deviennent des Vidala baguala/Carnavalito Yaravi/Chacarera trunca/Carnaval cochabambino/Estilo : un final estupendo avec ce « Cordero de Dios que quitas los pecados del mundo, danos la paz ». Une musique sacrée qui devient aussi profane que spirituelle.

Le concert avait débuté par des pièces sacrées du baroque sud-américain jouées à la fois sur des instruments andins et des instruments de l’époque baroque

Autant le dire clairement, l’interprétation a été magistrale ! Heureuse découverte que d'entendre et écouter l’ensemble La Chimera dirigé par Eduardo Egüez, les Chœurs de Bourges et la Schola St Étienne sous la direction de Viviane Durand ; avec une mention spéciale pour Luis Rigou qui non seulement est un brillant ténor et musicien mais un artiste assoluto pour également sa bonne humeur communicative. Et, et...joie immense que d’entendre en direct cette Misa Criolla qui renferme tant de bons souvenirs. Des bijoux musicaux qui ont résonné dans la magnificence de la cathédrale de Bourges ajoutant une touche spirituelle encore plus grandiose.

Merci à l’association « Sauvegardons Notre-Dame de Bourges » qui a créé ce festival en 2019 pour permettre de récolter des fonds pour restaurer l’église éponyme, ce avec le soutien du Département du Cher, Berry Province, la ville de Bourges, la région Centre Val de Loire… pour en citer qu’eux. Plus amples informations sur le site du FESTIVAL

La cathédrale Saint-Étienne sous les couleurs de l'automne ©Squirelito


lundi 12 décembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Le cheval d’Hilaire
Françoise Bezet


 

Très belle couverture pour un livre qui est absolument captivant/touchant et qui se parcourt autant avec les yeux qu’avec le cœur grâce à sa poésie et aux histoires narrées par Françoise Bezet. Des nouvelles au fil des pages, du XVIII° siècle à nos jours, d’un personnage inclassable et sensible (Hilaire) à cette dame ayant eu une liaison avec l’ennemi pendant la deuxième guerre mondiale en passant pas un curé pas franchement catholique et les travailleurs de la terre.

Pour le lecteur du Berry – natif ou d’adoption – il aimera suivre géographiquement les noms des communes citées et retrouvera peut-être des souvenirs communs. Pour les autres lecteurs, une formidable opportunité de découvrir ou redécouvrir ce cœur de France avec sa vie d’antan qui a forgé celle d’aujourd’hui ou bien de retrouver cette vie campagnarde avec sa dureté, ses croyances et sa solidarité. D’aucuns étant nés en milieu rural auront le plaisir de lire ces récits et de sentir cet attachement à ce qui nous façonne tous au départ : la terre.

J’ai apprécié toutes les nouvelles – assez rare pour ce genre littéraire – mais, évidemment, certaines m’ont plus touchée que d’autres. Hilaire, en particulier, cet être bien trop sensible pour supporter la dureté du monde et qui reste un incompris ; « Quand la vie continue » située à la fin de la guerre où deux sœurs vont trouver l’amour mais avec plus de chance pour l’une que pour l’autre ; l’histoire d’une « Livraison insolite » qui de nos jours serait certainement un délit… Et puis ces esquisses de sourire qui se forment à l’évocation de « Sur le banc » ou autres particularités des années 50 qui ont sonné dans les oreilles lorsque les parents racontaient leurs débuts. Ces éclats de vie en Berry sont des étincelles d’une certaine France et de la transmission.

Le cheval d’Hilaire et autres éclats de vie en Berry – Françoise Bezet – Éditions La Bouinotte – Décembre 2021

mardi 29 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Hommes des tempêtes
Frédéric Brunnquell

 


La mer qu’on voit danser, c’est beau et poétique. Celle du bord des plages où elle scintille de mille éclats et fait respirer cette fragrance unique des embruns. Mais la vraie mer, le véritable océan est tout autre. C’est un milieu hostile que nul homme ne pourra dompter. C’est aussi le lieu de travail de centaines d’hommes qui embarquent pendant plusieurs mois. Au péril de leur vie.

Le journaliste Frédéric Brunnquell a embarqué sur le Joseph Roty II, un chalutier à l’ancienne mais solide, construit dans la Pologne communiste de Solidarnosc. Avec lui une cinquantaine de marins, du cuisinier au capitaine, tous unis dans la quête au merlan bleu, ce poisson servant de base pour le surimi. Quand vous en aurez dans votre assiette et, après avoir lu ce livre, vous ne le mangerez plus de la même façon. Si chaque homme est bien payé pour cette pêche au long cours elle a prix ; celle de rester éloigné de la terre et des siens pendant de long mois, d’endurer l’humidité, le vacarme, la promiscuité, la solitude et surtout d’affronter de redoutables tempêtes avec des vaques de plus de quinze mères de haut. À chaque fois, une épopée. Au retour, l’anonymat absolu. Ils sont pourtant des héros.

