mardi 28 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Au moins le souvenir. Il était une fois Lamartine
Sylvie Yvert
 


« J’ai toujours été une personne discrète, heureuse dans l’ombre de mon mari, mais ses délicatesses, son respect pour le vote l’ont déterminé au silence. J’en prends acte, mais sa résignation dépasse la mienne. Ce manuscrit sera trouvé après ma mort. La restauration de son nom sera ma dernière preuve d’amour. Je ferai d’ailleurs tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne découvre jamais ces notes, afin qu’il n’est jamais à me remercier ».

Ces mots auraient pu parfaitement être écrits par Mary Ann Elisa Birch alias Marianne de Lamartine tant le couple au milieu de moult désastres a su préserver ce qui les a toujours uni : l’amour. La romancière Sylvie Yvert s’est glissée dans l’âme de cette femme pour non seulement la mettre en lumière mais également rendre un vibrant hommage à l’homme de lettres et surtout à l’homme politique, Alphonse de Lamartine.

Ce roman se concentre donc principalement sur les événements de 1848 même si l’ensemble de la vie de Lamartine est retracé. De nos jours, l’auteur du « Lac » est salué comme un immortel, à juste titre puisqu’il a siégé au fauteuil 7 de l’Académie française. Mais moins nombreux sont ceux qui se souviennent et font référence à l’homme politique qu’il a été, hélas sur une trop courte période. Doté d’une préscience et malgré un enthousiasme impressionnant, rapidement l’ingratitude, le mépris, la moquerie prirent le dessus face à l’ascension du piètre Louis-Napoléon, Badinguet pour les connaisseurs. Pourtant, Lamartine a été le fervent défenseur du suffrage universel, de l’adoption du drapeau tricolore, de l’abolition de la peine de mort et de l’esclavage, a toujours refusé l’extrémisme, qu’il soit rouge ou royaliste ; libéral d’esprit socialiste il estimait que seule la République était l’avenir de la France en lui donnant une constitution préservant aussi bien le droit à la propriété qu’en donnant des garanties pour les ouvriers et le monde paysan. Des souvenirs remarquablement tracés à la plume par Sylvie Yvert qui confirme à nouveau sa maîtrise et son talent pour le roman historique par ce récit brillant et émouvant.

Ce qui frappe le lecteur c’est l’extrême modernité  de cette histoire française en éternel recommencement. Pêle-mêle, les arrangements entre amis, les arrivistes, la corruption, le peuple manipulé au bon vouloir des puissants avec l’ingratitude des uns et des autres pour les quelques politiques intègres et sincères, le rapprochement rouge/brun pour que chaque camps arrive à ses fins, les rumeurs, les fake news de l’époque… les réseaux sociaux n’ayant rien inventé, devenant seulement des catalyseurs du nauséabond de la politique et du pouvoir.

« Le livre de la vie est le livre suprême qu’on ne peut fermer ni rouvrir à son choix », celui-ci peut-être ouvert à sa guise et relu à l’infini pour s’imprégner du destin d’un couple, du destin d’un homme injustement banni  à son époque, qui pourtant, était à l’image de sa divise préférée « A cœur vaillant, rien d’impossible », celle de Jacques Cœur.

« Je ne suis pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l’on veut depuis quelque temps substituer… à la religion sérieuse de la liberté. Je ne crois qu’il soit bon de déifier ainsi sans cesse la guerre… Je n’aime pas ces hommes qui ont pour doctrine officielle la liberté et l’égalité, le progrès, et pour symbole un sabre et le despotisme ».

« Il est si aisé de promettre ce que l’on ne pourra tenir, surtout quand il y a une majorité d’âmes pleines de naïveté disposées à y croire ».

« Alphonse a donc choisi la voie la plus difficile, celle du devoir et, partant, celle de l’impopularité, en proposant plutôt d’attendre les élections destinées à établir par les urnes un chef légitime du pouvoir exécutif. C’est précisément ce qu’ils ne purent lui pardonner : leur stupeur se métamorphosa aussitôt en fureur et en ressentiment à son endroit. Quand Lacretelle lui demanda plus tard s’il ne regrettait pas d’avoir compromis la République, il lui répondit : « J’ai voulu laisser à  l’histoire la preuve que la république est l’autre terme de la clémence et de la fraternité. Celle que j’aurais essayée ainsi eût duré deux ans ; celle qui viendra bientôt durera des siècles » ».

Au moins le souvenir. Il était une fois Lamartine – Sylvie Yvert – Editions Héloïse d’Ormesson – Septembre 2021

 

samedi 25 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Ne t’arrête pas de courir
Mathieu Palain


 

Mathieu Palain rêvait de devenir footballeur. Il est devenu journaliste et écrivain pour passer les mots à travers les filets invisibles que la société dresse sur le passage des gens s’écartant d’un chemin. Né dans la même banlieue que l’athlète Toumany Coulibaly, il découvre qu’il est champion le jour et cambrioleur la nuit. Cumulant médailles et séjours en prison, son parcours est une énigme. Mathieu Palain va tenter d’en savoir plus en tentant de le rencontrer sur le lieu de son incarcération. Un an après lui avoir écrit, il reçoit une réponse, réponse tardive mais déjà terriblement amical. A l’auteur de raconter ses recherches et surtout de décrire la personnalité de Coulibaly, un cambrioleur, certes, mais tellement gentleman !

Toumany Coulibaly n’est pas un criminel, n’est jamais tombé dans l’enfer d’une addiction sauf celle de commettre des vols, souvent pour aider les autres, tout en n’étant en rien un cleptomane. Après chaque délit il se jure de ne jamais recommencer sachant qu’il se fait du mal et qu’il en fait à sa famille. Mais, il recommence, inlassablement.

