mercredi 28 février 2024

 

Noisette montagnarde

Hors saison

Basile Mulciba

 


 

Il n’y a plus de saison ! Très kitsch comme introduction, je l’avoue. Mais le dérèglement climatique fait que les hivers sont nettement moins rudes ces dernières décennies et que l’enneigement est problématique pour les stations de sport d’hiver – même si le désastre est d’abord d’ordre environnemental.

Hans, qui dirige un vieil hôtel familial, en fait le triste constat. Les clients se font de plus en plus rares et son entreprise est à la peine. Néanmoins, il décide d’embaucher quelques saisonniers dont Yann, un jeune étudiant en médecine passablement désœuvré et qui espère trouver quelque chose en partant sur les hauteurs.

L’absence de réelles occupations lui permet de partir randonner, d’humer un autre environnement, de se dévêtir du poids des inquiétudes et de partager quelques moments festifs avec ses collègues. Aussi taiseux que Hans, les deux hommes vont s’apprendre à se connaître et lorsque les employés vont devoir quitter l’établissement, faute de réservations, Yann décide de rester.

Un roman d’apprentissage aux notes poétiques où Basile Mulciba joue avec les métaphores et une lenteur délicieusement reposante. Mais la première qualité de cette histoire est sans doute la simplicité qui l’environne. La vie dans cet hôtel est assez rudimentaire mais une force indescriptible fait qu’une certaine délivrance du monde suffocant se libère : cette force est la nature pour qui sait la regarder, se fondre en elle. Les mêmes conditions de vie dans une ambiance de béton provoquent le désarroi.

Enneigement vôtre, 

Hors saison – Basile Mulciba – Éditions Gallimard – Août 2023

vendredi 23 février 2024

 

Noisette corse

Sève

Olivier Gallien

 


Ghjulia n’aime pas la Corse, seul le macadam parisien et son travail chez un éditeur trouvent grâce à ses yeux. Mauvais souvenirs de cette Corse après le divorce de ses parents, puis plus récemment, le suicide de son frère Antoine près du puits de la demeure familiale des Mondoloni. Ghjulia est la dernière héritière de cette lignée. Pourtant, elle y retourne malgré les appréhensions, elle sait qu’elle sera bien accueillie par son cousin Jean, un être foutraque au bon cœur. En arrivant elle fait connaissance de Julie, une jeune fille, espiègle et rigolote. Les deux femmes s’entendent très rapidement malgré leur différence d’âge. Julie semble en savoir beaucoup sur son cousin et sur cette ambiance lourde rodant autour de la propriété. Le danger gronde et la violence va éclater de toute part.

Un roman court et intense qu’il est difficile de lâcher en cours de route, un roman qui commence très doucement, une « drôle d’intrigue » où rien ne semble jamais jaillir quand d’un seul coup tout explose. La sève des choses cachées va ramper pour tous les personnages mis en dichotomie dans un huis clos haletant au milieu de cette garrigue corse où seules les feuilles et fleurs de caféier semblent imperturbables.... Violent et pourtant étrangement poétique.

Sève – Olivier Gallien – Éditions Robert Laffont – Janvier 2024

lundi 19 février 2024

 

Noisette cinématographique

 

Poussière blonde

Tatiana de Rosnay

 


 

À l’annonce de la démolition de l’hôtel Mapes, Pauline replonge dans ses souvenirs. Née en France, elle est partie dès l’enfance vivre dans le Nevada suite au remariage de sa mère avec un soldat américain juste après la seconde guerre mondiale.

Passionnée par les grands espaces et les mustangs elle rêve de devenir vétérinaire ; elle est déjà très engagée auprès des chevaux sauvages avec son amie Billie-Pearl. Hélas, elle se retrouve très jeune fille-mère et n’a pas d’autre choix que de travailler pour subvenir à ses besoins. Engagée comme femme de chambre au prestigieux Mapes Hôtel dans la ville de Reno, elle est trop souvent cantonnée au nettoyage des toilettes jusqu’au jour où elle remplace au pied levé une collègue pour s’occuper de la suite 614. Alors qu’elle pense que tout est vide, surgit une femme nue et hagarde : Marylin Monroe ! L’actrice est en tournage pour Les Désaxés et au bord de la rupture avec le réalisateur du film, son mari Arthur Miller. Progressivement, les deux femmes sympathisent.