Un ouvrage passionnant où le lecteur se retrouve pris dans cet espace houleux. Leçon d’humilité et admiration pour cette confrérie multiculturelle qui pourrait disparaître peu à peu. Déjà, à l’intérieur, la vie en quelques année a changé : parties de cartes et discussions endiablées ont été balayées par les écrans et autres consoles laissant à chacun un enfermement dans un enfermement. Le tabac lui est toujours au rendez-vous. Frédéric Brunnquell brosse des portraits attachants, émouvants. De très belles pages d’humanité.

« Ces marins, leur univers pue, il est trop sale, trop gras, trop rouillé, pas assez glamour ni sponsorisé pour mériter l’attention. Ces marins vivent chaque année neuf mois sur l’océan, ils n’ont jamais vu les arbres en fleurs des printemps à terre, ils sont absents pour la naissance de leurs enfants, mais ils racontent la condition humaine, le goût des hommes pour l’ailleurs, le besoin de fierté, celui des rêves inaboutis, et l’obsession de la conquête qui se paie de tant de douleurs ».

« La peur est faite pour rester à quai ».

« Nous ne sommes rien dans cet infernal chaudron. Le vent et la mer ligués nous rappellent notre juste place. Nous ne sommes pas là pour vaincre, mais pour survivre. J’aime cette leçon qui nous rappelle les valeurs de l’humilité et de l’endurance. La nature nous apprend que pour avancer il faut savoir composer avec elle, lentement tirer des bords pour contourner les obstacles ».

Hommes des tempêtes – Frédéric Brunquell – Éditions Pocket – Octobre 2022

mardi 22 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Avant la fin du monde
Laurent Decaux

 


Vittorio de Mussi se meurt, la gangrène aura le dernier mot. Mais avant de passer de vie à trépas, le vieil homme veut justement poser des mots sur son existence et rendre hommage à son père, le vaillant capitaine Daniele de Mussi ; tous deux avaient été contraints d’embarquer à bord d’une galère de la marine génoise, le « Pompée ». Un capitaine qui pourtant ne voulait plus prendre la mer après la tragédie du « Cicéron » où des centaines d’hommes avaient perdu la vie en s’écrasant contre la roche. Mais, l’existence n’est pas une longue navigation tranquille ; en plus de devoir affronter les tempêtes, les attaques ennemies… la peste noire sévit dans la colonie génoise de Caffa, porte d’entrée de l’épidémie en Europe en 1347. Vittorio écrit son épopée sous le regard bienveillant de sa femme Maria, un amour infini, rare au XIV° siècle.

Roman historique par excellence, Laurent Decaux signe une histoire basée sur « les semeurs de peste » lorsque les Mongols décident de répandre le fléau dans cette partie de Crimée, étant eux-mêmes atteints par ce mal qui décimera un tiers de la population occidentale. Nonobstant, la peste est un prétexte romanesque pour dresser un formidable portrait d’un père et son fils dans les turbulences italiennes du Moyen Âge, vaillants marins face aux tragédies humaines et aux trahisons. Personnages solaires versus personnages crépusculaires.

Roman qui fait subtilement écho à notre contemporanéité, l’oriflamme de la peur et la menace permanente pour assouvir un peuple et les conflits intérieurs des arrivistes qui finissent par provoquer le chaos ; si l’union avait toujours fait la force toute la face du monde aurait été apaisée.

Vittorio de Mussi ou un Angelo Pardi médiéval.

 

Avant la fin du monde – Laurent Decaux – Éditions Albin Michel – Octobre 2022

mercredi 16 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
La petite menteuse
Pascale Robert-Diard

 


Roman fort intéressant qui contrebalance le mouvement MeToo sans, heureusement, le remettre en cause. Mais il permet juste de faire la part des choses, de faire comprendre que sans une connaissance d’un dossier d’instruction il est impossible de juger qui que ce soit et qu’un témoignage à charge peut s’écrouler en une seconde.  