L’intérêt de ce livre est double : décrypter, montrer la complexité d’un personnage et articuler le récit avec ce qu’il l’entoure. Résultat : une approche psychologique, la recherche du pourquoi du comment avec cet art d’éviter les jugements hâtifs et l’immersion dans l’univers des prisons et de ces banlieues tant abandonnées par moult d’entités officielles. Il ne s’agit en aucun cas de donner l’absolution mais juste de faire comprendre qu’il est ô combien difficile de donner une réponse à tout et d’éviter de cataloguer des personnes qui de toute façon resteront inclassables, pour le meilleur ou pour le pire.

Ecriture fluide, moderne avec une plume sachant virevolter selon l’importance des faits et les précisions de cette course livresque aux 422 pages. L’empathie se développe de part et d’autre, et, nul doute que le journaliste aimerait en faire davantage pour aider ce coureur volant ; quelques pas d’humanité pour un saut dans la réalité. Et l'espoir. 

A vos marques, partez !

Ne t’arrête pas de courir – Mathieu Palain – Editions L’Iconoclaste – Août 2021

Prix Jean-Marc Roberts 2021

Prix Roman News 2021

Livre reçu et lu pour le Prix Jean-Marc Roberts


Mathieu Palain lors de la remise du Prix Blu Jean-Marc Roberts ©Quentin Chevrier


jeudi 23 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le voyant d’Etampes
Abel Quentin

 


Déposer une noisette ou ne pas déposer de noisette. That was the question for the squirrel… L’orientation du panache ayant peut-être été modifiée par des vents contraires, le mieux était de relire/reprendre des passages. Au deuxième examen, il eut été malveillant de ne point parler de ce roman qu’on ne peut que qualifier de couillu !

Un homme qui n’a pas réussi grand-chose hormis d’être professeur d’université – ce qui n’est déjà pas mal du tout – accumulant les bouteilles comme compagnes suite à un mariage parti de Charybde en Scylla et avec le désespoir de ne pas être publié. Un perdant qui gagne pourtant à être connu. Il va le devenir mais – toujours un mais dans ces cas-là – à ses risque et périls : il arrive enfin à atteindre le Graal grâce à une petite maison d’auteurs qui accepte son manuscrit portant sur un poète américain méconnu de la première moitié du XXe siècle. Sauf qu’il a « oublié » de mentionner une particularité concernant cet écrivain, particularité qui n’avait rien à voir avec la base de son essai. C’est là que les âmes bien pensantes du XXI° siècle vont surgir… Un article dans un blog, la toile s’enflamme, les réseaux sociaux se déchainent. Bienvenue au pays des réalités !

Notre Jean Roscoff est dépassé par la haine qui surgit des réseaux sociaux, la défense empoisonnée venant d’une extrême droite récupératrice, les accusations de la gauche alors qu’il a toujours milité à bâbord. Une meute en appelant une autre, les médias s’en mêlent et moult journalistes se jettent sur des pamphlets sans avoir lu bien évidemment le livre en question (toute ressemblance avec des personnes serait purement fortuite) les ventes s’envolent puisque les polémiques nourrissent les esprits « chacaliens » mais notre pauvre Roscoff se retrouve lynché de toute part.  

Une critique au vitriol de la cancel culture, du woke, des indigénistes, des pourfandeurs de l’appropriation et autres déboulonneurs en herbe et en culture. Mordant, piquant, avec un humour frisant parfois du Michel Audiard mais à la sauce Philippe Roth, voyez la scène. Quelques longueurs, quelques extravagances qui ont entraîné un besoin de révision de lecture mais oublions les rares fausses notes pour entrer dans cette symphonie fantastique sur la déliquescence du monde.

Le voyant d’Etampes – Abel Quentin – Editions de l’Observatoire – Août 2021

Prix Maison Rouge Biarritz 2021

mercredi 22 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les enfants de Cadillac
François Noudelmann

 


Récit qui n’a rien d’une balade familial en voiture de luxe…François Noudelmann retranscris sur le papier une épopée génétique, la sienne, dans la pire histoire Européeenne du XX° siècle : les deux guerres mondiales. Celle de 14-18 avec son grand-père Chaïm puis celle de 39-45 avec son père Albert. D’origine juive, ils ont dû affronter un antisémitisme viscéral qui atteignit l’horreur absolue lors du III° Reich.

Le premier arrivera de Lituanie au prix d’efforts épouvantables – sempiternelle tragédie des exilés – pour être quelques années plus tard enrôlé dans les tranchées et recevoir les émanations d’une bombe chimique. Une partie du cerveau endommagé, il sera désormais qualifié de « fou » et passera la majeure partie de sa vie en hôpitaux psychiatriques dans des conditions qui peuvent parfois rappeler celles de prisonniers de guerre. De la guerre justement, il ne sera jamais reconnu comme ayant combattu pour la France…

Le deuxième, bien que né en France, fera un jour le parcours inverse pour se sauver du joug nazi, une odyssée glaciale faite de résistance et d’efforts surhumains mais qui laissera des traces à vie jusqu’à son suicide par armes à feu. Un héritage lourd que l’auteur essaie de montrer sans pour autant s’attribuer l’héritier, tout au moins loin de lui l’idée de s’en servir pour une quelconque mise en avant personnelle. Ce sont plutôt, au contraire, de vastes réflexions sur la question de la judéité et du poids de l’histoire dans les gènes.

