mardi 26 novembre 2019


Une noisette, un livre


 La minute antique

Christophe Ono-Dit-Biot




A l’instar de Sylvain Tesson qui proclame qu’il n’est pas nécessaire d’ouvrir un journal chaque matin pour connaître l’actualité, qu’il suffit de lire/relire/décrypter les vers d’Homère dans L’Iliade et L’Odyssée, ce qui permet non seulement de passer un été avec Ulysse mais également les quatre saisons, Christophe Ono-Dit-Biot suit le même principe avec les dieux et les maîtres de l’antiquité, de l’Olympe jusqu’au Colisée.

Si dans votre jeunesse vous avez aimez la Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, l’auteur en fait d’ailleurs la référence, ce livre est pour vous car il possède le même esprit de perspicacité et de recul nécessaire face aux tourbillons de l’univers, d’hier et d’aujourd’hui.

Je ne sais si l’un des moteurs pour écrire ces petites pastilles savoureuses a été la fameuse phrase prononcée en octobre 2016 par Emmanuel Macron et son futur pouvoir jupitérien mais cela permet non seulement une récréation antique mais une mythologie livresque du vingt et unième siècle ; à se demander si le journaliste du Point n’a pas tenu le foudre du plus célèbre dieu grec pour répandre d’encre (mieux vaut ça que le goudron et les plumes) les faits et gestes des citoyens français et de leurs représentants.

Politique, écologie, sport, culture, mouvements sociaux, Internet, identité, Europe, tout tout tout, vous saurez tout,  jusqu’à la surprenante histoire d’amour entre un certain Marcellus et  la Vénus de Milo.

Saviez-vous que le plus célèbre gastronome de Rome se nommait Apicius, que déjà un célèbre Macron peignait des vases au V° siècle avant notre ère, que le premier militant écologique se nommait Virgile, qu’un certain Rufin au II° siècle de notre ère écrivait des épigrammes érotiques, que les athlètes d’Olympie étaient encore plus riches que nos footballeurs, que les murs de Pompéi ont pu inspirer Banksy, que Socrate aurait été un précieux analyste pour les Gilets Jaunes, que la déesse Fama faisait déjà des ravages et provoqua un carnage amoureux à Carthage ? Ce ne sont que quelques noisettes que votre dévoué serviteur vous révèle mais la cueillette est bien plus importante sur le chemin des 220 pages. Allez, une dernière pour la route, qu’est-ce que la « Citrinagilekomachie » ? Réponse page 174.

Un ouvrage précieux pour souligner que l’on doit beaucoup aux « anciens » et que de les relire est une façon de comprendre le monde d’aujourd’hui et appréhender celui de demain. L’histoire est un éternel recommencement et combien il est sage de convoquer ces illustres prédécesseurs ; ce n’est pas se retourner dans le passé en fermant une porte sur le présent mais ouvrir une fenêtre sur l’avenir en relativisant les faits et gestes qui peuplent notre quotidien. En fermant ce livre, j’ai peut-être sorti un vers de son contexte mais je n’ai pu m’empêcher de songer à la poétesse libanaise Nadia Tuéni « Ecoute la respiration des mémoires ».

Erudition et humour, les deux mamelles qui nourrissent l’écriture de Christophe Ono-Dit-Biot avec cette aisance pour rendre accessible le plus abscons des textes antiques. Je me demande même parfois si la déesse Athéna ne le guide pas… En tout cas, c’est chouette !

« Prêtons l’oreille à ce qui se dit dans ce joyeux banquet antique : c’est ainsi, peut-être, que nous serons vraiment modernes ».

La minute antique – Quand les grecs et les romains nous racontent notre époque – Christophe Ono-Dit-Biot – Editions de l’Observatoire – Octobre 2019

mardi 19 novembre 2019


Une noisette, un livre


 Au nom de la mère

Margaux Chikaoui




Au nom de la mère parce qu’il a fallu seize ans pour qu’un homme reconnaisse qu’il était père et accepte enfin cette paternité (via une procédure judiciaire) en donnant son patronyme. A défaut d’un amour paternel.

