Une noisette, un livre
Au pays des rêves noirs
Felix Macherez
« A
force de voir autour de moi mentir les hommes, mentir sur ce qui fait être
idée, ce refus imbécile de s’avancer jusqu’aux idées, j’ai éprouvé le besoin de
quitter l’homme et de m’en aller où je pourrai enfin librement m’avancer avec
mon cœur ».
Antonin
Artaud – Les Tarahumaras – 1936
Des
décennies plus tard, un jeune auteur décide de fouler les pas d’Antonin Artaud,
de comprendre les sagesses de la déraison du théoricien poète, de s’immiscer
dans la communauté des Tarahumaras, d’attraper cette ivresse de la liberté et
de goûter au mystère du peyotl.
Le
narrateur sombre dans une non-existence, il baigne dans une atmosphère
crépusculaire, ne sachant plus où ses pas le guident, la philosophie de
l’existence étant un vaste chantier en phase de démolition. Mais partir avec
rien, se mettre à nu dans l’immensité du monde et s’ingérer avec les dieux de
la civilisation précolombienne sont des moteurs d’une possible mue ou tout au
moins la découverte d’un autre possible.
Seulement
nous sommes au XXI° siècle et depuis les années 30, le Mexique et la communauté
de Tarahumaras ont bien changé. Adieu authenticité, adieu liberté, adieu
antiquité, bienvenue au royaume du modernisme et de tous les objets du progrès
(ou du contre-progrès). Les Tarahumas et autres peuples Indiens n’ont désormais
le « choix » qu’entre deux pouvoirs : celui de l’Etat et sa
corruption et celui des cartels avec sa violence. Entre la peste et le choléra…
Pourtant,
après les tintements de la déception, l’auteur va pouvoir trouver un chemin,
cahoteux, certes, mais qui sera bénéfique, surtout quand il arrive à retrouver
le fils du guide d’Antonin Artaud, une boucle bouclée dans le cercle de
l’initiation vers l’inconnu.
Un
récit de voyage ? En aucun cas. Une grande évasion ? Certainement. Et
surtout une danse des forces de l’esprit, ceux des dieux antiques, ceux des
Indiens actuels qui continuent à résister à la taxinomie contemporaine.
Felix
Macherez raconte comme Antonin Artaud parce qu’il connaît le pouvoir des mots,
ceux qui vont gicler, s’envoler, gravir nos pentes de quête vers l’inconnu et
ses mystères. Cette succession de vocables comme des pitons ancrés sur la paroi
de nos falaises intérieures, qui tantôt nous donnent le vertige, tantôt nous
offrent l’inaccessible.
Sans
oublier cette foi retrouvée chez l’écrivain. Oh pas une foi absurde, non une
foi de doutes, une foi d’ombres et de lumières, une foi métissée avec aucun
dogme en particulier. Cette foi qui permet aux êtres humains de se sentir libre
et de reconnaître l’humilité de la vie. Peut-être également celle de la mort. Et
ainsi, qu’un pays des rêves noirs devienne un pays des rêves en couleur, celui
où « la lune illumine la pampa ».
« Partir, c’est
signer l’armistice de l’esprit »
« Les décisions
prises à la suite d’une lecture sont souvent les meilleures ».
« Pour les Indiens,
la vie n’est qu’un bref passage. Un état de prérésurrection. Une préparation à
la mort. Et réciproquement, la mort est une préparation à la vie. Ils s’abîment
dans l’une pour ressortir dans l’autre. Ainsi, ils vivent hors du temps. Hors
du monde. Hors de tout ».
« Plus on s’isole
dans un monde semblable à celui-ci, plus on se met en face de la Chose. Cette
Chose-là, c’est la vie. Rien de plus, rien de moins. Ce matin, elle dévoile
toutes les vérités oubliées des hommes. Toutes les vérités qui échappent à
l’époque. On est loin de l’indifférence. Loin des imageries imbéciles. Loin des
totems décevants. Loin des faux-semblants. Loin des décombres ».
Au pays des rêves noirs
– Felix Macherez – Editions des Equateurs – Août 2019