dimanche 28 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Les mains du miracle

Joseph Kessel




Si mains miraculeuses il y a, écriture prodigieuse aussi. Relu à nouveau ce roman de Joseph Kessel et qui encore m’a mis au bord des larmes. Parce que l’humanité y coule à chaque instant au milieu de l’enfer de la deuxième guerre mondiale et dans l’antre de l’un des hommes les plus puissants (et forcément cruel) du III° Reich, l’un des architectes de « La solution finale » : Heinrich Himmler.
Mais un jour de mars 1938  le diable a rencontré un ange : Félix Kersten, médecin né en Estonie, de nationalités finlandaise et suédoise et qui a été jusqu’à la fin de la guerre le thérapeute du sinistre maître absolu de la SS.

Joseph Kessel livre un récit bouleversant de cette rencontre inattendue et rend un vibrant hommage à un homme qui a dépassé largement ses fonctions de soignant, sauvant plus de 800.000 vies grâce à la confiance qu’Himmler lui accordait car seul le Dr Kersten pouvait le soulager de ses douleurs par des massages. Dans ces moments d’intimité, c’était le temps de la confidence, des échanges surréalistes et de l’incroyable pouvoir de Félix Kersten sur un homme pris dans l’étau du mysticisme, de l’adoration hitlérienne et d’un orgueil incommensurable.

Un roman basé sur les mémoires du médecin qui est devenu progressivement le messager secret de la diplomatie internationale et qui a fait preuve d’un héroïsme sans limite pour parvenir à épargner des milliers de vies. S’il avait des ennemis au sein de la Gestapo et du régime nazi il a pu compter sur quelques êtres qui n’avaient pas totalement rangé leur âme dans les profondeurs du pandémonium hitlérien, notamment Rudolph Brandt, le secrétaire particulier d’Himmler. Sans cet homme il aurait été impossible à Kersten de mener à bien ses plans de sauvetage. Malgré la plaidoirie du médecin en faveur de Brandt, il a été pendu lors du procès de Nuremberg et c’est là qu’on s’aperçoit que toute justice n’a pas été rendue. Brandt était loin d’être un saint mais d’autres bourreaux (et non des moindres)  ont pu s’échapper voire refaire leur vie en toute impunité.

Felix Kerstern n’est pas le seul être humain à avoir en toute discrétion tenté l’impossible face à la mort. On pense bien évidemment à Oskar Schindler, à tous les Justes, à tous les anonymes qui, depuis que les guerres existent, agissent dans l’ombre pour faire ressurgir la lumière à des êtres humains perdus dans les catacombes de l’inhumanité. Non seulement continuer à leur rendre hommage mais parler de ces âmes qui font croire en l’humain et qui permettent à une civilisation de pouvoir continuer à porter dignement ce nom.

Les mains du miracle ou le triomphe de la médecine et de l’humanité

Les mains du miracle – Joseph Kessel – Editions Gallimard / Folio

Felix Kersten (1898 - 1960)


lundi 22 juillet 2019


Une noisette, un livre


 A la table des diplomates

L’histoire de France racontée à travers les grands repas (1520 - 2015)





Cinq siècles d’histoire française, de politique internationale, de diplomatie et de… gastronomie, cette gastronomie unique, reconnue depuis 2010 par l’UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, et, qui a été le fruit de rencontres, de signatures, d’échanges entre les plus grands de ce monde, traversant les périodes fastes et moins fastes, les heures joyeuses et les heures sombres, les victoires et les défaites.

Sous la direction de Laurent Stéfanini, diplomate et actuellement ambassadeur de France auprès de l’UNESCO, ce livre présente quelques pages mémorables de l’histoire de France racontées par des spécialistes de l’histoire, de l’art ou de la politique, puis chaque chapitre se termine par la vision d’un chef cuisinier puis d’une recette. Autant vous dire que c’est une véritable polka des papilles et danse de l’estomac, surtout avec l’évocation de mets si raffinés et rares dans nos assiettes…

Les agapes diplomatiques commencent sous François Ier lors de sa rencontre avec Henri VIII et se terminent lors de la Conférence de Paris sur les changements climatiques en 2015. Une cuisson de cinq cents ans où sont plongées des noces royales, la paix des Pyrénées, le congrès de Vienne, l’ouverture du Canal de Suez (sans les trompettes de Verdi), les expositions universelles, l’amitié franco-russe, l’entente cordiale, le Québec libre du Général ou encore les relations franco-iraniennes (qui ont duré plus de six cents ans).
Une façon très divertissante de revisiter ces riches heures de l’humanité même si parfois c’est un véritable supplice de Tantale que de voir danser sous ses yeux un « Homard Thermidor », un « Tartare de Saint-Jacques », un « Turbot rôti » ou encore une « Selle d’agneau printanière », le tout arrosé de Mouton-Rothschild, d’un Château d’Yquem ou un Dom Pérignon… Ah quel dîner je viens de faire…