Lisa Charvet veut changer d’avocat. Elle veut que ce soit une femme. Un homme est en prison pour crime, il l’a violée. Elle ne l’avait révélé à personne sauf à une camarade de classe qui l’accusait d’être une salope avec les mecs (la fameuse solidarité féminine). Sauf qu’elle n’a pas été violée et veut enfin rétablir la vérité. Pour la nouvelle avocate Alice Keridreux, défendre sa cliente prend un tout autre tournant, le dossier est à réviser complètement et ses adversaires ne vont pas la ménager. Peu importe. Son travail est d’accompagner, de protéger. Elle n’est pas juge, elle est avocate. Et au-delà de tout, comprendre ce qu’est un engrenage, jusqu’où ça peut mener.

Si ce récit n’a pas de réelle valeur sur le plan littéraire – contrairement aux chroniques de la journaliste – il est au contraire très riche sur le plan sociétal et dresse des portraits psychologiques qui remplissent les tribunaux. Fine analyse du difficile travail des magistrats, Pascale Robert-Diard peut en parler ; elle est chroniqueuse judiciaire depuis vingt ans au journal Le Monde pour suivre non seulement les grandes affaires du glaive et de la balance mais aussi tout le quotidien de la magistrature. Un regard aigu, humain, loin des agitations en tout genre et qui apporte un souffle de vérité et…de justice.

La petite menteuse – Pascale Robert-Diard – Éditions L’Iconoclaste – Août 2022

mardi 15 novembre 2022

 

Un écrivain, un monument
Jean-Christophe Rufin au Palais Jacques Cœur 

Le Palais Jacques Cœur à Bourges 


✨✨✨Heureuse conversation le 5 octobre dernier à Bourges autour de Jean-Christophe Rufin et Aude Cirier qui avaient accepté mon invitation de venir au palais Jacques Cœur pour parler de l’ouvrage consacré à l’écrivain médecin paru chez Quarto Livres des Éditions Gallimard.

"Aventures heureuses" est plus qu'un livre. C'est un compagnon qui vous fait voyager du Brésil jusqu'à l'île de Madagascar en passant par l'Abyssinie. C'est un conteur qui narre l'histoire du monde avec des accents contemporains. C'est un biographe qui remet en lumière des personnages parfois trop oubliés. C'est un humaniste qui observe et porte un regard empathique sur les autres. C'est un peintre qui colore les mots. C'est un humain, il s'appelle Jean-Christophe Rufin. Pour honorer le médecin, l'écrivain, le diplomate, la directrice éditoriale de la collection Quarto a convoqué toutes les énergies pour retrouver moult documents et photos, rechercher les manuscrits d'origine et faire appel à d'autres plumes comme celles de Sylvain Tesson, Isabelle Autissier, Éloi Ficquet, Frank Lestringant et Cédric Michon. 

Jean-Christophe Rufin


Lors de cette soirée, l'académicien a évoqué ses motivations littéraires, le besoin de soulager les esprits de ses lecteurs par des récits lumineux, la recherche des "artifices romanesques", les dangers du fanatisme, et, évidemment, la personnalité de Jacques Cœur, peut-être présent parmi nous, lui l'alchimiste berruyer. Grâce à la présence d'Aude Cirier, chacun a pu découvrir comment fonctionne cette collection, les différences entre elle et sa sœur aînée La Pléiade et voir combien son métier est une passion. 


Salle comble pour  Jean-Christophe Rufin et Aude Cirier



🖥️La rencontre ayant été filmée grâce à la Ville de Bourges, la vidéo est disponible à l'infini sur leur page Facebook avec ce lien direct 

➡️ https://www.facebook.com/mairie.bourges/videos/422994926439165 (ne commence qu'à 10'30 environ)

🙏 Merci infiniment aux participants, à Elisabeth Braoun, administratrice du Palais Jacques Cœur, à Caroline Boutrelle chargée de communication, à Gaël Chênet de la route Jacques Cœur , à la Ville de Bourges, à Benoist Chaussé et à Mick pour la captation de la rencontre.

🙏 Merci également au public présent sur place ou via les réseaux sociaux, merci pour tous vos nombreux retours.

Vive la littérature, vive le patrimoine ! 📚🏰

📷 Squirelito et Gaël Chênet

Avant la rencontre, Jean-Christophe Rufin et votre serviteur



Aventures heureuses dans la Salle des Festins du Palais Jacques Cœur

mercredi 9 novembre 2022

 

Une noisette, un livre


Madame Claude, le parfum du secret
Erwan L’Éléouet

 


Qui n’a pas entendu parler de Madame Claude ? Peu de personnes, même celles nées au XXI° siècle. Par contre qui connait Fernande Grudet ? Madame Cook ? Ou encore Madame Tolmatschew ? Quatre patronymes pour une seule femme, quatre patronymes pour un caméléon, quatre patronymes pour une mythomane, quatre patronymes pour une quasi légende. Sexe, mensonges et liaisons dangereuses.

