lundi 27 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Le Chevalier fracassé
Colin Thibert

 


Jusqu’où peuvent mener quelques instants de plaisants chatouillements ? Le jeune Alexandre-Joseph va en faire les frais après avoir envoyé une balle entre les deux yeux du père de son amante d’un soir. Pensant être accusé d’un crime qu’il n’avait pas l’intention de commettre il s’enfuit de sa terre natale de Neuchâtel. En toute logique il devient Alessandro lorsqu’il émigre à Paris. Repéré par le lieutenant général de police de Paris, le jeune homme va collaborer et espionner pour les grands du royaume, un royaume aux mille soubresauts face à la tectonique des forces révolutionnaires. Il commence à travailler auprès du célèbre Franz-Anton Mesmer puis d’un certain marquis de Faverolles qui veut mettre au point un procédé révolutionnaire (sans jeu de mots) et qui tombe amoureux du bel Alessandro. Seulement, cocardes et sans-culottes font florès…

Savoureux roman historique qui alterne entre faits ayant existé et situations fictives dont toute ressemblance avec la réalité ne saurait être que fortuite. L’intrigue est judicieusement amenée progressivement, seules les premières pages m’ont fait craindre le pire avec une sempiternelle histoire d’honneur avec accumulation de versets de la Bible. Que nenni ! C'était seulement pour mieux faire languir les lecteurs dans cette romance fracassante d’un chevalier peu scrupuleux. Mais de scrupules n’en cherchons point dans ce royaume divisé qui va bientôt promener des têtes au bout de piques… Colin Thibert ne ménage personne, égratignant tous les profiteurs de cette fin de règne de Louis XVI, dessinant les profils de cette noblesse aux idées rétrogrades et se tirant dans les pattes, et, ne machant pas ses mots pour décrire combien un peuple peut se montrer sanguinaire dès que les barrières tombent. Les vocables papillonnent, jonglent, se déploient dans leurs plus beaux habits mais ne cachent aucunement toute l’hypocrisie des uns et des autres ; l’humour est bien souvent la meilleure stratégie pour révéler le monde. Ce monde qui ne change rien de ses comportements depuis les temps antiques. 

« Cette révolution, déclare-t-il, c’est la boîte de Pandore. Une fois que l’on a soulevé le couvercle, impossible de le remettre en place ! Il ne cesse de s’en échapper des créatures de plus en plus abominables, assoiffées de vengeance et de sang. Que reste-t-il de la belle unanimité du début ? Oubliées, l’égalité, la liberté et la fraternité ? On ne se bat plus, désormais, que pour l’exercice du pouvoir. Les rivalités s’exacerbent, les cliques se dressent les unes contre les autres. On conspire comme on respire. Travaillée par des agents royalistes, financée en sous-main par l’Angleterre, la Vendée, d’après mes informations, est sur le point de se soulever contre la république. Notre ami Perregaux, quant à lui, paye des agents pour attiser les haines et les passions. Sa théorie ? Susciter le chaos dans l’espoir d’un ferme retour à l’ordre qui favorisera le développement de ses affaires. Une stratégie habile mais fort hasardeuse, de mon point de vue. Voyez-vous, mon cher chevalier, vous avez pu tomber entre les pattes des royalistes aussi bien qu’entre celles des Brissotins, des Pétionistes, des Rolandins ou des Hébertistes, tant pullulent les factions. Ce commissaire qui a échoué à vous extorquer des aveux sera peut-être ministre demain. À moins que sa tête ne roule dans la sciure ».

Le Chevalier fracassé – Colin Thibert – Éditions Héloïse d’Ormesson – Février 2023

mardi 21 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Le maître des esprits
Robert de Laroche

 


Bien que l’écureuil n’appartienne pas à la gent féline, un doux miaulement semble surgir de mon être lorsque je commence la lecture d’un nouvel opus de Robert de Laroche mêlant intrigue, histoire, Venise et quelques soubresauts de chats.