La cuisine n’est pas seulement une affaire « qui retient les petits maris qui s’débinent », elle est aussi un outil diplomatique pour délier les langues, éveiller les sens, faire mijoter les stratégies naissantes, sabler une victoire, montrer sa puissance, amadouer les appétits, bref, le savoir des petits plats dans les grands sans y mettre les pieds, et, on peut dire sans se tromper, qu’à chaque fois, les services diplomatiques n’y allaient pas avec le dos de la cuillère pour honorer les invités.

Une lecture qui permet de réviser presque goulument le passé et le presque présent tout en se rappelant certaines petites phrases ou en découvrant d’autres, certaines étant étrangement contemporaines.

Même si certains politiques ont tendance à traîner des casseroles, savoir recevoir en offrant le plaisir de la chère est la garantie d’éviter une tempête dans un verre d’eau tout en flattant les palais sous les ors de la République (ou de feu  la royauté et de l’empire).

Bref, en un mot, de ce livre, votre serviteur en n’a fait qu’une bouchée !

« Un bon buveur réussit parfois mieux qu’un homme sobre, pourvu qu’il sache boire sans perdre la raison, en la faisant perdre aux autres » François de Callières

« J’ai plus besoin de casseroles que d’instructions écrites » Charles-Maurice de Talleyrand

« La Perse fut l’Orient de la Grèce » André Malraux

« On a toujours tort à un moment donné quand on finit par avoir raison ».

« La cuisine française est une cuisine internationale qui se nourrit des saveurs du monde entier : elle emprunte, adapte et assimile des savoir-faire étrangers, ce qui la rend universelle. Elle est la reine des fastes diplomatiques et trouve sa place dans les grands repas d’apparat, comme en témoignent le souper d’Ismaïlia et son menu
pour l’inauguration du canal de Suez ».

« La France républicaine adore la royauté des autres ».


A la table des diplomates – Ouvrage collectif sous la direction de Laurent Stéfanini – Editions Folio -  Mars 2019

Livre lu dans le cadre de Masse Critique du site Babelio



jeudi 18 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Shiftas

Léonard Vincent




Tout commence par un ballet de dromadaires dans le ciel de Mogadiscio. Cet envol surréaliste n’est, en fait, qu’un chargement d’animaux à une bosse dans le port de la capitale de Somalie. Mais le rythme est établi, ce Shiftas (mot qui signifie hors-la-loi dans les langues de la corne d’Afrique) sera un rocambolesque road-trip dans cette Afrique de l’Est déchirée par des années de guerre, de dictatures et de terrorisme.

Nous faisons connaissance en premier de Bruno, un cuistot embarqué sur le Baraka, un pétrolier plutôt bizarre et tendance à bout de souffle. Bruno est originaire des Bouches-du-Rhône et employé dans ce cargo sans trop peut-être savoir pourquoi, des envies de prendre le large dans une société qui ne lui correspond pas. Puis c’est la rencontre avec Medhanie, un Abyssin, qui se déclare comme assassin face à ce qu’il a vécu dans son Erythrée natale. D’errance en errance, il a parcouru des milliers de kilomètres, a traversé à ses risques et périls la Méditerranée, puis s’est retrouvé à nouveau en Somalie, dans la fournaise du port somali.
Et enfin, c’est un berger Somali qui va compléter ce trio hors-norme, Abdi, qui va quitter sa région natale dans l’esprit de récupérer un trésor qu’il sait caché dans une ferme, de l’argent, en grande quantité, engrangé par un groupe terroriste.

Les trois compères décident de quitter le navire pour tenter cette quête d’une poule aux œufs d’or revisitée mais où se dessinent tout le mystère d’un voyage initiatique et la folle descente  dans le dédale crépusculaire de l’humanité. Parviendront-ils à leur but ? Comment la désertion de ces trois hommes va-t-elle être gérée ?

Comme un thriller de l’itinérance, ce roman oscille entre fuites incroyables, fiction abracadabrantesque et réflexions bien réelles sur la situation africaine, l’administration française et internationale, la cupidité des profiteurs de drames, la folie des médias et les fameuses théories du complot, théories de plus en plus à l’honneur avec les réseaux dits sociaux. Le tout chapeauté par une équipe de barbouzes, mafieux et terroristes, qui parfois, font plutôt ménage à trois…
Dans cette mallette livresque, l’écrivain journaliste a pris soin d’ajouter des bouffées d’humour, des piques corrosives, des pochettes de subtilité et un inexplicable talent pour ne jamais lasser le lecteur dans cette odyssée africaine portée par l’amitié  entre un Français, un Somali et un Abyssin. Comme pour montrer que la sincérité, le partage et  l’entraide n’ont pas de frontières, d’origines, de religions.