Après avoir signé deux remarquables ouvrages sur Renaud, puis Bernadette Chirac (chroniques à retrouver ici et ici), Erwan L’Éléouet a repris la plume entre quelques documentaires audiovisuelles pour nous raconter la vie de la plus célèbre proxénète de la seconde moitié du XX° siècle en France.

Née dans l’anonymat en 1923 à Angers, elle décède dans le même anonymat en 2015 à Nice. Pourtant, elle a eu entre ses mains un carnet d’adresses unique, une liste de clients de renom et de l’argent à s’en baigner dedans. Protégée par les puissants, vantée par la gent masculine, environnée de luxe, confortée par les pouvoirs publics avec une police bienveillante et jusqu’à louer des locaux à l’archevêché, Madame Claude se croyait intouchable. Pourtant, elle a fini par être rattrapée par la justice.

Véritable personnage de roman, ce livre sur Madame Claude se lit comme s’il en était un. Après moult recherches, le journaliste a réussi à démêler le vrai du faux ce qui n’est pas une sinécure tant cette femme a créé un dédale de mensonges et que le secret des alcôves est difficile à soulever… Anecdotes, entretiens avec des « filles » de Madame Claude, descentes au Quai des Orfèvres, confidences policières parcourent le document et donnent une vision de cette France d’après-guerre où la débauche s’étalait dans l’ombre sans que personne ne s’en offusque. Mais pour Madame Claude, l’affaire Markovic a été le début de la fin même si la descente aux enfers était encore loin. Affaire qu’Erwan L’Éléouet sait rappeler comme il le faut.

Un ouvrage que je ne peux que conseiller, riche en informations (j’en ai encore découvert de nouvelles) et très agréable à lire grâce à une plume littéraire qui a su créer une dynamique en scénarisant le récit et faire monter la curiosité.

Madame Claude ou la femme qui n’aimait qu’elle-même.

Madame Claude, le parfum du secret – Erwan L’Éléouet – Éditions Fayard – Novembre 2022

vendredi 4 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
« J’ai été fusillée, ma chérie… »
Christine Bernard

 


Voilà un livre pas comme les autres. Pas seulement pour le témoignage mais pour la façon dont il est transmis. Tout en douceur, tout en amour. En opposition totale avec ce qu’ont vécu la mère et les aïeuls de l’autrice.

« J’ai été fusillée, ma chérie » est la réponse de la mère de Christine Bernard lorsque celle-ci a 12 ans. Elle s’étonne que sa mère ne croque jamais une pomme ou un sandwich, ni même un carré de chocolat. Elle l’observe et constate que pour manger elle glisse discrètement la fourchette entre ses lèvres parce qu’elle ouvre à peine la bouche. Pourquoi ? Parce qu’à 15 ans, dans la cave d’un immeuble de Varsovie, le 7 août 1944, Yolande Ebin est devant un peloton d’exécution nazi aux côtés de huit autres résistants. Tous tombent. Yolande se croit morte, la balle est sortie par la bouche. Tragique et miraculeux.

Depuis cette réponse et la connaissance de la fusillade, la vie de Christine Bernard va changer. Déjà passionnée par les livres, elle veut tout savoir et progressivement va découvrir la tragédie familiale : une grand-mère fusillée, un oncle déporté vers les camps de la mort, un grand-père qui s’est porté volontaire pour aller soigner dans le ghetto de Varsovie et a résisté à tout. Autre surprise : il était juif.

Des photos accompagnent ce témoignage narré avec une sensibilité extrême, une finesse qui émeut au possible et un phrasé aussi subtil que bouleversant. S’appuyant sur les écrits de sa mère (ô combien ça a claqué en lisant que la mère pensait ne plus avoir de nez, écho énorme, résonnance familiale) Christine Bernard livre une histoire intime dans une histoire européenne à ne jamais oublier. Pour la liberté de tous et en hommage à ceux qui sont tombés ou ont failli tomber.

La postface de Jean-Yves Potel ajoute des éléments historiques à ces destins polonais face aux machines de la mort.