Nous sommes à nouveau à la moitié du XVIII° siècle dans une Venise, certes flamboyante, mais toujours aux prises avec la corruption, la débauche et les rumeurs incessantes. Des tremblements de terre à répétition ne vont pas améliorer le sort des pauvres gens ni mettre fin aux croyances les plus irréelles. Surtout avec l’arrivée de Madame d’Urfé, veuve de La Rochefoucauld-Lascaris, célèbre cabaliste et victime d’aventuriers plus prosaïques, loin de pratiquer la véritable alchimie. Comme celui qu’elle fait venir sur les terres vénitiennes, un Mage de Prague qui doit être très certainement aussi tchèque que votre serviteur est poisson ! Venise tremble – dans tous les sens du terme – d’autant plus qu’une momie vient d’être détectée entre les murs de la chambre de la très respectable nobildonna Contarini dal Zaffo. Notre cher détective amateur Flavio Foscarini, aidée par sa charmante épouse Assin, va démêler cette imbroglio entre forces occultes et profiteurs vénaux. Avec l’aide d’un séduisant personnage : le sieur François-Augustin Paradis de Moncrif, académicien et auteur de la remarquable « Histoire des chats ». 

Plus besoin d’ajouter que ce thriller historique est d’un charme fou avec une plume tout en volupté. Savant mélange d’histoire et de fantaisies, de piques et de pointes, de gravité et d’humour avec ce savoir-faire qui consiste, sans en avoir l’air, à peindre par la fiction la réalité des réactions humaines.

Mettre des mots pour maître des esprits.

Le maître des esprits – Robert de Laroche – Éditions Folio – Février 2023

lundi 20 février 2023

 

Une noisette, une rencontre
 
Mona Azzam à la librairie l’Écume des pages

 


 

« J’extirpe l’enveloppe de la poche de ma veste, la glisse, les doigts tremblants, sur la table devant elle. Puis je m’en vais, la laissant seule, en tête-à-tête avec les mots d’Albert. Je me sens subitement plus léger. Comme délesté d’un poids qui n’était devenu que trop pesant. Au moment où je pousse la porte de l’Écume des pages, il me semble entendre le rire d’Albert. Son rire est franc. Et je comprends qu’il est heureux de ma démarche du jour ».



Heureux le public venu nombreux à la mythique librairie l’Écume des pages pour le lancement du dernier livre de Mona Azzam « Camus, l’espoir du monde » que j’ai eu l'honneur d’animer.

Mission réussie pour faire revivre Albert Camus, ses mots légendaires avec également l'esprit de René Char, Louis Guilloux et Maria Casarés. Pourtant, l’exercice était difficile mais la romancière a eu l’intelligence de ne pas se prendre pour Camus malgré la rhétorique de sermocination mais de s’être interrogée sur ce que Camus aurait pensé de notre monde actuel et d’essayer – à l’aide de ses écrits, d’où les nombreuses citations le long du livre – d’y apporter une réponse.



À l’écouter, plus aucun doute que le Prix Nobel de littérature est son mentor, son maître, sa boussole. Elle en parle comme si c’était un père, un frère. Ou plutôt, un amant. Un amant avec qui elle partage l’amour des belles lettres, la sensibilité, l’engagement pour un monde plus juste et cet espoir qu’il faut garder en dépit de tout.

De nombreuses questions sont venues également du public avec une émotion à son climax lorsqu’un participant a émis l’idée que Mona Azzam serait le double d’Albert Camus, à la façon d’un Émile Ajar… Oui, comme le disait René Char, « Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores ».

Du fond de la noisette, merci à Mona Azzam pour sa confiance et bienveillance, merci aux éditions d'Avallon, merci à la librairie l'Écume des pages et grand merci à vous tous d'être venus. 

Noisettement vôtre,




 🐾Ma chronique sur « Camus, l’espoir du monde est à retrouver ici



Photos © Benoît Lacoste et Philippe Huchet

samedi 18 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
L’amour comme un empire
Yasmine Char

 


Beyrouth. Quelque temps avant l’explosion du port. Il restait encore un peu d’espérance dans le cœur de ses habitants qui font preuve inlassablement de courage à travers les vicissitudes de leur histoire. Line fait partie de cette catégorie, prête à soulever des montagnes. Directrice d’un théâtre, la cinquantaine flamboyante, une fille, mariée à un célèbre chirurgien esthétique – elle est probablement la seule femme de son entourage à résister aux bistouris de son mari. Le grand amour n’est plus très vivace au sein du couple, néanmoins l’entente semble quasi intacte.