Il serait injuste d’oublier un autre « personnage » du roman, celui d’un petit âne, plutôt cahin-caha, qui se pose des questions quand il se retrouve sur la plate-forme du pick-up des aventuriers, il ne cherche pas trop de réponses et, après-tout, c’est peut-être lui la véritable sagesse de l’histoire dans toute la schizophrénie des civilisations…

« Bruno se voit lui-même comme une expérience de métempsychose, désormais sans travail, assis devant un vieil ordinateur asthmatique, sous un abri ouvert à tous les vents, dans les odeurs méphitiques de ragoût froid et de linge qui sèche. De ses deux mains jointes, dans un effort pour effacer l’angoisse, il s’essuie fermement le visage, comme s’il venait de terminer sa prière ».

« Après l’invasion éthiopienne, il embrassa les officiers en les félicitant en amharique, offrant à tous des Toyota, des caisses de bières Saint-Georges ou des chambres d’hôtel pour les permissions à Nairobi. Jafar n’a pas d’amis, seulement des intérêts ».

« Medhanie en a eu assez de sa peau d’éternel assassin. Il s’est laissé porter par le destin et les taxis-brousse vers une vie de fantôme, pour jouir du bonheur de n’être rien ni personne, devenir l’homme qu’il voulait être au fond. Il a rompu pour toujours avec celui que les papas, les guérilleros, les truands, les flics et les quidams ont commandé toutes ces années pour leur bon plaisir. Afin d’échapper une fois pour toutes aux gardes-chiourmes, il s’est dissous dans on époque, les grands flux migratoires, les fuites éperdues, les disparitions inexpliquées. Sa rencontre avec Bruno a tenu du miracle et marqué la naissance d’une nouvelle communauté apostolique, païenne celle-là ».

Shiftas – Léonard Vincent – Editions Les Equateurs – Mars 2019

mercredi 10 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Alger sans Mozart

Michel Canesi – Jamil Rahmani





Deux noms propres que rien ne semble rapprocher, les côtes méditerranéennes versus les montagnes autrichiennes. Une ville, un compositeur. En les rassemblant c’est un roman sur 60 ans d’histoire algérienne, un pays pris dans l’étau de la colonisation et des blessures de chaque côté de la Méditerranée qui ne seront peut-être jamais refermées. Au-delà des parcours personnels, au-delà des rencontres et des désunions, au-delà des accords et des déchainements, peut-être que la musique est le lien qui peut raccrocher à quelque chose. Surtout Mozart…

Alger sans Mozart est une partition à deux plumes. Quatre mains, vingt doigts pour mettre des mots sur les maux d’une histoire qui aurait pu être fraternelle et qui est devenue fratricide à cause d’une date : 1830. Ce roman franco-algérien signé par Michel Canesi et Jamil Rahmani débute en été 1954, le dernier été de la paix pour se terminer à peu près de nos jours et narre la vie de Louise, une pied-noir qui a refusé de partir, née en Algérie elle veut mourir en Algérie. Malgré les violences de la décolonisation, malgré la guerre civile. Louise est différente, elle ne pense pas comme ses parents, sa famille, elle se sent algérienne, de cœur et de chair. Elle parle arabe et berbère et épousera Kader, un algérien, un musulman. Mariage qui se terminera par un divorce pour absence de progéniture. Progressivement Louise s’enfoncera dans une mélancolie sans retour, fumant, buvant, grossissant à vue d’œil, elle qui a été le sosie de Rita Hayworth. Vers la fin de sa vie, une rencontre va l’apaiser, celle avec son jeune voisin qui vient de perdre sa mère. Il s’appelle Sofiane, beau comme un dieu et enfant de cette Algérie nouvelle qui voudrait voir le pays se transformer. Elle lui raconte sa vie, lui fait aimer même Mozart… Un personnage va mettre un peu de désordre, Marc, cinéaste parisien de renom et souvent cynique ; attachant aussi. C’est le neveu de Louise, seul membre de sa famille avec qui elle garde un contact. Lui aussi va rencontrer Sofiane…

Alger sans Mozart est une histoire d’amour mais aussi de haine. Entre une femme et un homme, entre un homme et un homme, entre deux pays, entre deux continents. Mais c’est une formidable envolée lyrique pour entreprendre le chemin de la réconciliation. L’écriture est monumentale ne cherchant pas les fioritures mais voulant juste faire résonner les phrases dans l’écho de l’histoire, les dialogues sont percutants, parfois si cinglants et réels qu’on entend les protagonistes les prononcer. C’est toute la force de l’écrit.
Et avant tout, c’est un hymne à l’Algérie, à cette vie d’avant, d’après ; à la beauté des montagnes, aux effluves marins, à la capacité de résistance d’un peuple à travers les tragédies et bains de sang, à l’espoir et en même temps à la résignation.