« J’ai été fusillée, ma chérie… » - Christine Bernard – Préface d’Anette Wieviorka – Postface de Jean-Yves Potel – Éditions Mille Sources – Mai 2021

mercredi 2 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Ceux qui restent
Jean Michelin

 


« Ce n’était pas ce qu’il disait qui émouvait Stéphane, mais ce qu’il taisait »

À la lecture de cette phrase, un flash traverse votre esprit. Parce que les êtres qui vous touchent le plus sont ceux qui disent mais qui gardent le plus important au fond d’eux-mêmes. Par pudeur, par pusillanimité, par réserve. Peu importe. Ce roman est du même acabit. Il raconte, lance des dialogues, dissèque en surface, ouvre des fenêtres mais avec un volet semi-ouvert. Pas évident de faire parler la Grande Muette. Pourtant doucement, sans fioriture, la plume sème une intrigue, dévoile la face invisible de cette armée qui défie sans cesse la Grande Faucheuse et laisse des cœurs blessés s’exprimer.

Le caporal-chef Lulu a disparu. Déserteur ? Cela ne lui ressemble pas. Un avancement de grade refusé ? Lulu n’a jamais voulu prendre du galon. Ennui familial ? Une épouse et un fils, RAS. À moins qu’un choc psychologique n’ait provoqué une fuite. Junior a succombé à ses blessures suite à une attaque imprévisible. Aucun de ses compagnons d’arme n’est en faute mais tous culpabilisent. La première fois, le choc est immense. Ensuite, la carapace se durcit mais laisse toujours un espace à fleur de peau, car jamais on ne peut s’habituer à la mort d’un collègue. Il y a ceux qui partent comme Junior. Et il y a ceux qui restent comme Lulu.

Ses frères d’armes vont tenter de le retrouver. Pour lui, pour sa femme, pour son fils. Pour l’armée. Pour les disparus. Ils vont devoir compter que sur eux-mêmes. L’adjudant Stéphane reprend du service, on ne lâche pas ceux qu’on a connus.

Prouesse romanesque, véracité des sentiments. Aux descriptions presque lyriques s’entrechoquent les dialogues entre militaires et la rudesse des combats ou des zones à sécuriser, de l’Afghanistan à la Guyane. La peur côtoie l’espoir, l’ivresse se joue de la colère, les joies n’effacent pas les deuils. L’amour est malmené et la tolérance rencontre des obstacles. Jean Michelin le résume très bien avec l’ensemble de ses personnages en portant notre regard sur les détresses ignorées et les séquelles psychologiques qui creusent le cerveau des soldats et de leurs proches. Parents, conjoints, enfants, amis. Personne n’est épargné sur cette grande scène où la guerre dévore l’humanité.

Un roman grandiose avec une fin sobre mais magistrale.

« Avec le temps, il avait pris du recul sur le métier. Il n’ignorait plus le caractère dérisoire de ce qu’ils faisaient, l’éternel recommencement des efforts lorsque la relève arriverait dans quelques mois pour poursuivre l’ouvrage, reprendre le tissage patient des liens de confiance avec les notables locaux, la relation qui se construit, patrouille après patrouille, mandat après mandat « vous avez la montre, on a le temps » et toutes ces conneries. Les visages fatigués des vieux sur le bord des routes, les gamins qui font des signes amicaux, moqueurs ou menaçants selon l’humeur du jour, il les avait tous vus, de toutes les couleurs, de toutes les religions. Les visages se mélangeaient dans sa tête quand il y repensait. La guerre était toujours la même, peignant les souvenirs de cet ocre sale, celui de toutes les poussières qu’il avait accrochées aux semelles de ses chaussures ».

« Par-dessus tout, il redoutait le regard de Mathilde, le regard triste qu’ont parfois les femmes de devoir quand les hommes se montrent trop petits et trop peu capables ».

Ceux qui restent – Jean Michelin – Éditions Héloïse d’Ormesson – Août 2022

mardi 1 novembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Fièvres rouges
Judith Rocheman

 


Un livre brûlant ! L’histoire d’une jeune femme espagnole dont le père est tombé sous les balles des franquistes et le beau-père – le compagnon d’armes du père pendant la guerre civile espagnole – réfugié en France a été victime de la Shoah. En toute logique, sa fille Julia est communiste et veut militer pleinement au sein de ce parti. Elle est reçue par un membre très actif du comité, Sergueï, d’origine russe, et va loger dans son appartement en attendant de trouver du travail. Elle se méfie aussitôt de lui, grand séducteur il tourne autour de la belle Espagnole, semble violent et humilie sans cesse son épouse Émilie. Épouse qui va devenir l’amante de Julia et toutes deux vont s’enfoncer dans un militantisme effréné. Mais, le vent glacial qui souffle d’Est en Ouest va se répercuter sur le ménage en provoquant  une guerre intime. Comment Julia va faire face à toutes les menaces tout en continuant à diffuser les valeurs qui la forgent depuis l’enfance ?