Préoccupée par le sort des réfugiés – le Liban est l’un des pays à en accueillir le plus – elle veut lancer une opération en leur faveur. En commençant par une manifestation. Elle se retrouvera seule avec sa pancarte. La résignation ne faisant pas partie de son vocabulaire, elle décide de proposer un spectacle dans le théâtre qu’elle dirige avec trois exilés représentatifs de cette détresse qui est de se retrouver hors de chez soi dans des conditions extrêmes. Elle attend énormément d’un acteur renommé et nommé B avec qui elle débute une relation extra-conjugale. Pourra-t-elle indéfiniment compter sur son soutien ? Le combat va devenir encore plus rude lorsque les filles de la propriétaire du théâtre vont entrer dans le jeu…

Un roman parfaitement maîtrisé avec une plume qui a su habiller chaque mot. Portrait sans concession de la société libanaise avec ses passions, sa beauté, sa soif de vivre face aux affres du destin avec, au premier plan, une femme qui revendique sa liberté et fuit le patriarcat étouffant. Mais le protagoniste qui accompagne Line se nomme Solitude, un compagnon excessivement lourd lorsqu’une personne veut s’engager, lutter et, tout simplement, vivre. En parallèle, Yasmine Char décrit la situation de ces camps où le désespoir règne en maître au milieu d’êtres humains dénués de tout avec ce cri déchirant d’un petit réfugié qui est le climax de ce roman, roman que j’aurais d’ailleurs intitulé « À quoi ça sert si le cœur ne sait pas aimer »

L’amour comme un empire – Yasmine Char – Éditions Gallimard – Février 2023

samedi 11 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Dès les pâlissements de l’aube
Luc Baranger

 


1918. Tranchées de l’Argonne lors de la première guerre mondiale. Chaos d’une guerre, effroi de puanteur, de douleurs, les morts s’entassent au grés des balles et des tirs de baïonnettes ; la boue de la terre est mille fois plus pure que l’âme belliqueuse des faiseurs de tueries. Mais chacun est là, plus ou moins de manière forcée, quel que soit le clan. Certains sont persuadés d’agir pour la bonne cause, le bourrage de crâne facilitant les pensées patriotiques. D’autres ne savent même plus pourquoi ils sont à patauger dans ce merdier. Et puis, il y a cet indien Lakota, Dull Down, intrépide et prêt à tout pour se battre. Son idéal n’est en rien l’Amérique, il la déteste. Il est là par vengeance envers un homme qui a massacré sa famille près de trente ans auparavant : le général Pershing, l’un des responsables du massacre de Wounded Knee le 29 décembre 1899.

Entre deux batailles, le narrateur raconte comment Dull Down en est arrivé là. Comme d’autres de ses compatriotes. « Six à sept millions d’indiens morts en Amérique du Nord (…) sans le moindre mausolée. L’énormité du chiffre justifiait l’indigence du mot haine quand Dull cherchait le terme exact pour définir ce qu’il éprouvait à l’encontre des neveux de l’oncle Sam » Ceux qui avaient survécu à ce génocide pouvaient bien servir de chair à canon ! La France avait ses tirailleurs sénégalais, les US avaient leurs esclaves et les peaux dites rouges. Le rouge aurait pourtant mieux convenu à la honte des « Wasichu ».

Grande fresque historique faisant référence à des personnages ayant existé comme Sitting Bull, un sage bison assis mais qui n’hésita pas à se mettre debout pour s’indigner et lancer une révolte sioux. Poursuivi par les instances nord-américaines il s’enfuit au Canada et c’est là qu’il rencontre un autre héros : Jean-Louis Égaré qui sauva au moins quatre mille sioux de la mort. Ce Canadien mériterait d’ailleurs un peu plus de reconnaissance pour avoir aidé sans compter.

Mais le roman ne s’arrête pas là dans sa puissance, c’est également un vibrant plaidoyer contre LA guerre, contre TOUTES les guerres, TOUTES les barbaries. Deux petits extraits mais deux grandes vérités :

« De quelles contradictions parles-tu ?  Le Sioux sourit mollement et expliqua d’un ton las : Y en a tellement, on n’a que l’embarras du choix…Tiens, un exemple. En janvier dernier, le président Wilson a dit que les États-Unis combattaient en France, tiens-toi bien, pour « défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Ça le gène pas le moins du monde d’affirmer ça alors que vous, les Américains, vous venez tout juste de tuer des centaines de milliers d’Indiens qui avaient justement une folle envie de disposer d’eux-mêmes. Faire du cynisme un principe de gouvernance, j’avoue que ce n’est pas donné à tout le monde ».

