vendredi 17 mars 2023

 

Une noisette, un livre
 
Les Bons Enfants
Martine Chavot

 


Lire c’est s’offrir un doux plaisir. Mais pas que. Lire c’est aussi apprendre : connaître le monde, son présent, son passé ; les heures glorieuses et les heures honteuses. Comme celles de ces maisons de redressement ou de correction (plus juste vu les moult châtiments qui sévissaient) ou encore appelées colonies pénitentiaires comme celle de Mettray dans l’Indre-et-Loire où séjourna, entre autres, Jean Genet de 1923 à 1926.

Moins connue mais tout aussi – voire plus – terrifiante, la colonie pénitentiaire agricole du Val d’Yèvre, près de Bourges, fut le théâtre de scènes tragiques de 1847 à 1924. Martine Chavot, par la voie de la fiction, rend hommage à ces enfants et adolescents brisés par la dureté du « redressement » prodigué.

Le livre s’ouvre avec les obsèques de Joseph, un adolescent qui serait tombé dans l’escalier…selon la version officielle. À la colonie, personne ne le pleure. Sauf Le Cagneux et Denis, ses copains, des enfants perdus pour cause d’une société qui ne prête guère attention aux miséreux. Pourtant, dans chaque humain un cœur continue de battre.

Denis père est le narrateur. Puis Denis fils. C’est à ce moment là que le roman devient encore plus bouleversant. Comme si les gènes imposaient une destinée cassée. Ou bien sont-ce les conditions de vie qui se perpétuent dans la société ? Denis père chassé de la ferme pour un vol qu’il n’a pas commis, Denis fils chassé de sa famille d’accueil parce qu’il n’a pas accepté qu’on brise le seul objet qui lui restait de sa mère.

À chaque époque, des rêves envolées, des idéaux en mouvement. Ce qui reste intacte c’est le refus de se soumettre, de rompre les inégalités et de vivre libre.

Un beau roman écrit avec beaucoup de sensibilité et une plume qui s’est amusée à laisser quelques traces énigmatiques.

Les Bons Enfants – Martine Chavot – Éditions La Bouinotte – Février 2023

mardi 14 mars 2023

 

Une noisette, un livre
 
Je suis le châtiment
Giancarlo de Cataldo

 


Mèche d’or alias Stefano Diotavelli a eu son heure de gloire comme chanteur populaire. Collectionnant aventures et scandales, il reste, néanmoins, adulé par ses fans. Producteur de chanteuses débutantes (allez savoir pourquoi…) il est devenu juré pour la « Nouvelle star » à la télévision italienne. C’est en sortant de l’une des auditions que sa voiture, conduite par son fidèle chauffeur Mangili dérive. Mort subite, son chauffeur seulement blessé. Un rapide constat mène à la théorie de l’accident sauf qu’après quelques investigations, il s’avère que la voiture a été sabotée au niveau des freins. Homicide volontaire, probablement avec préméditation.

Les suspects ne manquent pas : une deuxième épouse qui le déteste, une fille peu encline aux sentiments paternels, un fils odieux, une petite amie et son ex-fiancé, un chauffeur sibyllin et tout un petit monde pas toujours hautement recommandable. Mais il en faudrait davantage au procureur Manrico Spinori, un aristocrate ruiné pour cause de mère ludopathe. Il sera aidé par une nouvelle recrue, l’inspectrice Deborah Cianchetti, avec qui les échanges sont loin d’être cordiaux. Toutefois, ce Manrico a un allié de poids : l’opéra, il y puise les sources des crimes et des violences humaines. Après tout quand on porte le prénom d’un héros verdien, quoi de plus logique ! Le roman commence par la fameuse scène de l’acte II de Tosca mais c’est un personnage du maître de Parme qui saura mettre sur la voie le procureur…

Vif, avec une écriture tout sauf académique, ce thriller se lit d’une traite. L’intérêt se porte autant sur l’intrigue que sur le portrait de ce procureur atypique et son entourage professionnel. Plus on avance dans l’histoire, plus la rythme va crescendo avec un final excessivement touchant, assez rare dans ce style littéraire mais après tout Manrico ne chante-t-il pas : « Deserto sulla terra, col rio destin in guerra, è sola speme un cor, un cor al Trovator »

Je suis le châtiment – Giancarlo de Cataldo – Éditions Métailié – Mars 2023

dimanche 12 mars 2023

 

Une noisette, un livre
 
La vie absolue
Didier van Cauwelaert

 


Les fêtes de Pâques approchant, quoi de mieux que de ressusciter un personnage ! Didier van Cauwelaert revient avec son héros de « La Vie interdite », Jacques Lormeau, pour démêler une histoire de paternité…

Des années après son décès, Jacques est toujours bien vivant au royaume des morts, ou plutôt dans celui d’une autre vie éternelle, bien qu’à la fin du récit il y aurait une possible transmigrations d’âmes que ça ne m’étonnerait pas. Certes, Jacques a été absent, préoccupé par d’autres missions spectrales, mais il s’est senti obligé de revenir planer sur son ancien environnement lors d’une exhumation – je vous rassure tout de suite, rien de macabre et point de description morbide – pour vérifier si Morgane a pour père Jacques et non cet odieux type dont elle rejette l’intégralité de ses gènes. La veuve de Jacques serait fort heureuse de voir cette femme dans la succession de son défunt mari et Lucien, son fils, si heureux d’avoir une sœur. Avec la magie des esprits et l’aide technologique terrienne, tout peut devenir possible…

Un roman enrobé de tendresse et d’humour, avec cet art propre à Didier van Cauwelaert d’emmener ses lecteurs dans un monde fantastique, prenant un malin plaisir à se moquer de la réalité humaine. Le romancier a, par ailleurs, de la suite dans ses idées, puisqu’indirectement il fait référence à son « Pouvoir des animaux » en introduisant dans un appartement un blob, cet être monocellulaire avec parfois des réactions bien étranges pour le commun des mortels. Une vie absolue pour cette fantaisie au divin mensonge. Avec l’amour plus fort que la mort.