Quelques petits bémols : il ne s’agit en aucun cas d’un roman mais d’un témoignage personnel, les personnes évoquées sont réels, les faits sont simplement présentés différemment d’un ouvrage purement historique. Petite incompréhension lorsque François Noudelmann déclare en page 157 qu’il a été un mauvais élève jusqu’à 17ans cumulant les redoublements et qu’en page 190 il annonce qu’il entrait en classe de terminale à…17 ans. Et je doute que peu ont été nombreux les Français pour partir à la mer en été ou faire du ski en hiver pendant la deuxième guerre mondiale (page 137)…

Cela dit l’ensemble reste un livre très riche en faits historiques avec une narration qui décrit parfaitement l’horreur des guerres, aussi bien pour les combattants que pour les civils. Et tout se qui en découle même quand les canons demeurent muets. Témoignage qui retrace celle d’une époque mais dont les fantômes rodent toujours, l’auteur craignant, à juste titre, le retour des démons dans l’intolérance souvent dénoncée en géométrie variable… Remarquablement écrit et documenté, un ouvrage de plus à découvrir pour tous les passionnés d’histoire, de géopolitique et de ces histoires qui se collent à celle de l’universalité du monde.

« La guerre a été aussi une « école de la vie », dis-tu, car elle t’a fait voir l’humanité nue et crue, et tu n’es pas vraiment un humaniste après avoir compris ses logiques grégaires. Dans les situations exceptionnelles, le vernis social, si fragile, s’écaille et les individus se relèvet lâches, menteurs, généreux ou courageux ».

« Né en France, n’ayant jamais été menacé, je ne saurais porter ni revendiquer cette mémoire sans imposture. Les enfants de naufragés et de rescapés s’octroient parfois un titre à bon compte, tant le prestige victimaire est devenu prisé en ces temps de contrition et de réparation. La remontée dans le passé traumatique des familles, des groupes, des « races » encourage chacun à se définir comme « descendant » au point que les individus s’érigent en représentants de générations qui remontent à plusieurs siècles. Les handicaps sont hérités, certes, quand ils touchent des familles immigrées ou des populations stigmatisées, et cette inégalité relève de la politique sociale. En revanche, la définition de soi appartient au monde imaginaire de la psyché ».

Les enfants de Cadillac – François Noudelmann – Editions Gallimard – Août 2021

 

 

lundi 20 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Berlin Requiem
Xavier-Marie Bonnot

 


En juin 1954, Wilhelm Furtwängler est au crépuscule de sa vie ; affaibli et de plus en plus sourd il ne peut plus diriger et doit renoncer à diriger Tristan et Isolde. C’est un musicien de vingt-neuf ans qui est choisi pour le remplacer : Rodolphe Meister, le fils de l’illustre cantatrice d’avant-guerre, Christa Meister qui a chanté les héroïnes wagnériennes sous la baguette du maître allemand et qui avait, à l’époque des jours heureux, présenté au chef d’orchestre son petit garçon de 7 ans sachant déjà parfaitement lire la musique. C’était en 1932, quelques mois avant l’arrivée des nazis avec au pouvoir Hitler et ses sinistres sbires. La diva et son fils s’enfuirent à Paris en laissant la jeune Eva qu’adorait tant Rodolphe. Mais c’était sans compter sur l’invasion allemande, la gestapo découvrant (après avoir été aidée) une ascendance juive à la chanteuse d’opéra. Rodolphe arrive à se cacher mais pour sa mère c’est direction Birkenau. Pendant ce temps, Furtwängler refuse de quitter le territoire allemand et va jouer pour le III° Reich. Pourtant, il méprise ses représentants à commencer par Hitler, Goebbels et Göring qui voulaient utiliser la musique allemande comme outil de propagande mais n’avaient aucune réelle culture musicale. Là, entre en scène la question sur l’art et la politique. Fallait-il fuir ou bien résister à sa façon contre le pouvoir sanguinaire ? Le roman commence, lever de rideau sur des mots et des notes, lacrimosa dies illa…

Personnages réels entrecroisés de personnages de fiction pour un roman musical sur fond de tragédie européenne, une sorte d’opéra en plusieurs tableaux dirigé par une plume inscrivant les mots sur la partition de l’histoire avec certainement une partie d’inachevée tant des ombres demeurent encore dans le secret du crépuscule des dieux.

Xavier-Marie Bonnot, preuves à l’appui, réhabilite Wilhelm Furtwängler, trop longtemps jugé pour ce qu’il n’avait pas fait, n’ayant jamais adhéré au parti nazi, contrairement à son illustre confrère Herbert von Karajan et s’il est resté dans son pays c’est à la fois pour l’amour de son pays et de la musique. En demeurant sur ses terres, il a accompli une sorte de résistance, certes pas la plus héroïque mais certainement tout aussi dangereuse s’il avait été soudainement pris dans les griffes d’Hitler, le chef d’orchestre faisant tout son possible pour protéger de la barbarie ses musiciens juifs et contestataires de la Philharmonie de Berlin. En refusant que la musique soit mise au service d’une idéologie pour arriver à ses propres fins de domination culturelle. Certes, Richard Wagner était antisémite – à ce sujet lire l’excellent document de Fanny Chassain-Pichon « De Wagner à Hitler » mais qu’aurait fait le maître de Bayreuth ? Difficile de répondre, la prosopopée n’étant en rien une science exacte. Daniel Baremboïm a essuyé moult critiques lorsqu’il a joué du Wagner pour la première fois en Israël en juillet 2001, beaucoup ne pouvant dissocier l’artiste de l’homme.