« Pas très loin, sur la droite, d’autres soldats discutaient, sûrement en se passant des bouteilles de tue-la-mort. Mis à part la barrière de la langue, se demanda le Sioux, au bout de quatre ans de combats, neuf millions de morts, vingt d’estropiés, qu’est-ce qui pouvait bien retenir ceux d’un camp d’aller trinquer avec ceux d’en face ? Après tant de temps où chacun avait eu le loisir de mesurer la bravoure, l’abnégation, le caractère borné et la stupidité de l’autre, savaient-ils encore pourquoi ils s’entretuaient avec autant d’application ? Comment tout cela finirait-il ? »

À ces guerres iniques, l’auteur met en scène une parabole, celle d’un combat de wapitis, version indienne de la victoire à la Pyrrhus, mais décrit de telle sorte, que le comportement humain est encore plus tourné au ridicule. Car est déployé régulièrement une pléthore de bouffonnerie – se hâter de rire de tout – avec comme point culminant la leçon équestre d’un indien sioux à un instructeur ayant fait ses classes au Cadre Noir de Saumur. Je n’indique, ici, que la chute : « Moi [Big Bear] Somour, jamais entendu parler, avait-il parlé au capitaine demeuré droit dans ses bottes et bec pincé. Moi, réserve de Rosebud, Dakota du Sud. Après cette brève et percutante démonstration du savoir-faire lakota en matière de monte, Amilcar du Pavy de la Cressonnière avait renoncé à parader dans la cour, juché sur son alezan », l’intégralité de la scène allant des pages 437 à 442.

Beaucoup serait encore à écrire – notamment sur le Wild West Show – tant ce roman n’est pas seulement grand, il est immense. Implacable et favorisé par une écriture de haut vol. À faire lire d’urgence à tous les va-t-en-guerre !

Dès les pâlissements de l’aube – Luc Baranger – Éditions des Équateurs – Janvier 2023

 

 

vendredi 10 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Camus, l’espoir du monde
Mona Azzam

 




 

Et si Camus n’était pas mort lors de son accident de voiture en janvier 1960 ? S’il avait survécu après un long sommeil et découvert le monde des années quatre-vingt… qu’aurait été sa vision ? Prenant pour base l’hypothèse de l’universitaire Giovanni Catelli – souvent rejetée mais toujours soutenue par Paul Aster – développée dans « La mort de Camus », Mona Azzam offre un roman incroyable, mêlant inspirations camusiennes et réflexions sur les pérégrinations de nos sociétés actuelles. Dans un élan gonflé de poésie et d’humanité.

4 janvier 1980. Hôpital Bourdenko de Moscou. Le patient de la 1960 semble soulever ses paupières lorsque Natacha, l’infirmière, lui prodigue les soins d’hygiène. Il se réveille après vingt ans de coma. Premier miracle. Deuxième miracle, elle l’a reconnu : c’est Albert Camus, arrivé dans des conditions mystérieuses à Moscou. Ayant appris la langue de Molière, ils vont se parler, se confier, et Natacha va discrètement l’aider à rejoindre le territoire français.

4 février 1980. Saint-Brieuc. Albert Camus commence sa résurrection chez son ami Louis Guilloux en attendant de retrouver d’ici peu l’autre grand confident : René Char. Personne d’autre ne devra savoir que Camus est de retour. Même pas Catherine. Même pas Maria. Cela n’empêchera pas Camus de continuer à écrire pour dénoncer les injustices du monde et saluer les belles actions. Albert va devenir Alexandre pour un chant d’espoir du monde.

Après une brève mais subtile évocation à Pasternak, la soudaine renaissance d’Albert Camus entraîne chacun de nous vers ce pourquoi il a toujours écrit : ne pas rester silencieux aux bruits du monde et sauvegarder l’homme de la peste de l’inhumanité. Exemples : l’importance des langues et des cultures algériennes « priver un peuple de sa langue, c’est l’amputer de son âme » ; le coup d’État en Espagne et lorsqu’un évènement se produit à l’étranger « Cela nous concerne tous » ; l’abolition de la peine de mort par Robert Badinter « Pour une fois, les mots ne sont pas des mensonges » la justice ne sera pas de demander la tête d’un homme ; la guerre en Irak « C’est à croire que l’homme puise sa survie dans les rouages de la violence. Or la violence n’est nullement une expression de l’intelligence » ; le terrorisme « Au nom de quoi un homme se permet-il de décider de la vie et de la mort d’autrui » ; l’assassinat d’Indira Gandhi « Sans un réveil, sans la lucidité, les armes et la violence triompheront. Alors il sera trop tard » ; la torture déclarée illégale par l’ONU en…1984.