Margaux Chikaoui a décidé de prendre la plume pour raconter sa propre histoire et celle de sa mère. Cette femme qui, à vingt ans, a été abandonnée par son amant lorsqu’elle lui apprend qu’elle est enceinte. A ce moment-là elle est heureuse, elle aime cet homme de vingt ans son aîné, bourgeois et séduisant, et ne doute pas un seul instant qu’il va l’épouser et être fou de joie en apprenant qu’il va être père. Seulement, Monsieur a « oublié » de lui révéler qu’il était marié et décide de cesser cette aventure afin de ne pas perdre de sa superbe auprès de sa femme et de ses collègues magistrats. Il prend toutefois le temps de lui demander d’avorter. Ce qu’elle ne fera pas…

S’ensuit une longue période difficile pour la future maman Lara, elle-même issue d’une famille monoparentale et ne sachant même pas qui est son père. Heureusement, ses sœurs vont constituer un rempart contre l’adversité et seront des tantes bienfaisantes pour la petite fille à naître, Margaux.  

Margaux grandit dans cette famille éclatée, studieuse pour arriver à franchir les ombres du destin. Sa tante et sa mère vont se battre pour une reconnaissance de paternité ; une gageure car le père est un haut magistrat et sait convaincre ses collègues de laisser le dossier et de ne pas céder aux instances de ces deux femmes… Mais grâce à la détermination d’un avocat, Margaux sera reconnue. Un premier pas est franchi, puis la rencontre entre le père et la fille. Des échanges courtois, chaleureux même mais dans lesquels vont planer  un malaise et un manque… Forcément.

Un témoignage très touchant qui interpellera les nombreux enfants dont le père a été au registre des abonnés absents, ainsi que toutes ces femmes abusées par un homme et qui doivent ensuite faire face au rejet et à la solitude. Avec un enfant qui ne demande qu’à être aimé.

Au nom de la mère – Margaux Chikaoui – Editions Michalon – Août 2017

dimanche 10 novembre 2019


Une noisette, un livre


 La redoutable veuve Mozart

Isabelle Duquesnoy




Qui n’a pas rêvé sur une petite musique de nuit ? Qui n’a pas sifflé un air d’une flute enchantée ? Qui n’a pas été charmé par « Voi che sapete » ? Peu de monde tant Mozart est devenu intemporel pour celui qui avait su mettre des notes sur les mots de Beaumarchais. Pourtant le maître de Salzburg aurait pu tomber dans un mouvement perpétuel de l’oubli sans la détermination incroyable d’une femme voulant que son Mozart survive après sa mort à seulement 35 ans le 5 décembre 1791. Cette femme c’était Constance, Constance Mozart née Weber, issue d’une famille également de musiciens, le plus connu étant son cousin Carl Maria von Weber et elle-même chanteuse ainsi que sa sœur Josepha qui a créé le personnage stratosphérique de la Reine de la nuit.

Veuve inconsolable avec deux petits garçons (elle avait eu six enfants durant les neuf ans de mariage) elle trouvera une immense énergie dans tout l’amour posthume pour déplacer les montagnes (en Alpes autrichiennes le terrain s’y prête) pour faire en sorte que l’œuvre de feu son mari subsiste et ne soit pas copiée par quelques personnages peu scrupuleux. Et ainsi pouvoir avoir des rentrées d’argent pour rembourser les dettes et éduquer elle-même ses enfants.
Ayant un sens inné pour les affaires, elle redresse rapidement les difficultés financières avec l’aide de quelques amis du couple (dont la dévouée et généreuse baronne Marthe), accélère l’achèvement du Requiem, offre des concerts et fait de Salzbourg une terre mozartienne pour se venger de la rebuffade des salzbourgeois envers l’enfant prodige

Isabelle Duquesnoy a choisi une partition originale pour écrire la vie de Constance Mozart : elle s’engouffre dans le personnage de Constance au crépuscule de sa vie avant de rejoindre les dieux qui raconte à son fils Carl Thomas tout ce qu’elle a entrepris pour perpétuer la mémoire du père, du mari, du musicien et aussi témoigner la mère qu’elle fut pour lui et son frère Franz Xavier, avec tous les bémols qu’une vie peut engendrer.