La vie absolue – Didier van Cauwelaert – Éditions Albin Michel – Mars 2023

jeudi 9 mars 2023

 

Une noisette, un livre
 
S’échapper
Martine Duquesne

 


Certaines histoires font peur. Non pour des frissons d’épouvante mais par crainte de retrouver des situations tristement vécues qui laissent des blessures à vie. Le nouveau roman de Martine Duquesne faisait partie de cette catégorie. Je l’écris à l’imparfait car l’autrice a réussi non seulement à ne pas convertir les pages du livre en une rivière de larmes mais à apporter des rayons de lumière à travers le personnage de Maxime.

Maxime, un enseignant désabusé face à sa hiérarchie, est inconsolable. Il avait trouvé l’amour de sa vie avec Lina, une jeune femme solaire. L’astre s’est éteint après un combat contre la maladie et Maxime culpabilise, pensant, croyant qu’il aurait pu être plus présent, plus à ses côtés. Pourtant, il l’a accompagnée jusqu’à son passage dans l’au-delà mais en plongeant dans l’alcool. Après le décès, il retrouve les carnets de bord écrits par Lina pendant sa maladie ; ce qui ne fait qu’accroître sa peine. Les consultations chez un psy ne résolvent en rien les crises de désespoir. Jusqu’au jour où Maxime décide de s’échapper, non pas de fuir mais d’aller ailleurs, de tenter de se remettre en mouvement ; direction l’Ouest américain.

La romancière a prodigieusement recréé les sentiments qui s’infiltrent dans une personne en deuil, notamment avec ce terrible sentiment de culpabilité, celui de ne pas avoir fait tout son possible pour sauver l’être cher, l’accompagner, cacher ses larmes. Vouloir fuir tout en restant présent. La maladie n’épargne personne : ni la personne atteinte, ni son entourage. Et ce n’est pas forcément un accompagnement psychologique qui peut sauver celui qui reste. Ce besoin de continuer à parler à l’être disparu à jamais, cette descente vers l’enfer. Quand soudain, une petite lumière jaillit et peut vous sauver. Car la vie continue.

Poignant, émouvant, ce roman est magnifique. Le tout sublimé par une plume qui s’adapte à chaque situation, passant de la poésie à des dialogues bruts, de la mélancolie à la colère, de l’abattement à l’envie de vivre. Une réussite à laquelle il ne faut échapper.

« J’ai commencé à me demander ce que je faisais là, tout en prenant conscience de la promiscuité induite par la formule même du circuit. Heureusement, tu étais là, ma Lina, je t’avais emmenée dans mes bagages, convaincu depuis peu que nos disparus savent nous accompagner au-delà de la mort. Et habité par cette idée lue je ne sais où : lorsqu’une ampoule s’éteint, il persiste toujours une lumière résiduelle. Tu étais ma lueur dans la nuit ».

S’échapper – Martine Duquesne – Éditions Favre – Mars 2023

 

lundi 6 mars 2023

 

Une noisette, un livre
 
Nos racines invisibles
Isabelle Lagarrigue

 


Romie a un métier passionnant : archéologue. Elle passe donc son temps entre l’écriture de sa thèse dans sa ville de Lyon et fouiller les sols du monde entier, en particulier celui du Brésil. C’est justement le fait de rechercher le passé qui lui a donné l’idée de franchir le pas et de contourner la loi : demander par Internet un test ADN. Sauf que le résultat la perturbe au plus haut point : son père ne semble pas être son géniteur. La quête d’identité commence avec le douloureux souvenir de sa mère récemment disparue. Pourquoi sa mère ne lui en a jamais parlé ? Où sont ses véritables racines ?

Un roman fort intéressant sur le fond, la forme restant un peu trop légère à mon goût. Fort intéressant sur le fond car il soulève moult questions : celle de sa véritable identité, celle des avancées technologiques, celle de la filiation. Car en fait, qu’est-ce le plus important : l’ADN ou l’amour porté par les parents pour leur enfant ? D’ailleurs, progressivement l’autrice développe à travers ses personnages, les différents sens de l’amour selon la pensée grecque : Eros, Storgé, Philia et Ágapé. Tout un programme permettant de ne pas lâcher le livre une seconde.

Noisettes sur le livre : suivre avec tendresse le personnage de Gareth, chantre de la bienveillance et de la sagesse, et, sourire régulièrement au rythme des déambulations de la grand-mère Donna, pétillante dame avec une philosophie de vie qui charme instantanément – sauf peut-être son voisin !

Nos racines invisibles – Isabelle Lagarrigue – Éditions Charleston – Février 2023

  Noisette savoyarde Col rouge Catherine Charrier   Savez-vous qui étaient ceux que l’on nommait les « Cols rouges » ? Les commiss...