Un roman haletant et qui relate parfaitement les conditions de la femme dans les années 50 qui étaient loin d’être idylliques ; à part le droit de vote accordé en 1945 leur statut s’apparentait à celui d’une éternelle mineure. Politiquement, le combat mené contre le nazisme par les communistes fait que ce parti était devenu très populaire au lendemain de la guerre, même si Thorez était loin d’être idéalisé. Sans oublier que la majorité ignorait les crimes de Staline. Judith Rocheman décrit très bien cette histoire française et internationale et c’est ce qui fait la force du roman malgré quelques incohérences : par exemple, Sergueï qui est suivi par les sbires du parti pour trahison et qui va tout de même à la cérémonie d’hommage à Staline, et d’un texte qui aurait mérité une meilleure relecture.

Hormis ces quelques bémols, un premier roman à lire, qui traduit très bien le militantisme aveugle – souvent sincère à la base – et que chaque côté de l’espionnage n’héberge pas des enfants de chœur ; une mention spéciale pour l'évocation de l’émancipation des femmes, la tolérance sexuelle et combien, via l’épisode de l’avortement clandestin, se dire que l’IVG doit être défendu à l’infini.

 

Fièvres rouges – Judith Rocheman – Éditions Plon – Octobre 2022

dimanche 30 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
D’audace et de liberté
Akli Tadjer

 


Quelle joie de retrouver le protagoniste du précédent roman d’Akli Tadjer, Adam, qui, après avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale, est désormais installé à Paris loin de son Algérie natale. Il travaille aux côtés d’Elvire, la fille de son hébergeur parisien pendant la guerre et qui n’est jamais revenu des camps, tout comme Samuel, le compagnon de combat d’Adam. Elvire partage également sa vie mais au fond de son cœur il a laissé une énorme place également pour Zina, l’amour impossible désormais en couple avec un caïd dont elle a eu plusieurs enfants.

Adam continue de rêver à la liberté, à la justice, espère voir l’Algérie revenir indépendante, aide Mohamed, un ouvrier de la tannerie amoureux de la poésie française, à s’améliorer dans l’écriture et l’histoire… Mais un jour Elvire reçoit une lettre sibylline de Samuel : lui et le père de la jeune femme seraient en vie et vivraient à Jérusalem ! Elvire et Adam partent pour Beyrouth, direction les lieux saints. Nouvelle déchirure, tout va encore basculer. Adam repart seul à Paris espérant qu’Elvire reviendra. Peu de temps après, il est nommé officiellement pour s’occuper d’un petit Adam, le fils de Zina.

Comme toujours, Akli Tadjer unie l’histoire des rives de la Méditerranée dans un esprit de réconciliation sans jamais donner de leçons. Juste un regard objectif en rejetant dans l’écriture toute la haine qui a ensanglanté les terres algériennes et françaises. Jamais dans l’excès, chacun des personnages traversent les fils du destin entremêlés par les aléas intimes et l’histoire commune des errances d’un monde bien trop belliqueux. Heureusement, à l’image d’Adam, des êtres solaires ne désespèrent jamais de hisser l’oriflamme de la liberté. Au prix de beaucoup d’audace.

D’audace et de liberté – Akli Tadjer – Éditions Les Escales – Mai 2022

samedi 29 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
La dernière Princesse lombarde
Michel Dessaigne

 


Rien de plus enthousiasmant qu’une lecture instructive ! Avec ce nouveau roman de Michel Dessaigne, aucune déception car il met en lumière une femme italienne exceptionnelle du XI° siècle, Sichelgaita de Salerne, bien trop méconnue.

Elle fut la seconde épouse de Robert Guiscard, un aventurier normand sans scrupule mais qui par la force, la ruse et la vaillance arriva à conquérir l’Italie méridionale face aux Byzantins et aux musulmans tout en posant les premières fondations du futur royaume de Sicile. Un mariage évidemment d’intérêt comme la plupart du temps pendant des siècles ; en épousant cette princesse de Salerne, Robert Guiscard confortait sa position de conquérant et pu répudier sa première femme en faisant annuler le mariage malgré le fils né de cette union.

Émancipée avant l’heure – cela dit nombre de femmes l’ont été au Moyen-Âge – elle a été maintes fois nommée « princesse guerrière » mais ne faisait qu’aider son mari en essayant parfois d’éviter les morts et tortures barbares. Car avant tout, elle savait soigner et prendre soin de son prochain pour avoir été une des élèves de la première école de médecine fondée en Europe, à Salerne précisément et où le sexe féminin y avait toute sa place, d’où l’appellation des « Dames de Salerne ».