Peut-être que ce roman pourra apporter au lecteur quelques éléments de réponse et surtout inciter à savourer cet immense répertoire, instrumental et lyrique, dans son unique raison d’être, le plaisir de l’ouïe, et que vie sans musique est une erreur. Si certains l’utilisent à des fins de propagande, d’autres la bannissent et même assassinent ceux qui la représentent.

« On ne construit rien sur des flatteries »

« Personne n’a le droit de persécuter un artiste. C’est une chose qu’il ne faut jamais laisser faire ».

« Douze ans de dictature enseignent l’instinct du silence ».

Berlin Requiem – Xavier-Marie Bonnot – Editions Plon – Septembre 2021







dimanche 12 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Bélhazar
Jérôme Chantreau

 


« Empêcher Bélhazar de sortir du cadre, c’était vouloir contenir l’eau dans ses mains »

Cette phrase illustre toute la personnalité de Bélhazar, magnifiquement honoré par la plume de Jérôme Chantreau qui dessine des tableaux oniriques, mystérieux, fantastiques et éperdument poétiques par l’encre à la fois sombre et lumineuse des destins. Celui de Bélhazar a été bref, trop bref mais puisse son âme perdurer par la force des mots et la mémoire des hommes.

Atypique était Belhazar, atypique est ce livre. Semble être une enquête journalistique puis, progressivement, le lecteur entre dans un autre monde où les morts rejoignent les vivants pour mieux saisir la vie, pour terminer dans un univers presque parallèle, celui d’un conte parsemé de mythologie par les reflets de l’autre côté du miroir aux sonorités japonaises d’Inaba.

En 2013, Bélhazar trépasse à la suite d’une interpellation de police, il a seulement dix-huit ans. Que s’est-il passé ? La thèse du suicide est avancée par la justice mais sa mère Armelle refuse la conclusion du rapport judiciaire. Son père, Yann, est plus dubitatif mais peine à y croire également, leur fils avait bien trop de projets, d’amour à transmettre. Son ancien professeur décide de mener sa propre investigation pour aider les parents, découvrir la vérité et rendre hommage à l’un de ses élèves les plus attachants, lui qui défendait tout le monde et que sa mère comparait à un petit Diderot. Une mortelle randonnée commence mais sous les lueurs d’un apaisement pour continuer la vie. Malgré la peine, malgré la tristesse infinie. Magie de l’écriture.

Il est difficile de me surprendre, Jérôme Chantreau l’a fait. Peut-être par cette élégance du style qui vous emporte, peut-être par le dédale de mots qui finissent par former un palimpseste, peut-être par des effluves de Bélhazar qui se répandent sur les pages, ce jeune homme qui « donnait à ses amis l’énergie, le courage d’être eux-mêmes ». On craint de retrouver des fantômes lugubres, on s’étonne à côtoyer des ectoplasmes de lumières. Une lecture que j’oserais nommer si le terme existait « d’autocathartique » et de graver au fond de soi cet enseignement que « l’émerveillement est la seule magie dont nous disposons ».


« L’Ecole vous fait payer votre avance plus cher encore que votre retard ».

« Il n’avait pas besoin de nager pour sentir l’eau sur sa peau, il n’avait pas besoin de gravir des montagnes pour respirer l’air puissant des sommets. Toutes ces choses délicieuses, liées au corps et à l’énergie, non qu’il ne les aimât pas, mais il les connaissait déjà ».

« Yann n’est pas un père banal, comme Bélhazar n’est pas n’importe quel fils. Ils sont de cette espèce d’homme qui vont au bout de leurs idées les plus folles, pour la simple raison qu’ils ne les trouvent pas folles du tout ».

« Un adolescent qui, à dix-huit ans a trouvé le temps de devenir peintre, de vendre des toiles représentant des paysages non répertoriés dans le monde réel, qui a tant collectionné d’objets sur la Grande Guerre qu’il voulait créer un musée, un enfant qui retapait un taxi de la Marne au fer à souder, se passionnait pour les armes d’époque et vivait selon un code d’honneur chevaleresque (…) Un môme que ses amis appelaient Regardeur de soleils, et que pas une personne sur cette terre n’a compris. Un adolescent qui n’a pas connu l’amour, mais en donnait à tout le monde. Un enfant dont la tombe ne porte pas le nom et qui est né d’un miracle ».

Bélhazar – Jérôme Chantreau – Editions Phébus – Août 2021

Livre reçu et lu pour le Prix Blu Jean-Marc Roberts

vendredi 10 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les confluents
Anne-Lise Avril

 

 


Liouba, une jeune journaliste, dont les parents ont été assassinés en Russie lorsqu’elle était étudiante à Paris, ne songe qu’à voyager pour découvrir, rencontrer les gens et sensibiliser le monde aux dangers du changement climatique et de la nécessité de préserver la nature. De la Jordanie au Libéria en passant par la Russie, elle s’immisce dans les projets forestiers mis en place par des femmes et des hommes engagés dans un combat de peut-être la dernière chance : protéger la planète par les éléments de la nature et non ceux de la civilisation. Au cours de son premier déplacement elle rencontre Talal, un photographe qui veut mettre des images sur l’exil ; la rencontre est lumineuse, spontanée mais sibylline. Ils ne se connaissent pas mais quelque chose parait déjà les unir, leurs regards s’entrecroisent, leurs mains semblent se parler. Un amour impossible se profile –elle est libre, lui ne l’est pas –  seulement le destin est une route aux multiples chemins, aux méandres incontrôlables jonchés de forces invisibles et contradictoires.