Et puis, l’une des séquences « émotion » est lorsqu’Alexandre signe un article pour saluer la mémoire de Romain Gary « Romain Gary fait partie de ces êtres qui ont vécu aussi bien sur un grand désespoir que sur un grand espoir, oscillant sans cesse entre les deux, jusqu’à ce que les deux finissent par s’imbriquer l’un dans l’autre ». Mona Azzam ne traduit pas que l’esprit de Gary, elle traduit en même temps celui d’Albert, tous deux amoureux de la justice, de la Méditerranée et fuyant le sérail synonyme de vacuité.

Quelle gageure ce roman ! Car la sermocination utilisée par Mona Azzam n’est pas une figure de rhétorique pour se prendre pour Albert Camus mais pour s’interroger sur ce que l’écrivain aurait pensé de notre monde actuel et d’essayer – à l’aide de ses écrits, d’où les nombreuses citations le long du livre – d’y apporter une réponse. Et c’est une réussite totale, aussi bien pour l’âme du Prix Nobel qui flotte sur les pages que pour la prouesse scripturale qui jaillit de toute part. La romancière brille par l’art du détail, si bien qu’une seule lecture n’est pas suffisante pour saisir les maintes subtilités et les moult références : de Pasternak au chef-d’œuvre des jumeaux…

Un roman aussi allégorique que l’était le romancier, aussi lumineux que cette phrase qui peut résumer un peu l’ensemble « L’espoir est le moteur qui nous fait avancer » car oui, il faut garder cet espoir, en dépit de tout. Même de ce qui paraît insurmontable. Merci Mona Azzam, merci Albert Camus. Merci à tous ces aèdes qui refusent les silences – sauf ceux qui sont « philarmoniques » – pour écouter les bruits du monde et briser ceux qui ne sont pas harmonieux.

« Écrire sur Camus aujourd’hui me semble être une nécessité. Dans un monde de plus en plus en proie aux individualismes, aux extrémismes et aux conflits interminables, il ne se passe guère un jour, face aux turbulences qui perturbent – et ne peuvent que perturber – tout être humain, où l’on ne s’interroge sur ce que dirait Albert Camus. Celui qui, somme toute, n’était ni tout à fait Algérien, ni tout à fait Français mais foncièrement, entièrement, un citoyen du monde. Celui qui n’a pas fini de nous interpeler et de nous invectiver. Fort heureusement ».

« L’homme mûr que je suis s’abreuve de musique. Et de silences philarmoniques »

« Il se trouvera un jour quelques hommes pour faire ce qu’il convient de faire : agir pour trouver un antidote à la peste »

Camus, l’espoir du monde – Mona Azzam – Éditions d’Avallon – Février 2023

mardi 7 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Blanc
Sylvain Tesson

 


Blanc ou le tour des Alpes en quatre-vingt-cinq jours par deux explorateurs du monde : Sylvain Tesson et Daniel du Lac. Auquel s’est ajouté un troisième en cours de parcours, Philippe Rémoville : ces rencontres du hasard sur les chemins noirs, sur les chemins blancs.

Blancheur du massif alpin – tout au moins encore – qui semble évoquer pour Sylvain Tesson toutes les couleurs de la vie, avec ses montées et ses descentes. Froideur de la glace, chaleur d’un rayon de soleil semblant vouloir fendre une cime, solitude de l’espace, souffrance d’une montée vers les cieux, réconfort autour d’un thé qui diffuse une fumée blanche ; habemus mons !

L’abordage de cette traversée est historique : l’écrivain grimpeur révise l’histoire au fur et à mesure des dénivelés : « On pouvait s’occuper à remonter la pente telle une échelle du temps en associant mentalement les altitudes aux dates de l’Histoire ». Ce qui provoque une révision chronologique depuis Charlemagne (800m) en remontant vers Napoléon (1800m), puis, explorer en mode Madame Irma le futur au-delà de 2020m).