Une histoire italienne tracée sur des faits authentiques, mais agrémentée par des dialogues imaginaires, fait de ce roman une lecture passionnante avec l’envie d’en savoir plus sur cette noble dame et le constat, une fois encore, de l’absurdité des conflits et de l’esprit terriblement profane des représentants religieux.

« Pour Gaita, la vraie conquête est celle du beau, de la science et de la raison ».

« Il y a dans tout lieu qu’on aime une attente d’éternité »

La dernière Princesse lombarde – Michel Dessaigne – Éditions Ex Æquo dans la collection Hors Temps créée par Catherine Moisand – Mars 2022

lundi 24 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Rouquine
Stéphane Poirier

 


Une histoire rousse de A à Z. Par la chevelure de Lilou, par le pelage d’un chat vagabond, par les feuilles des arbres en cet automne où Monty a rencontré pour la première fois cette jeune femme qui suivait une route sans avoir où elle allait. Deux êtres cabossés qui se rejoignent vont forcément déclencher des chocs, rallumer des souvenirs et faire apparaître des fantômes. Pourtant Monty est certain que quelque chose va changer pour lui malgré l’incontrôlable Lilou. Indomptable à l’image des chats qu’elle nourrit.

Peu importe où l’action se passe, l’important est cette rencontre inattendue près d’un café pendant que l’un fait ses courses et l’autre se pose quelques instants avant de reprendre sa route. Solitaire dans l’âme, Monty n’a aucun ami et se contente de sa maison aux courants d’air bien qu’il soit artisan dans le bâtiment. Après une rupture difficile, sans travail, Lilou était repartie vivre chez sa mère. Mais cette dernière est la définition même de l’atonie, sa fille s’enfuie sans savoir où son vagabondage la portera. Monty lui propose sa caravane puis, progressivement, les deux êtres vont essayer de s’apprivoiser en ne sachant quelle sera l’issue de cette cohabitation.

Un premier roman sous le signe du charme avec des personnages particulièrement attachants et d’une narration toute simple mais terriblement efficace pour capter l’attention du lecteur et le faire entrer dans cette histoire où coule cette délicieuse lenteur de deux êtres qui tentent de se rapprocher. Quelques passages judicieux sur la solitude et des ronronnements de satisfaction viennent compléter la lecture. Juste un tout un petit bémol : les personnages vident trop souvent leur vessie…

Rouquine – Stéphane Poirier – Éditions Pocket – Septembre 2022

vendredi 21 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Biche
Mona Messine

 


Tout est prêt pour un nouveau combat, pour s’acquérir de nouveaux trophées, pour asseoir sa renommée de meilleur tireur. Chasseurs et rabatteurs sont fiers de leurs futurs actes qui feront d’eux des héros au milieu de leurs vies bien ordinaires. En particulier Gérard qui se considère le meilleur avec son fidèle Olaf. Linda, elle n’est qu’une rabatteuse mais fera tout pour cet homme qui aurait pu être son mari. Et puis il y a Basile, le jeune garçon qui n’a pas le droit de tout faire, tout juste abattre une caille ; il ronge son frein, lui l’amoureux des armes à feu et songe à toutes les tueries qu’il pourrait commettre…

En face la forêt. Magistrale. Oiseaux, écureuils, insectes, tous ont un rôle à jouer. Même le petit Hakim, hérisson de son état. Ceux qui se préparent au pire sont les cerfs et les biches sachant parfaitement qu’ils sont les festins des rois, ou plutôt de ceux qui se réclament rois. Mais une biche va se révolter, elle refuse cette loi des hommes et va faire face à ses agresseurs avec la seule arme qu’elle possède, le courage.

Au milieu de ces deux camps, surgit l’espoir de l’humanité, Alan, le garde-forestier. Sa vie est la forêt et pour rien au monde il la quitterait. Les animaux sont ses compagnons et ils le savent. Pusillanime, sensible, mystérieux. Les autres se moquent de lui. Peu importe, Alan suit sa route, celle de la nature, du cœur, de la vaillance.

L’orage gronde, la tempête va s’abattre, une partie va se jouer…

Superbe premier roman pour Mona Messine qui déploie un éventail de subtilités pour narrer ce conte écologique, loin de tout extrémisme, loin de toute politique. Un hymne à la nature, un pamphlet pour dénoncer les paradoxes et les dénis de la chasse. Un hymne à la non-violence également sous le chant des belles lettres et d’une poésie pastorale par une autrice en vraie bergère des cervidés.