Un tour de force pour non seulement le travail de recherches mais aussi pour recréer l’atmosphère de la fin du XVIII° / début XIX° siècle en étrillant au passage ce mépris pour les musiciens qui a fait tant souffrir nombre de compositeurs… cette sempiternelle manie que de louer les gens après leur mort ; mais l’auteure remet également les pendules à l’heure pour la rumeur sur Salieri et n’hésite pas à mettre quelques piques dans la folie sanguinaire de la Révolution Française.
C’est ainsi que de chapitre en chapitre on passe d’un grave à un vivace, d’un scherzo à un affetuoso.

Car la vie de Constance Mozart est un chant d’amour, un amour éternel envers son mari, un amour rebelle face à sa belle-famille, un amour farouche pour franchir tous les obstacles et porter haut les notes qui retentissent encore de nos jours des plus grandes salles de concert aux petites églises isolées, des théâtres d’opéra jusqu’aux terres les plus éloignées.

Un livre à l’image d’un concerto de Wolfgang Mozart avec la fantaisie d’un Lorenzo da Ponte. Et peut-être un poco più…

La redoutable veuve Mozart – Isabelle Duquesnoy – Editions de la Martinière – Septembre 2019





















dimanche 3 novembre 2019


Une noisette, un livre


 1969, année fatidique

Brice Couturier




1969, un millésime fécond ? Pas forcément pour le journaliste Brice Couturier qui publie un brillant essai sur cette année pas comme les autres, clôturant un cycle d’émancipation et de contestations dans un « kamasutra » politique mondial, de la Chine aux Etats-Unis et inversement…

L’intérêt principal de ce document est qu’il ne se focalise pas uniquement sur la France mais englobe l’Europe d’ouest en est, l’Asie et l’Amérique, le monde étant une vaste toile où les tissages arachnéens s’accordent ou se désaccordent, prennent de l’ampleur ou avalent l’autre. Le fil conducteur ou la référence est évidemment 1968 qui a été le fruit de contestations et de libertés mais qui, selon l’auteur, est un immense ratage du fait, en partie, des guerres que l’on pourrait qualifier de fratricides au sein des différents partis de gauche, et, d’autre part, un certain extrémisme qui n’a fait que renforcer le conservatisme mondial.

Vaste kaléidoscope à la fois historique, politique et culturel, du printemps de Prague au rassemblement rock et hippie de Woodstock, des premiers pas sur la lune aux derniers sursauts de la France gaullienne, des transgressions les plus audacieuses aux multiples occasions ratées, de la révolution sexuelle à l’émergence des sectes les plus sanguinaires, le lecteur revisitera ou découvrira comment certains évènements se sont enchainés et ont été soit le socle d’une transformation de la société, soit un retour en arrière. Le tout avec un décryptage minutieux de toutes les mouvances politiques et sociologiques apparues à la fin des années 60. Pertinence du récit d’autant plus tranchante que le journaliste a lui-même suivi les mouvements maoïstes lorsqu’il était étudiant.
Brice Couturier appuie ses réflexions non seulement sur ce qu’il a vécu mais sur ce qu’il a lu et nombreuses sont les références d’ouvrages ou d’articles parus dans la presse. Deux parmi elles retiennent forcément l’attention : Chien Blanc de Romain Gary et Pastorale américaine de Philippe Roth.

Ce livre permet également de réaliser que le sempiternel « c’était mieux avant » n’est pas forcément véridique. Lorsque dans notre ambiance du début du XXI° siècle, nous nous effrayons des regains de violence, c’est oublier un peu vite, par exemple, le nombre d’attentats que les Etats-Unis subissaient chaque jour à la fin des années 60 ou au début des années 70 ; un salutaire rappel. Le lecteur fera aussi connaissance avec la redoutable secte des Weathermen qui a été digne (façon de parler) d’un film d’horreur inimaginable.

Si votre serviteur a lu cet ouvrage comme un journal de naissance, c’est aussi un excellent moyen pour prendre du recul sur les mouvements et les faits d’hier et d’aujourd’hui, de confirmer que les extrêmes finissent par produire le contraire de ce qu’elles réclament (et que bien souvent le grand écart finit par se rétrécir pour ne former qu’une seule ligne) et de ne jamais tomber dans l’angélisme ou la diabolisation.

1969, année fatidique – Brice Couturier – Editions de l’Observatoire – Août 2019


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