Quel roman ! Quel régal livresque ! Une rencontre entre deux femmes que tout oppose, en apparence, et qui fait partie de ces hasards qui ne sont que des rendez-vous avec le destin. Pauline, dotée d’une force qu’elle ignore va gagner la confiance de l’actrice en sachant écarter tout orgueil et en veillant à garder une discrétion absolue alors que les rumeurs et ragots ne cessent de circuler à chaque étage de l’hôtel. De son côté, la star va trouver un apaisement avec cette jeune femme discrète et n’hésitera pas à lui apporter son aide et de précieux conseils : dans la vie il faut savoir s’imposer et ne pas hésiter à tenir tête, voire à sortir ses griffes en douceur.

Le portrait de Marylin Monroe est touchant au possible, apparaît la fragilité de cette femme, entraînée dans un tourbillon de paillettes, qui s’égare par l’alcool et l’abus des anxiolytiques mais qui conserve un vrai cœur contrairement à certains vautours…

En parallèle, Tatiana de Rosnay nous emporte par magie dans le désert du Nevada au milieu des hordes de chevaux et des vaillantes personnes s’occupant du sort des mustangs pour ces animaux, synonymes de liberté, puissent continuer à galoper dans cette immensité. Noisette sur la chevauchée, la délicieuse métaphore avec Commander… Je ne vous en dis pas plus !

Poussière blonde – Tatiana de Rosnay – Éditions Albin Michel – Février 2024

 

 

vendredi 16 février 2024

 

Noisette psycho-thrillesque

Entendre nos fantômes

Sacha Perrine

 


Uzès, 1986 : un château, une psychiatre, un capitaine de police, deux femmes qui se détestent, une famille de résistants, des adorateurs de Pétain, des cochons, des rats… Le premier à passer sous la vengeance du Meurtrier Invisible est le boulanger dont il ne reste qu’un doigt sur la scène du crime… de quoi mettre les enquêteurs dans le pétrin ! Un deuxième assassinat va suivre, puis un troisième. Dans cette confusion totale, la presse se déchaîne au fur et à mesure que l’enquête piétine.

Le capitaine Dick Burgaud, revenu juste au pays après dix ans d’absence ne pouvait rêver meilleur accueil ! Au départ opposé à ce que son amie d’enfance, le Dr Vick Vickensen se mêle aux investigations, il consent à la « consulter » pour tenter d’expliquer les motifs sanguinaires du tueur. Surtout que la première victime était un patient assidu du médecin et que les rêves de la psychiatre ont quelque chose d’étrange. Elle seule est susceptible de délier les fils que tissent cet ogre mystérieux. Et si des fantômes avaient quelque chose à dire ? Et si les ombres du passé ressurgissaient ? À force d’avoir caché de terribles secrets, l’orage éclate au cœur de l’été.

Sacha Perrine signe un premier polar absolument époustouflant, laissant le lecteur essoufflé après avoir parcouru 378 pages sans marquer un arrêt. Un livre qui peut déranger et c’est tant mieux car il permet de révéler les mécaniques psychiques d’un tueur en série, d’éviter de galvauder le terme « fou » - bien placer dans un coin de sa tête qu’un fou met en danger avant tout lui-même – d’essayer de comprendre l’incompréhensible et que l’inconscient est un révélateur de gestes a priori inexplicables. Fouiller, chercher sans pour autant donner l’absolution (c’est là que votre serviteur pourrait avoir une sérieuse discussion avec le Dr Vick).

L’auteur, psychanalyste de son état, puise ses références dans la pensée de Freud et parfois dans celle de Lacan, en brouillant les pistes avec moult faits qui s’enchainent et permettent de découvrir progressivement l’histoire du village. Le dénouement est surprenant, très bien ficelé même si votre serviteur avait découvert le pot à noisettes aux deux tiers du roman.

