vendredi 3 mai 2024

 

Cocktail de noisettes

Le barman du Ritz

Philippe Collin

 


Depuis 1898, l’hôtel Ritz honore la luxueuse Place Vendôme de sa présence. Créé à la place des hôtels particuliers de Gramont et Cozat, César Ritz a fait de ce palace un théâtre permanent. Pendant la première guerre mondiale, l’hôtel avait été en partie transformé par la Croix-Rouge en hôpital militaire. En 1921, un nouvel espace est ouvert, le Café parisien qui deviendra le refuge des américains de renom en mal de prohibition dont Ernest Hemingway ou F. Scott Fitzgerald (Une de ses nouvelles porte le nom du célèbre établissement). Dès l’ouverture, un barman, ayant fait ses preuves outre-Atlantique, est engagé : le 6 avril, à l’âge de trente-sept ans ; Franck Meier devient l’incontournable personnage de cet antre parisien. Tous ignorent que cet Autrichien est d’origine juive mais l'occupant allemand a un doute…

Pendant la seconde guerre mondiale, l’hôtel Ritz devient l’antichambre de la Luftwaffe mais reste une sorte de territoire neutre par l’origine suisse des propriétaires, à cette période, dirigé par la veuve Ritz, Marie-Louise qui ne se gêne pas pour amadouer ses nouveaux locataires d’outre-Rhin. Le Ritz devient une plaque tournante de la collaboration mais est aussi un lieu où certains essaient de sauver des juifs et des résistants. Parmi ceux qui font bonne figure tout en glissant de faux-papiers se trouve Franck Meier qui, d’ailleurs, réceptionnait des messages codés pour l’opération Walkyrie. Autre figure incontournable Blanche Auzello née Rubinstein.

C’est cette histoire que nous narre avec brio Philippe Collin en y ajoutant quelques personnages nés de son invention. Et quelle narration ! Dynamique, précise avec cet art de manier le verbe et la verve pour rendre le plus vivant possible ce pan de l’histoire française qui transcrit l’ambiance de la France sous le III° Reich. Dans ce palace resté accessible au public, le seul – sous couvert de propagande – le bar est une diapositive de cette France occupée où circulaient dans un même périmètre les espions, les résistants, les collabos, les courtisanes…, il a été le théâtre d’un jeu du chat et la souris sous les arcades de toutes les ruses pour réussir à s’en sortir.

Le barman du Ritz ou le destin social de Franck Meier sous les ors d’un palace parisien et des flammes de l’enfer nazi.

🍸Au roman, s’ajoute la publication – toujours chez Albin Michel et pour la première fois en langue française – de L’art du Cocktail écrit par Franck Meier lui-même où il révèle son talent de la mixologie. Richement illustré.

Le barman du Ritz – Philippe Collin – Éditions Albin Michel – Avril 2024

L’art du Cocktail – Franck Meier – Traduction : Céline Da Viken Le Gal – Préface : Philippe Collin – Illustrations : Delius

jeudi 2 mai 2024

 

Noisette sanglante


Le rouge et le blanc

Harold Cobert

 


Russie, 1914 - Deux frères et une sœur de lait. Amis normalement pour la vie. Sauf si les soubresauts d’un pays ne sont que les prémices d’un tremblement politique à la puissance incalculable sur l’échelle du temps.

Alexeï et Ivan sont nés dans une famille d’aristocrates russes dont l’éducation est orientée sur le devoir et une rigidité patriarcale, et, où les sentiments sont aléatoires. Alexeï est en faveur d’un renouveau démocratique sous les couleurs libérales. Ivan ne jure que par la révolution sous la bannière marxiste. Natalia, la sœur de lait, est la fille de la gouvernante et de l’administrateur des terres, rapidement elle va rejoindre Ivan dans son combat anarchiste puisqu’il sonne, au départ, humaniste.

Mais les évènements tournent progressivement au drame, tout va basculer pour la fratrie qui va se déchirer sous les couleurs rouges et blanches.

À travers pratiquement un siècle d’histoire - jusqu'à la chute du mur de Berlin -  incluant deux guerres mondiales, Harold Cobert produit une fresque historique sur la Russie, absolument stupéfiante, portée par une narration précise – parfois trop car âmes sensibles s’abstenir – et une écriture qui emporte le lecteur à travers un pays dont le nom résonne comme une tragédie perpétuelle malgré une richesse et une culture extraordinaires.

Si le roman semble à première vue historique, rapidement il prend également des allures géopolitiques et c’est là d’où il tire toute sa force. Les enjeux d’une guerre, d’une révolution – on le sait – sont multiples mais les décortiquer via la fiction permet de s’immiscer dans la psychologie des êtres qui s’engagent pour une cause, noble au départ, mais qui se transforme en ogresse. Les camps sibériens existaient sous les tsars, ils ont perduré sous l’empire soviétique. À Berlin le drapeau nazi a été remplacé en partie par la faucille et le marteau avec des exactions de toute part. Rouge ou blanc, la barbarie laissait des traces vermeilles dans la neige russe puis soviétique. L’intransigeance entraîne l’intransigeance, la violence appelle la violence, la manipulation devient une balle de ping-pong, les crimes profitent aux crimes, l’inhumanité conduit à la folie des hommes ; l’extrémisme de toute part est une violation de la condition humaine.

Un grand roman, très dur mais qui est le reflet d’un monde ayant existé et qui, hélas, existe encore, un monde où les guerres volent la paix, où la confiance est une denrée rare et les trahisons courantes, où la rage du pouvoir fait vendre les âmes pour banaliser la mort et se moquer des vies.

Le rouge et le blanc – Harold Cobert – Éditions Les Escales – Mars 2024

  Cocktail de noisettes Le barman du Ritz Philippe Collin   Depuis 1898, l’hôtel Ritz honore la luxueuse Place Vendôme de sa présenc...