En parallèle, vingt cinq ans plus tard en Indonésie Jaya quitte son frère jumeau et son île de naissance pour une destination inconnue dans un monde en proie aux colères climatiques et la cacophonie humaine. Aslam reste seul sans savoir si ce départ sera celui d’un nouveau changement, d’une renaissance ou d’une quête initiatique.

Un premier roman éblouissant qui rassemble sur le papier les sentiments, les belles-lettres, les idéaux et ce petit quelque chose d’inénarrable qui transforme le livre en une personne, en un cœur.

Ode à la nature, à sa préservation ; ode aux arbres, aux forêts, ode aux femmes et aux hommes de bonne volonté, celles et ceux qui doutent mais avancent, tombent et se relèvent, ode aux combattants de la vie, de la liberté ; ode aux blessés, aux corps déchirés, aux cœurs meurtris ; ode à ceux qui partent et reviennent, à ceux qui partent et ne reviendront jamais, ode à ceux qui continuent à danser sous la pluie, à celles et ceux qui attrapent un rayon de soleil dans l’obscurité de l’humanité. Et enfin, ode à l’amour, celui qui arrive doucement mais sûrement. Une main qui se pose, un regard qui contourne, des lèvres qui attendent la rencontre, des pensées et des paroles qui s’entrecroisent dans la même direction, un cœur qui hésite, résiste mais bat intensément dans le flux des désirs.

Un hymne contre la barbarie, la guerre sous toutes ses formes – celles invisibles que l’on ne nomme  pas face à la destruction de la planète – pour que gagne l’amour malgré les virages anguleux qui pourraient anéantir tout espoir. Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières quand ils rencontrent les eaux vives ; à l’image de ce roman les rencontres font l’histoire, entre les peuples, entre les éléments de la nature, entre deux êtres.

Quand deux cœurs se rejoignent, un confluent de volupté par le corps et l’esprit s’envole dans le firmament des âmes. Quand un récit vous emporte, c’est un confluent livresque par la force des mots et la puissance des sentiments. Ces sentiments non éphémères qui s’ancrent progressivement dans le terreau de l’esprit, des esprits sincères que la superficialité du monde n’a jamais pu atteindre. « Confluents » ou l’aube d’une espérance pour « planter des forêts contre les océans, croire en l’amour et renouveler le monde ».


« Elle avait choisi la Jordanie parce qu’elle était prise par l’appel du désert, de ces paysages immenses et vides qui la laveraient de son deuil. Rien ne la retenait plus à Paris. C’était son rêve, à présent, de partir, de s’absorber dans le monde, de s’en faire témoin, de disparaître derrière ses mots, de devenir ce puits à travers lequel passerait la lumière. La douleur de la perte, le souvenir de Moscou, c’était ce qu’elle voulait fuir. En perdant ses parents, elle avait perdu le lien avec les patries de ses origines, avec ce qui la rattachait aux générations du passé. Elle n’était plus ni de Russie ni de France. Elle était seule, en exil. Irréductible. Libre. »

« L’être humain a toujours été une espèce migratrice, mais ce mouvement s’accentue aujourd’hui au fil des changements climatiques, de la montée des eaux, des conflits croissants ».

« Dans un avion qui franchirait le ciel entre Aqaba et Berlin, Talal regarderait les clichés de la nuits sur l’écran incrusté de sable de son appareil photo. Il n’y trouverait qu’une forme vague et floue, un fantôme dessiné par la nuit, comme si un morceau de l’âme de Liouba s’était détaché, avait flotté quelques instants dans les airs ».

« Talal appréciait la réserve de Liouba qui disséminait malgré tout quelques indices de séduction. Tout était possible. Rien n’était certain. Il était perdu dans l’immensité des signes, lisibles et illisibles, qui émanaient d’elle, contradictoire, spontanée, mystérieuse. Elle lui adressait des regards et des sourires, des gestes à la maladresse feinte, une main sur son bras pour mieux lui désigner une plante – toutes ces déclarations de désir à ce point inouïes, à ce point infime qu’elle les pensait imperceptibles. Elle ressentait physiquement cet élan qui les projetait l’un vers l’autre, et la paroi de verre qui les séparait ».

« Le genre de personnage à avoir une certaine grâce, même sous un parapluie rose et vert. La grâce de se battre pour quelque chose qui est en train de disparaître ».

« Ils se battaient pour une liberté qu’ils n’avaient jamais connue, par loyauté à un capitaine, à un ami, à un père, à un dieu dont la grâce devait pouvoir les protéger de tout, leur épargner la peur, les exempter du risque de la mort. Ils se battaient pour le monde qu’ils avaient toujours habité, qui était le seul pour eux et qu’ils ne pouvaient laisser se désagréger définitivement dans la torpeur de la tyrannie. Il avait vu, à l’abri précaire et poreux des murs, des femmes pâles et ensanglantées, ou encore palpitantes de vie, de peur, de colère. Il avait entendu le rire des enfants qui escaladaient les tanks tombés, la mélodie des guitares qui se levait chaque soir avec la lune. Il avait vu certaines familles choisir l’exil, et l’exil se refuser à elles, quand il était devenu impossible de franchir les dernières portes d’Alep assiégée ».

Les confluents – Anne-Lise Avril – Editions Julliard – Août 2021

Livre reçu et lu pour le Prix littéraire de la Vocation 2021

 

lundi 6 septembre 2021

Une noisette, un film 


9 jours à Raqqa
Xavier de Lausanne 




2010, premières manifestations en Syrie. 2011, début de la guerre civile. 2014 : Raqqa devient la capitale de l'Etat islamique. De violentes images rappellent l'enfer sur cette terre qui a pourtant accueilli l'une des plus anciennes civilisations au monde, les Amorrites. 