Un roman qui est comme la musique de Mozart, après l’avoir terminé, refermé le livre, on le lit encore…

« Je n’ai pas quitté l’Algérie, je ne la quitterai jamais. J’ai épousé Kader pour me lier à elle, irrémédiablement, j’en suis maintenant convaincue. Le divorce n’a pas rompu le lien. Cet amour pour lui, c’était ma passion pour elle ».

« Les souvenirs sont des tableaux accrochés sans ordre ni raison sur les murs lézardés de la mémoire. Ils surgissent juxtaposés et peuplent le vide de nos vies presque achevées ».

«  L’éphémère n’est là que pour contraindre  les créateurs à l’immortalité. Les cinéastes, les peintres ou les romanciers sont des archivistes. Ils s’emparent du temps qui passe et le fixent sur la pellicule, la toile ou le papier, ils lui donnent un brin d’immortalité ».

« Le temps a fait la beauté de Paris. Les plaies du passé embellissent un visage ou une ville. Je ne comprends pas cette folie : les femmes veulent retenir leur jeunesse à tout prix oubliant que les plus belles actrices respectent leur corrosion. Je refuse de filmer des poupées de plastique au front lisse comme un miroir ».

Alger sans Mozart – Michel Canesi et Jamil Rahmani – Editions Dalimen – Avril 2014 / Editions Folio  - Octobre 2018






lundi 8 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Personne n’a oublié

Stéphanie Exbrayat




Un livre qui ne s’oublie pas. Parce qu’on découvre une auteure, Stéphanie Exbrayat, parce que c’est une histoire qui va bien au-delà d’un roman policier ; c’est une immersion au cœur d’un personnage, une femme qui rayonne de la première à la dernière page par sa capacité à affronter les malheurs et à s’accrocher à la vie.

Colette habite depuis toujours un petit village du Morvan et a épousé par la force des choses un inconnu, François, qui a débarqué un jour dans cette campagne. Elle était enceinte de feu son amant et amour Guy disparu tragiquement. Quand son fils Sam est né il a pris le patronyme de son supposé père sans que personne, apparemment, ne se doute de quelque chose. Dix ans plus tard Sam meurt après avoir fait une chute de plusieurs mètres au haut d’une grange ; Colette refuse de croire en un accident et promet sur la tombe de son fils qu’elle fera tout pour découvrir la vérité.
Elle soupçonne de suite François d’être le meurtrier, cet homme violent, irascible, avec qui elle vit un enfer permanent. L’action se passe dans les années 50 et à l’époque la femme n’a toujours guère de droits face à son mari. Elle est donc contrainte de lui obéir et de courber l’échine au moindre de ses désirs. Et de ses pulsions…

Elle va être soutenue et encouragée par sa voisine, la fidèle Madeleine, qui ne cesse de la consoler et de la protéger ainsi que par son médecin, le dévoué Docteur Verdier. Lors de son enquête menée discrètement, Colette va découvrir des secrets autour de son mari et devra affronter Robert, un homme rustre qui a toujours été amoureux (à sa façon) de la jeune femme…

Proche du thriller psychologique nous sommes loin du roman policier traditionnel avec enquête policière et projections régulières d’hémoglobine. « Personne n’a oublié » est une rencontre avec une femme exceptionnelle de par sa vaillance et, à travers son portrait, c’est une radioscopie de la condition féminine dans la France d’après-guerre dans un petit village où tout se sait, où tout peut devenir rapidement rumeur. Par ce biais, Stéphanie Exbrayat exprime parfaitement l’ambiance villageoise et la soumission féminine face à ce pouvoir phallique.

Tous les ingrédients sont réunis pour une intrigue palpitante mais aussi particulièrement émouvante au fur et à mesure de la lecture, le tout agrémenté d’une écriture sobre et raffinée ce qui est un atout supplémentaire. Puisse Stéphanie Exbrayat écrire beaucoup d’autres romans avec cette sensibilité qui n’appartient qu’aux gens qui sont nés avec. Et qui savent la faire partager.