Le rythme de la narration est simple : par étapes, comme des encordées. Mais l’ennui est refusé au pied des pistes. Magie du Blanc, magie de la plume qui progresse sans énumérer les faits et gestes : plutôt les diluer dans le paysage, les éviter près d’une crevasse, les économiser lors d’une montée face à un vent de 100km/h, les rejeter lors d’une soirée au chaud – toute proportion gardée – dans un refuge bienvenu, mais les libérer pour ses pensées et les invocations littéraires. L’amitié est une obligation, la bienveillance, une option qui coule entre les hommes et dans les paragraphes de ce récit. Quoique. Sylvain Tesson, qui ne peut rester de glace face aux élucubrations de la gent humaine ne peut éviter – et c’est tant mieux – quelques pics, piques comme la vésanie d’Isola 2000 dans le tout modernisme des Trente Glorieuses où les errances des puissants à enfermer dans une bergerie aseptisée les moutons à deux pattes lors d’un virus mondial.

Ce livre est une évasion. Logique. Il est aussi un missel – là encore logique puisque la montagne est l’église de Sylvain Tesson – et un guide anti apitoiements. Il renouvelle l’esprit français qui se hâtait de rire de tout, mettait de la légèreté dans la lourdeur, faisait naître un souffle dans l’épuisement, dispersait des flocons pour purifier la grisâtre des esprits.

« Je pensais à la lueur des gazinières de ma grand-mère, faible, inextinguible. Et pendant que le vent arrachait les crénelures des corniches, je cherchais la gazinière. Il y avait un autre secours contre la tempête : se souvenir de la douleur des autres, y comparer la sienne et s’apercevoir qu’elle n’est rien ».

« L’Histoire est ce qui passe au milieu de ce qui demeure ».

« Quand une société vit derrière un écran, il n’est pas difficile de lui faire porter un masque ».

« Là, où le chamois passe, la montagne tient » Daniel du Lac

Blanc – Sylvain Tesson – Éditions Gallimard – Octobre 2022

 

 

lundi 6 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
L’indélicatesse
Erik Martiny

 


Xavier Bovary paraît un homme heureux : une épouse canon, deux enfants exemplaires et il a son métier de dermatologue dans la peau. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais le jour où il est convoqué chez un notaire pour un legs de son grand-père, un cadeau pour son cinquantième anniversaire, tout bascule. Grand est son étonnement lorsqu’il ouvre le coffret : découvrir qu’il s’agit d’un vieux pistolet va agir comme une décharge.

D’aucuns trouveront peut-être que le démarrage est long à la détente – ce qui a été le cas pour votre serviteur – malgré la finesse de la langue et les divers jeux de mots qui cabriolent allégrement. Ce n’est qu’une diversion. La suite va s’avérer beaucoup moins joyeuse et absolument rien de primesautier se dissimule dans l’âme de cette encre qui va se noircir dramatiquement.

L’auteur fait évidemment référence à Madame Bovary et à son mari médecin de Charles. La ressemblance s’arrête là. Ou presque. Erik Martiny laisse une empreinte, malgré ses précautions à y mettre des gants. Est-ce une vision trop large de ma part d’y voir une critique acerbe sur les apparences et les dérives de l’amour conjugal ? Possible. Un roman qui s’avère d’un bien plus gros calibre que peuvent laisser paraître les tournures des premières pages et qui, pour effacer le côté noir de la narration l'ornemente de moult références littéraires. 

L’indélicatesse – Erik Martiny – Éditions Le Passage – Janvier 2023

mercredi 1 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Des lendemains qui chantent
Alexia Stresi

 


Une furtiva lagrima… Furtive larme en se séparant d’Elio Leone mais sourire d’immense satisfaction de l’avoir rencontré par la plume d’Alexia Stresi qui signe un roman sublime sur le destin d’un ténor dont sa force est à la hauteur de sa voix : exceptionnelle.

L’effervescence souffle aux alentours de la place Boieldieu dans ce Paris des années 30 : c’est la première de Rigoletto de Verdi salle Favart. Les mélomanes accourent, ceux qui ne le sont pas aussi : les mondanités exigent des sacrifices pour être vu ou bien pour lorgner sur sa maîtresse ou bien encore pour montrer son nouveau chapeau à plumes ; le spectacle étant parfois des deux côtés de la scène. Frénésie toute avec l’angoisse du lever de rideau. Mais ce soir-là, les rôles principaux sont ignorés, tous ont les yeux et surtout les oreilles orientées vers le ténor qui interprète Borsa ! Mais qui est ce prodige ?