2016, début de l'opération "Colère de l'Euphrate" avec les Forces démocratiques syriennes, sept mois d'offensive et en juin 2017 les FDS libèrent la ville, ville à 80% détruite, certains quartiers à 100%. Les images défilent sur les squelettes des immeubles, les rues dévastées, la fragilité d'une vie retrouvée. Les FDS sont composées de diverses organisations, confessions et d'origines mais la majorité est kurde. Et surtout des femmes combattent aux côtés des hommes. 

Leïla Mustapha n'a pas combattu mais elle est devenue maire de Raqqa au sein d'une assemblée composée de 130 hommes. Une gageure mais la jeune femme kurde est prête à relever le défi de reconstruire sa ville. Et surtout, d'y élever enfin la paix. La tâche est rude : des foyers extrémistes persistent, tant du côté islamique que du régime d'Assad sans oublier le rôle obscur de la Turquie voisine. Sa démarche, son regard, tout en elle exprime sa détermination parce que "Leïla ne se regarde pas, elle avance". 

Xavier de Lausanne réalise un document absolument poignant et même si nombreux documentaires vus et essais lus sur cette tragédie, l'émotion est toujours la même face au désastre humain. Ce film fait suite au tout aussi poignant livre de Marine de Tilly "La femme, la vie, la liberté". La journaliste du magazine Le Point voulait rencontrer cette femme hors du commun, Leïla Mustapaha a dit oui mais pout 9 jours seulement. Deux femmes partant à leur rencontre et bravant tous les dangers. Avec l'aide indispensable de la sécurité, des interprètes et des fixeurs.  

Le film déroule des extraits de leurs conversations, Leïla Mustapha guide ses hôtes à travers la ville dévastée - seulement de courts instants car le danger est toujours vivace - présente ses parents et ses proches, rappelle en un vibrant hommage la mémoire d'Omar Allouche assassiné en mars 2018 ainsi que ses espoirs mais aussi ses craintes si les aides internationales ne sont pas plus nombreuses, l'union faisant toujours la force. 

Un film évidemment à voir dès mercredi 8 septembre dans toutes les salles afin que votre regard se porte sur ces syriens aspirant non plus à des morceaux de vie mais à une vie entière, et, sur cette femme musulmane d'une vaillance exemplaire, voulant réconcilier femmes et hommes de tous horizons pour ramener la paix durablement. 

La musique d'Ibrahim Maalouf apporte une densité supplémentaire au texte et aux images de cette ode à la liberté et au courage. 

En complément, le livre de Marine de Tilly est toujours disponible aux éditions Stock et ma chronique est à retrouver ICI

9 jours à Raqqa - Xavier de Lausanne - Leïla Mustapha / Marine de Tilly - Musique : Ibrahim Maalouf - Production : Aloest Films 



dimanche 5 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Wonder Landes
Alexandre Labruffe

 


Sortir de sa zone de confort pour un plongeon dans un univers quasi fantastique et pourtant réel. Celui d’une famille cabossée et d’un homme qui l’est encore plus, véritable fauve indomptable en proie à des chimères fantasques et passablement explosives. C’est le frère d’Alexandre Labruffe – à qui il dédie son livre – qui, à force de périples extravagants, de relations douteuses, de folies de grandeur et d’affaires calamiteuses sur fond d’escroquerie, se retrouve en prison. L’écorché vif derrière les barreaux. Mais les dérives vont continuer à voguer sur le fil, ce frère funambule du funiculaire des saisons du dérèglement intérieur.

Labrit, département des Landes, lieu de la famille Labruffre où le paternel vit toujours. Lui aussi est sacrément indéfinissable, imprévisible et se sentant certainement supérieur à tout le monde de par sa formation universitaire – trois doctorats – ne comprend guère ses fils avec un effet boomerang. Cet énième épisode de PH (Pierre-Henri) par la case prison va entraîner le père vers la chute finale mais le rapprocher un peu de son fils Alexandre dans les derniers jours de sa vie. Jusqu’à découvrir bien des mystères quand il se chargera de vider la grande bâtisse pour la vendre et rembourser les nombreuses dettes du père Alain.

Alexandre est dans l’impasse, sa compagne Kim soutient que son frère est « malaaaade », ce qui ne fait probablement aucun doute mais là on songe aux paroles du jeune Werther « demandez donc aux fous d’où vient que leur raison s’égare » : héritage familial, accidents psychiques dans l’enfance, choix du prénom… avant de juger tenter de comprendre les êtres nébuleux même si l’exercice relève des travaux d’Hercule, Alexandre en sait quelque chose.

Un récit cathartique très rock, endiablé par les faits et déroulé à la vitesse d’une ivresse incessante. C’est vif, direct et très touchant. Malgré le tragique de l’histoire jamais de misérabilisme, aucune tentative de chercher la pitié, non l’auteur raconte tout la tête haute avec même cet humour et cette désinvolture puisés dans les fossés pour paraître au milieu des plaines.

Wonder Landes – Alexandre Labruffe – Editions Verticales (Gallimard) – Août 2021

Livre reçu et lu pour le Prix Blu Jean-Marc Roberts

samedi 4 septembre 2021

 

Une noisette, un prix littéraire
 
Prix Blu Jean-Marc Roberts

 


 

Une bonne fée a dû se pencher sur une branche de la bestiole arboricole pour me propulser au sein du jury du prix Blu Jean-Marc Roberts, accueillant ainsi pour la première fois un écureuil. Cela dit, comme un chevreuil a été primé l’an dernier – l’autoportrait de Victor Pouchet – rien de surprenant de voir apparaître la ménagerie du jardin des livres. Mais ne nous égarons pas, revenons  à nos moutons.