« Dans la nuit sombre, elle court comme une folle vers la tombe de Sam. Elle veut vomir sa colère. Le vent siffle dans les arbres déchiquetés. Un chien hurle quelque part au loin. A plusieurs reprises elle se retourne pour vérifier que François ne la suit pas. Malgré sa peur, elle pousse la grille entrouverte du cimetière dans un grincement lugubre. Elle se faufile comme une ombre entre les tombes pour s’asseoir à même la terre, devant celle de son fils ».

« Si Robert n’est plus qu’une loque, sa voix n’a rien perdu de son venin, ni de son agressivité, et pour Colette c’est un électrochoc. Son agression lui revient vivement en mémoire, et avec elle, un torrent de haine ».

« Colette s’allonge sur le dos et plonge son regard dans le ciel bleu pâlissant. Un long silence s’installe que ni l’un, ni l’autre ne se sent obligé de combler. Colette est bien à côté de cet homme. Elle voudrait pouvoir prolonger ce moment indéfiniment. Sentir cette présence masculine à ses côtés provoque en elle un désir fou. Elle ressent cette attirance, attisée par l’interdit, jusqu’au fond de son ventre ».

Personne n’a oublié – Stéphanie Exbrayat – Editions Deboree – Juin 2019

lundi 1 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Terre natale

Jean Clair




Sensation étrange que de lire le nouvel essai de Jean Clair, un essai crépusculaire qui fait penser aux paroles de Lensky dans Eugène Onéguine (Kuda, kuda) et qui, en partie, peuvent résumer tout le fil conducteur du livre : « Où sont parties les années de la jeunesse, que va apporter le jour qui vient (…) Dieu offre la splendeur du jour mais aussi offre la nuit sombre (…) mon nom sera comme une poussière emportée par l’oubli, le monde oublie vite ».

Avec ces « Exercices de piété », Jean Clair remonte le temps, celui qui passe et qui ne revient pas, celui des souvenirs et de la mélancolie rampante, du printemps à l’automne de la vie, voire aux portes de l’hiver ; c’est un homme épris d’art et de culture qui regrette et n’espère plus, sauf peut-être encore dans les livres. Car les lettres sont le domaine de l’académicien, des ténèbres de la pensée naît une lumière au cœur du phrasé sémantique.

Pessimisme, réalisme, peut-être les deux. L’homme adulte semble inconsolable même en se remémorant les effluves de l’enfance et de cette terre pas encore abandonnée dans les tourbillons des courses effrénées des âmes humaines. Solo, perduto, abandonado… comme une Manon au masculin errant dans le désert, celui des incertitudes et des désenchantements. La plume de l’écrivain semble jaillir des entrailles de la terre, des « ombres brumeuses » du royaume d’Hadés ou bien du tableau de Munch auquel Jean Clair fait référence, « Le cri ».

Loin d’être toujours d’accord avec les propos de l’auteur, je suis néanmoins en symbiose totale sur les questions de la ruralité ; cette folie des hommes à ne plus respecter les animaux en leur faisant vivre les atrocités de l’élevage intensif, à ne plus savoir vivre avec les saisons, à constater les désastres du capitalisme sauvage qui privent les plus faibles de toute survie. A moins qu’il soit encore possible de reconstituer les ruches d’Aristée avec quelques sacrifices…

Déconcertant de noirceur et pourtant sublime par la beauté du style, c’est un ballet des mots alternant entre la tendresse de l’âme d’un enfant d’autrefois et la flèche quasi pamphlétaire de l’amateur d’art consterné par la provocation contemporaine de soi-disant artistes.
Un rapport à l’écriture proche d’une prière à la littérature, le credo d’un écrivain dans le « miserere » d’une décadence inexorable.

« Je m’assois dans mon fauteuil, et je lis à m’épuiser les yeux. C’est la plus simple des expériences de spiritisme auxquelles on puisse se livrer. Aucun médium, radio, cinéma, télévision n’a ce pouvoir de faire entendre une voix à travers un objet, et de parler en elle. On ne fait pas que ressusciter le mort qui gisait dans les pages, on lui donne sa vie ».

« L’utopie sociale perd de son éclat à s’appuyer sur le progrès technique ».

« Je ne comprends pas le mépris dans lequel nous tenons les animaux, et moins encore la violence que nous exerçons envers eux, comme nous le ferions envers nos ennemis ».

« Les Québécois appellent le selfie un égoportrait ».

« L’écriture est un filet de mots pour attraper les papillons de l’âme »

Terre natale, exercices de piété – Jean Clair – Editions Gallimard – Juin 2019









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