« Yvette n’était pas psychiatre, mais elle avait appris une chose dans la vie : mieux valait parfois blesser quelqu’un qu’on aime plutôt que de répondre à ses interrogations. Et il y avait une règle universelle en la matière : plus la blessure était violente, moins l’être aimé continuait à poser des questions ».

« La vérité, c’est qu’elle aimait se trouver au cœur des drames. C’était le bonheur qui la terrifiait ».

Entendre nos fantômes – Sacha Perrine – Éditions Robert Laffont – Février 2024

mardi 13 février 2024

 

Une noisette, un livre

La maîtresse italienne

Jean-Marie Rouart

 


« On commet moins d’erreurs en ne décidant rien »

 

Suite à son abdication en avril 1814, Napoléon reçoit – par le traité de Fontainebleau – la souveraineté de l’île d’Elbe, entre Corse et côtes toscanes. Il y débarque le mois suivant avec une population qui l’acclame et une petite cour dont fera partie sa mère et sa sœur Pauline. Marie-Louise n’y viendra jamais. Napoléon prend ses quartiers sous la surveillance du jeune colonel Neil Campbell pour empêcher toute évasion…

Pendant ce temps-là, Louis XVIII aménage aux Tuileries, et, en septembre c’est le début du célèbre congrès de Vienne entre gens de soi-disant bonne compagnie. Là, entre autres, le prince de Bénévent rumine comme à son habitude entre deux œillades à sa nièce Dorothée…

Espionnage de part et d’autre, intrigues, chacun ourdit un complot dans le secret des dieux et entre les bras de diverses femmes dont la comtesse Miniaci résidant en Toscane. Elle fait perdre la tête au jeune Campbell pendant que Napoléon agite ses pions pour son retour à Paris.

La suite tout le monde la connaît. Mais pas forcément racontée façon Jean-Marie Rouart qui prend un délicieux plaisir à peindre chaque personnage avec une verve explosive et moult sous-entendus.

« La carrière de ce Jaucourt est des plus plaisantes, c’est lui aussi un virtuose de l’équilibrisme politique, un maestro du retournement de veste : il est passé successivement, apparemment, sans états d’âme, de la protection de la famille de Condé à la Révolution, du Tribunat et des faveurs de l’Empereur, qui l’a fait comte, à un ralliement immédiat à Louis XVIII ; accessoirement, pour complaire à son nouveau maître, il a poussé le zèle jusqu’à faire mettre sous séquestre les biens de la famille impériale. Bien sûr, il se ralliera à la monarchie de Juillet : sénateur, il votera pour Louis Napoléon, et applaudira au coup d’État du 2 décembre. C’est ce qu’on appelle un homme de conviction qui a de la suite dans les idées ».

La maîtresse italienne – Jean-Marie Rouart – Éditions Gallimard – Janvier 2023

lundi 12 février 2024

 

Noisette de réconciliation

De ruines et de gloire

Akli Tadjer

 


Certaines sagas s’essoufflent : l’intérêt décroît, l’émotion perd de sa superbe. Avec ce troisième opus sur le destin d’Adam, Akli Tadjer termine superbement cette histoire commencée en 2021 avec D’amour et de Guerre. Souvenez-vous de ce garçon qui part dans les montagnes algériennes avec sa bien-aimée pour fuir la deuxième guerre mondiale, il a trop en mémoire l’image de son père revenu cassé des tranchées et sans reconnaissance aucune de la France. Puis, vint le deuxième tome : D’audace et de liberté. Adam s’est émancipé, est resté en France après avoir survécu à la guerre mais a soif de liberté. Il rêve de retourner en Algérie avec la personne la plus chère en son cœur : Adam, son fils né de sa liaison secrète avec Zina. Si Zina a disparu, il a été nommé pour s’occuper officiellement du fruit de ses amours inoubliables.