Le Prix Blu a été créé en 2017 par l’éditrice Capucine Ruat pour offrir une impulsion à une nouvelle voix de la littérature, privilégiant de jeunes auteurs ayant déjà écrit un ou deux livres et qui offrent une fenêtre sur l’audace et l’inattendu. Pour rappel Jean-Marc Roberts fut l’éditeur qui créa la collection La Bleue qui migra de Fayard à Stock, regroupant des œuvres contemporaines d’expression française, reconnaissable à la couverture bleu nuit. Le comité de soutien est composé de Nathalie Baye, Annie Ernaux, Xavier Giannoli et Patrick Modiano.

Pour l’édition 2021, les cinq livres sélectionnés sont :

📖 Bélhazar de Jérôme Chantreau chez Phébus

📖 Soleil Amer de Lilia Hassaine chez Gallimard

📖 Wonder Landes d’Alexandre Labruffe chez Gallimard (Verticales)

📖 Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain chez L’Iconoclaste

📖 Le Voyant d’Etampes d’Abel Quentin chez L’observatoire

Le jury rassemble Philippe Claudel de l’Académie Goncourt, Brigitte Giraud, Justine Lévy, Erik Orsenna de l’Académie française, Capucine Ruat, Sandrine Treiner directrice de France-Culture, Didier Barbelivien, le lauréat 2020 Victor Pouchet, les libraires Alain Bélier (Les Lucioles) et Corisande Jover (Les jours heureux) ainsi que votre serviteur 🐾 

Cette année le mécénat s’amplifie et le Prix Blu peut compter sur le soutien d’ Hachette, de la Fondation Jan Michalski, Vignobles & Signatures et du partenariat du Groupe Audiens et d' Onzième Sens.

Rendez-vous le 14 septembre pour découvrir qui sera l’heureux élu en sachant que l'ensemble de la sélection mérite d’ores et déjà toute l’attention des amoureux de la littérature.

 

 

 

 

vendredi 3 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Mon mari
Maud Ventura

 


On ne connaîtra jamais les prénoms de la femme et de son mari. Peu importe. Madame raconte, parle, relate, étale chaque minute de cette semaine qui semble avoir duré un mois tant elle a besoin de spécifier tout ce qu’elle a dans son cœur pour le porter vers son époux chéri. Enfin chéri… c’est à voir.

C’est une femme amoureuse, on veut bien la croire tellement elle le dit, le répète tel un mantra : elle l’AIME et ne cesse de penser à lui, de jour comme de nuit, en n’importe quel lieu et même avec ses élèves en cours d’anglais. Amoureuse mais pas forcément heureuse car elle a peur, peur de ne pas être aimée, d’être abandonnée… pourtant quinze ans de mariage et deux enfants, progéniture qu’elle met de côté avec aisance pour privilégier la relation avec son mari. Et le surveiller, on ne sait jamais.

Seulement, Monsieur est loin d’être bienveillant comme ce terrible jour lors d’un jeu avec un couple d’amis où l’on s’amuse à comparer sa moitié à un fruit, le fait qu’il l’imagine en clémentine ne fait pas de quartier ! La révolution orange est en passe de devenir rouge sanguine ! Et puis cette habitude de fermer les volets, de vouloir dormir dans le noir alors qu’elle aimerait tant voir l’aurore arriver, de ne pas l’embrasser sur la bouche en public, de ne pas suffisamment lui dire qu’elle est belle – parait que cette femme est d’une beauté renversante et aucune autre ne peut lui arriver à la cheville, la sienne certainement légèrement gonflée. Alors, la gente dame se venge, elle punit, oh en douceur surtout pour elle lorsqu’elle part dans les bras d’un autre homme pour quelques heures de vengeance, éphémère mais torride.

Un premier roman original, délicieusement écrit avec un assaisonnement humoristique qui met un sacré piment à l’histoire. Cette femme agace, déconcerte, amuse ; on ne sait si elle est fragile ou surdouée, égocentrique ou complexée, dominatrice ou victime,  saine d’esprit ou en perturbation régulière, voire psychopathe. La chute coule automatiquement et même je l’aurais imaginée en XXL, plus mordante encore.

Si les manuels de savoir-vivre de Nadine de Rothschild ont été d’une méritoire aide pour la protagoniste, nul doute que « Mon mari » est un excellent ouvrage pour harmoniser la vie d’un couple, à condition de suivre cette dame dans le sens inverse à ses propos. Sans oublier de veiller à bien suivre quelques cours de mathématiques avant de tromper votre partenaire car sinon une racine carrée peut faire basculer géométriquement les plans et élargir le problème aux plusieurs inconnues de l’amour.

Mon mari – Maud Venture – Editions L’Iconoclaste – Août 2021

Livre lu pour le Prix Littéraire de la Vocation

jeudi 2 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Là où naissent les prophètes
Olivier Rogez

 


« Les hommes ne peuvent jamais rester tranquilles. Ils s’inventent toujours des destins ou des vocations. Les dieux et déesses servent de prétextes pour mettre en mouvement leur ambition. C’est ainsi que naissent les prophètes ».

Cette phase pourrait résumer le nouveau roman d’Olivier Rogez. Elle si situe plutôt vers la fin et dans l’un des plus beaux chapitres, lorsque que l’un des protagonistes, Balthus Kouémé, se retrouve seul à la recherche de Laya partie rejoindre un prophète soufi. L’homme cherche son destin face à la violence de ses pairs et tente de trouver une explication avec à ses côtés un chien sauvage, un lycaon, qui l’a rejoint dans son odyssée.