Elio Leone est né près de Naples en 1912 dans des conditions misérables. Fruit d’une liaison hors mariage, sa maman décède quelques heures après sa naissance. Orphelin, il sera placé chez des religieuses puis, dans son malheur, aura la chance de croiser le si humain Giuseppe Tropano qui décèle chez ce tout jeune enfant des dons, lui, ce médecin qui veut absolument aider tous ces abandonnés de la vie qui hantent les couloirs de son hôpital. Elio va s’épanouir durant quelque temps mais le destin lui fera connaître encore un chemin jonché de pierres jusqu’au jour où il croise – grâce à cette persévérance qui est sienne – sa deuxième bonne étoile en la personne de Mademoiselle Renoult.

Ceci n’est qu’une ouverture, à vous de découvrir les différents actes de cet opéra livresque avec un final s’inscrivant peut-être sur une portée romantique. Mais que les non-mélomanes se rassurent : ce roman n’est en rien un document ou une analyse du monde lyrique. Si le décor, ses ornementations et sa fondation sont effectivement le bel canto, le cœur de l’histoire est celle d’un homme et de sa bravoure, de ses sentiments qui se déploient bien loin du monde des paillettes, de sa dignité inébranlable et du pouvoir de la résilience. Quant à l’écriture, elle est rythmée comme un allegro ma non troppo et oscille entre réalisme et vérisme ; des mots pour une partition sans fausse note.

À travers ce récit, la romancière porte également un regard sensible sur le monde, avec ses dérives et ses enchantements. Elio connaîtra la misère, l’hypocrisie, la récupération politique, la trahison, la guerre, la descente aux enfers ; mais il découvrira également la bonté de certaines âmes, les forces de la nature, le pouvoir des peuples premiers, l’amitié et peut-être enfin le véritable amour, celui qui fait regarder dans la même direction. Et combien il ne faut pas s’arrêter aux préjugés ! Ce ténor est loin d’être une diva et preuve qu’il faut souvent creuser autour d’une personne pour découvrir ses véritables racines.

Il est rare que je reste plusieurs jours sans lire. Pourtant, au dernier mot lu je n’ai pu commencer une autre lecture. Pourquoi ? L’émotion, sûrement. Mais pas que. L’écriture et les personnages si attachants d’Elio, de Giuseppe, Clairvius – sachez que vous ferez également un saut en Haïti au pays des vaudous – Sœur Annamaria… sans oublier Eugène Vanzo – rappelant un célèbre ténor français – font que ce roman est à l’image de l’art lyrique : absolu. Comme pour la musique de Mozart, la lecture achevée, les mots d’Alexia Stresi planent encore…

Ô littérature pleine de grâce

« La nature paraît encore plus belle quand on sait comment elle a été créée. Les couchers de soleil, n’en parlons pas. Tous les soirs, Elio le constate, Dieu pioche parmi les couleurs à sa disposition et les dispose en taches dans le ciel, au milieu de petits nuages qui flottent. En grimpant sur le promontoire appelé Capo Bianco, on a l’impression d’être soi-même avalé par tout son orange et ses roses ».

« Ce fut d’abord un mmm, marmonné lèvres serrées. Puis quelque chose se produisit. Un homme se lança. C’était Giovanni. Bientôt suivi de Luigi. De Vittorio (…) Tous. Les femmes aussi et comment ! La foule s’exaltait à gorge déployée, sans plus prêter attention aux enfants, sans s’occuper de justesse, de noblesse, ni d’exactitude des paroles. D’ailleurs, force est de constater qu’il y avait quand même tout ça (…) Deux cents personnes chantaient comme on se donne la main, portées par le même enthousiasme. Ce n’était plus un public, c’était une force (…) Le chœur des esclaves, célébré a capella par un village entier analphabètes (…) Elio n’était plus seul dans la vie. Grâce à la musique et à la force collective des gens de Zanolla. Sous ses yeux, dans ses oreilles, l’île se faisait communauté. Je suis l’in deux, se répétait-il en regardant les visages autour de lui, je suis un des leurs. Quand on a enfin trouvé une famille, il ne faut plus jamais la quitter ».

Des lendemains qui chantent – Alexia Stresi – Éditions Flammarion – Février 2023

 

 

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