Les années ont passé, nous sommes en mars 1962, à Alger. Les accords d’Évian sont imminents mais le pays est déchiré entre l’OAS et le FLN avec des attentats quotidiens. Les colons veulent garder leur identité française en Algérie pendant que la métropole s’éloigne de son nationalisme et que le peuple algérien veut retrouver son identité et sa liberté. Adam fils est un jeune et brillant avocat vivant avec son père adoré et qui souhaite se mettre au service de l’Algérie libre. Eux deux espèrent tant avec cette indépendance qui se profile. Un dilemme va le mettre dans une position délicate : le cabinet où il travaille lui confie la défense de l’ennemie : une jeune activiste en faveur de l’Algérie française.

Le pilier central du roman est là : le cas de conscience du fils Adam à l’aube de l’indépendance algérienne. Un pays fracturé par des décennies de colonialisme autoritaire ; deux peuples qui se déchirent entre haine et mépris. Pourtant, le jeune Adam – comme son père – refuse la loi du Talion, son seul désir est de retrouver une Algérie apaisée en faisant rejaillir toutes les sources de sa culture.

Akli Tadjer pétrit encore et toujours son stylo dans un bain d’humanisme avec cet esprit de réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée. Si les êtres odieux ne manquent pas, le romancier s’attarde sur ceux qu’il veut mettre en lumière : personnages attachants, parfois ambigus mais toujours solaires. Certains passages sont d’une intensité si forte qu’il est parfois difficile de retenir ses larmes ; la base est une fiction mais avec une réalité en transparence.

En ce XXI° siècle, d’autres peuples se déchirent, d’autres guerres ravagent des vies et des rancœurs sont toujours omniprésentes de chaque côté de la Méditerranée. Puissent les romans d’Akli Tadjer traverser les terres, les mers, franchir les montagnes de l’intolérance pour qu’une humanité se retrouve un jour en paix dans le respect de l’autre, des autres.

Plus qu'un roman, une tribune pour une fresque de la paix. Merci Akli Tadjer, merci.

De ruines et de gloire – Akli Tadjer – Éditions Les Escales – Février 2024

 

 

jeudi 8 février 2024

 

Noisette espionne

L’affaire Martin Kowal

Éric Decouty



« En politique, il faut toujours avoir un ennemi que l’on peut charger de tous les maux »

 

11 mai 1976 : assassinat en pleine rue et à la vue de tous de Joaquin Zenteno Anaya, ambassadeur de Bolivie en France depuis octobre 1973. L’affaire n’est jamais réellement élucidée même si l’attentat est revendiqué par un groupe terroriste d’extrême gauche.

Le journaliste Éric Decouty revient sur ce mystère de la V° République sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing où rien n’est limpide quand il s’agit d’affaire d’État et entre états. En créant le personnage – et quelques autres – d’un jeune inspecteur des Renseignements généraux, le lecteur va suivre une enquête particulièrement sombre et qui laisse, évidemment, une sensation de malaise avec l’envie de s’éloigner encore un peu plus de l’univers du militantisme politique face aux mensonges et procédés machiavéliques.

Martin Kowal, bien que jeune, semble un homme sans illusion aucune. Élevé par son père lui aussi flic et passablement d’idéologie d’extrême-droite, il ne ressentira que de la haine lorsque son géniteur disparait sans laisser de traces pour, paraît-il, trahison. Il est mis sur l’affaire et, plus curieux encore, va être en liaison avec la DST. Il retrouve des « connaissances » de son père ce qui amplifie soit la suspicion, soit la confiance. Plutôt candide et l’esprit parfois embrumé par la consommation de produits illicites, le jeune Kowal finit pas douter et se demander si lui aussi n’est pas victime d’une manipulation diabolique.

Un roman absolument captivant, sans temps mort faisant glisser l'atmosphère dans l’une de ses énigmes classées dans les profondeurs de l’Élysée et des services secrets. Retour également sur une période où les dictatures d’Amérique latine faisaient florès avec la bénédiction de puissances étrangères dont la France, et, la mouvance de l’OAS parfois recasée pour des motifs peu avouables.

Une bibliographie très pointue est ajoutée permettant de constater que l’auteur a recherché moult documents pour raconter cette histoire pas très éloignée d’une opération du nom d’un rapace…

 

L’affaire Martin Kowal – Éric Decouty – Éditions Calmann-Lévy – Octobre 2023

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...