Biche – Mona Messine – Editions des Livres Agités – Août 2022

mardi 18 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Peupler la colline
Cécilia Castelli
 


Romain n’est pas tout à fait un garçon comme les autres. Introverti, il s’enferme dans une carapace que même les insultes et diverses humiliations des autres élèves ne semblent l’atteindre. Sa famille s’inquiète de ses silences, son grand frère le protège comme il peut. Il semble heureux grâce à ses proches et à sa capacité de se créer un monde imaginaire. L’esprit vagabond est son maître. Jusqu’au jour où il disparait lors d’une sortie scolaire vers une colline. Il a neuf ans. Tous le chercheront, certains ne s’en remettront jamais comme son institutrice Madame Drumont. Son frère le cherchera pendant des années jusqu’à la découverte de la vérité aux pieds de cette colline où vécut un couple coupé de tout.

Un roman tragique et qui prend à la gorge. Les pensées affluent. Celles pour les enfants disparus, pour les familles qui ne pourront jamais faire leur deuil de leur trésor, pour les angoisses jusqu’à la tombe… Cécilia Castelli le sait. Alors, elle saisit une plume fantastique pour une ronde imaginaire autour des personnages qui ont connu le petit Romain. Ça tourne et ça retourne. Les mots sont sublimes, le phrasé consolateur. La nature est omniprésente, mirifique par son mystère, violente par la façon dont certains êtres veulent la dominer en se fondant égoïstement en elle.

Avec ce troisième roman Cécilia Castelli se rapproche de ce superbe sommet formé par la chaîne des vocables et le relief des sentiments qui se nomme littérature.

« Sentant dans sa main les doigts fins de la petite Lucie, Antoine Cauchon n’eut plus de doute. Il n’avait pas choisi le métier d’instituteur par hasard. Il voulait sauver ces enfants, à défaut de s’être sauvé lui-même. Il voulait les mener le plus loin possible. Leur dire, quoi qu’il arrive, de ne jamais s’arrêter en route ».

Peupler la colline – Cécilia Castelli – Éditions Le Passage – Août 2022

 

 

lundi 17 octobre 2022

 

Une noisette, un prix
 
Le duel des grands-mères de Diadié Dembélé
Prix littéraire de la vocation 2022
 

Un parfum d’Afrique, plus précisément du Mali, a soufflé sur les terrasses de Publicis des Champs-Elysées le 21 septembre 2022 quand Christophe Ono-Dit-Biot a annoncé le lauréat du prix de la vocation : Diadié Dembélé, pour son premier roman « Le duel des grands-mères » Un immense sourire s’est dessiné sur le visage de l’heureux élu et il le pouvait car la concurrence était rude avec les deux autres  finalistes – Diane Château Alaberdina pour Paysages de nuit et Corentin Durand pour « L’inclinaison » - de ce prix littéraire créé en 1976 par Marcel Bleustein-Blanchet, la fondation existant depuis 1959.

Un Arc de triomphe pour Diadié Dembélé ©Squirelito 

« Le duel des grands-mères » est un savoureux roman où l’auteur s’est fondu dans le personnage principal pour raconter avec brio son expérience dans un pays où se chevauchent une abondance de langues. Voyez par vous-mêmes : songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof, bwa. Sans oublier le français comme langue officielle. Le petit Hamet va quitter Bamako et sa mère pour apprendre la vie et rentrer dans le droit chemin. Deux grands-mères vont s’affronter – même s’il faut un peu de patience pour découvrir la seconde et comprendre tout le message du roman – et va se faire une joie de nous narrer ses aventures avec une charmante espièglerie et un véritable tour de force linguistique en mariant les belles lettres françaises aux uniques métaphores et mots chantants de la culture africaine. Même si d’aucuns n’ont jamais mis un seul pied sur ce berceau de l’humanité, ils peuvent aisément s’imaginer y être.

Diadié Dembélé est né au Mali, à Kaoré, aux frontières avec la Mauritanie. Diplômé du Master de création littéraire Paris VIII°. Il œuvre au sein d’une association en aide aux migrants comme interprète. Retenez bien ce nom car une petite noisette me dit qu’une très belle carrière se profile. Saziké !

Erick Orsenna et Diadié Dembélé © Fondation de la Vocation


Vidéo de la remise du prix è https://www.web-tv-culture.com/emission/2022-53448.html

Le duel des grands-mères – Diadié Dembélé – Éditions JC Lattès – Janvier 2022


La remise du prix avec l'ensemble du jury ©Fondation de la Vocation 


  Noisette saint-amandoise Pour Noisette livresque   Il était une fois au cœur de la France, une ville entourée de petites collines ...