mercredi 1 février 2023

 

Une noisette, un livre
 
Des lendemains qui chantent
Alexia Stresi

 


Une furtiva lagrima… Furtive larme en se séparant d’Elio Leone mais sourire d’immense satisfaction de l’avoir rencontré par la plume d’Alexia Stresi qui signe un roman sublime sur le destin d’un ténor dont sa force est à la hauteur de sa voix : exceptionnelle.

L’effervescence souffle aux alentours de la place Boieldieu dans ce Paris des années 30 : c’est la première de Rigoletto de Verdi salle Favart. Les mélomanes accourent, ceux qui ne le sont pas aussi : les mondanités exigent des sacrifices pour être vu ou bien pour lorgner sur sa maîtresse ou bien encore pour montrer son nouveau chapeau à plumes ; le spectacle étant parfois des deux côtés de la scène. Frénésie toute avec l’angoisse du lever de rideau. Mais ce soir-là, les rôles principaux sont ignorés, tous ont les yeux et surtout les oreilles orientées vers le ténor qui interprète Borsa ! Mais qui est ce prodige ?

Elio Leone est né près de Naples en 1912 dans des conditions misérables. Fruit d’une liaison hors mariage, sa maman décède quelques heures après sa naissance. Orphelin, il sera placé chez des religieuses puis, dans son malheur, aura la chance de croiser le si humain Giuseppe Tropano qui décèle chez ce tout jeune enfant des dons, lui, ce médecin qui veut absolument aider tous ces abandonnés de la vie qui hantent les couloirs de son hôpital. Elio va s’épanouir durant quelque temps mais le destin lui fera connaître encore un chemin jonché de pierres jusqu’au jour où il croise – grâce à cette persévérance qui est sienne – sa deuxième bonne étoile en la personne de Mademoiselle Renoult.

Ceci n’est qu’une ouverture, à vous de découvrir les différents actes de cet opéra livresque avec un final s’inscrivant peut-être sur une portée romantique. Mais que les non-mélomanes se rassurent : ce roman n’est en rien un document ou une analyse du monde lyrique. Si le décor, ses ornementations et sa fondation sont effectivement le bel canto, le cœur de l’histoire est celle d’un homme et de sa bravoure, de ses sentiments qui se déploient bien loin du monde des paillettes, de sa dignité inébranlable et du pouvoir de la résilience. Quant à l’écriture, elle est rythmée comme un allegro ma non troppo et oscille entre réalisme et vérisme ; des mots pour une partition sans fausse note.

À travers ce récit, la romancière porte également un regard sensible sur le monde, avec ses dérives et ses enchantements. Elio connaîtra la misère, l’hypocrisie, la récupération politique, la trahison, la guerre, la descente aux enfers ; mais il découvrira également la bonté de certaines âmes, les forces de la nature, le pouvoir des peuples premiers, l’amitié et peut-être enfin le véritable amour, celui qui fait regarder dans la même direction. Et combien il ne faut pas s’arrêter aux préjugés ! Ce ténor est loin d’être une diva et preuve qu’il faut souvent creuser autour d’une personne pour découvrir ses véritables racines.

Il est rare que je reste plusieurs jours sans lire. Pourtant, au dernier mot lu je n’ai pu commencer une autre lecture. Pourquoi ? L’émotion, sûrement. Mais pas que. L’écriture et les personnages si attachants d’Elio, de Giuseppe, Clairvius – sachez que vous ferez également un saut en Haïti au pays des vaudous – Sœur Annamaria… sans oublier Eugène Vanzo – rappelant un célèbre ténor français – font que ce roman est à l’image de l’art lyrique : absolu. Comme pour la musique de Mozart, la lecture achevée, les mots d’Alexia Stresi planent encore…

Ô littérature pleine de grâce

« La nature paraît encore plus belle quand on sait comment elle a été créée. Les couchers de soleil, n’en parlons pas. Tous les soirs, Elio le constate, Dieu pioche parmi les couleurs à sa disposition et les dispose en taches dans le ciel, au milieu de petits nuages qui flottent. En grimpant sur le promontoire appelé Capo Bianco, on a l’impression d’être soi-même avalé par tout son orange et ses roses ».

« Ce fut d’abord un mmm, marmonné lèvres serrées. Puis quelque chose se produisit. Un homme se lança. C’était Giovanni. Bientôt suivi de Luigi. De Vittorio (…) Tous. Les femmes aussi et comment ! La foule s’exaltait à gorge déployée, sans plus prêter attention aux enfants, sans s’occuper de justesse, de noblesse, ni d’exactitude des paroles. D’ailleurs, force est de constater qu’il y avait quand même tout ça (…) Deux cents personnes chantaient comme on se donne la main, portées par le même enthousiasme. Ce n’était plus un public, c’était une force (…) Le chœur des esclaves, célébré a capella par un village entier analphabètes (…) Elio n’était plus seul dans la vie. Grâce à la musique et à la force collective des gens de Zanolla. Sous ses yeux, dans ses oreilles, l’île se faisait communauté. Je suis l’in deux, se répétait-il en regardant les visages autour de lui, je suis un des leurs. Quand on a enfin trouvé une famille, il ne faut plus jamais la quitter ».

Des lendemains qui chantent – Alexia Stresi – Éditions Flammarion – Février 2023

 

 

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