L’action se passe dans une Afrique subsaharienne en proie aux exactions de Boko Haram semant la terreur dans de nombreux villages. Au milieu du chaos, des femmes et des hommes cherchent leurs voies… et des voix. Seront-elles impénétrables ? Wendell, pasteur fauché voit des anges et une jeune évangéliste américaine le rejoint au Libéria pour mener une caravane de la paix. Au même moment, au Cameroun, une jeune fille Laya s’enfuie de chez elle pour rejoindre un homme mystérieux, Initié, qui veut construire une cité idéale dans la pure tradition soufi. Le rejoint-elle pour l’empathie et la bonté qui dégagent de sa personne ou pour Issa, un jeune garçon dont le regard trouble la jeune adolescente. Et puis, ce soldat camerounais, Balthus, philosophe qui va apprendre beaucoup sur sa route, du pire comme du meilleur pour découvrir quelque chose d’inattendu.  

On connaissait Olivier Rogez pour son habileté à raconter des histoires, avec ce nouvel opus on découvre un formidable conteur. L’Afrique étant un pays cher au cœur de l’écrivain, on retrouve les empreintes de cette terre faite de grandeur et source inépuisable des mystères du monde, dont ceux de la foi, de la spiritualité. Avec ses excès, ses pouvoirs, sa beauté, ses dérives.

Un parcours initiatique, à l’image du soufisme,  avec un continent qui nous montre le chemin, ou plutôt, des chemins, là où on a beaucoup à apprendre… de l’homme, de la nature. Face aux peurs, aux atrocités, aux doutes, il ya des femmes et des hommes qui croient – ou ne croient pas – mais qui tissent une toile, parfois invisible, par leur seule présence. Vraies croyances, fausses superstitions, la quête de la spiritualité est un immense chaudron où bouillonnent toutes les convictions et surtout des espérances. La puissance des personnages de ce roman nous enseigne sur l’humanité et l’élément le plus important qui la constitue : l’amour et la diversité.

Un livre à mettre toutes les mains, véritable ode à la tolérance et à la bienveillance.

Là où naissent les prophètes – Olivier Rogez – Editions Le Passage – Septembre 2021

mercredi 1 septembre 2021

 

Une noisette, un livre


La Chambre des Dupes
Camille Pascal



Venez, accourez, je vous invite pendant quelques heures à observer les coulisses d’une histoire française au temps de Louis XV. Une histoire de quelques années entre Versailles, Paris, Choisy, Fontainebleau et Metz dans les flots du libertinage royal et des dessous d’une coterie prête à tourner casaquin ou gilet selon l’orientation des dentelles des favorites et des souffles du monarque.

Le jeune roi Louis XV est effondré. Sa maîtresse, la marquise Pauline de Vintimille se meurt après avoir accouché de Louis. Issue d’une très vieille noblesse française, la Maison de Mailly, elle avait d’autres sœurs : Louise qui fut la maîtresse du roi avant de rencontrer Pauline et Marie-Anne, marquise de la Tournelle qui deviendra la duchesse de Châteauroux, protagoniste de ce roman foisonnant, errant d’alcôves en alcôves dans une véracité historique exemplaire.

Rapidement, Louis XV tombe éperdument amoureux de Marie-Anne et n’hésite pas à user de tous les stratagèmes pour réussir à satisfaire les frémissements de son épée anatomique. Mais il doit s’armer de patience car la belle Marie-Anne n’est pas disposée à révéler ses charmes cachés et va s’assurer de recevoir moult avantages et garanties avant de dévoiler ses talents d’amante. Dans un royaume où les incursions intimes sont affaires d’Etat, l’un et l’autre s’appuieront sur deux êtres de confiance, l’un chaste, l’autre beaucoup moins : le cardinal de Fleury et le duc de Richelieu, ce dernier étant un personnage de roman à lui tout seul. Le roi de France et la future duchesse jouissent ensemble d’une volupté retrouvée jusqu’au jour où Louis XV tombe gravement malade, ses jours semblent comptés surtout avec l’aide d’un Diafoirus plus vrai que nature. L’Eglise, les rivales, les courtisans, la Reine et sa suite, tous orchestrent une sarabande vertigineuse devant l’imminence d’une danse royale macabre. Mais, entre deux saillies, le Duc de Richelieu veille…

Camille Pascal signe un roman époustouflant. Drôle et acrobatique, voluptueux dans la forme et rigoriste dans le fond, agitant la plume sur des personnages aussi historiques que modernes car, curieusement, peut-être bien férocement actuels. Cabrioles de mots au royaume des fantaisies de l’amour, de ses divins mensonges et trahisons qui ravissent l’esprit et font jaillir l’élégance de la langue française quand elle s’habille avec subtilité. « La chambre des dupes » s’est délicatement couchée dans la verve d’un Georges Feydeau mais veillée par l’éruditon d’un Alain Decaux.

Royalement orgasmique, « orgamisquement » royal !

« Qu’adviendrait-il alors de son bon gouvernement et de cette sage diplomatie qui lui avait permis de tenir la France éloignée tout à la fois de la guerre et de la banqueroute ? Ces écervelés savaient-ils les efforts qui lui avaient été nécessaires pour relever le royaume de la ruine et embrouiller à ce point la carte diplomatique de l’Europe qu’aucune chancellerie ne s’y retrouverait plus ? Un homme l’inquiétait particulièrement, c’était le duc de Richelieu, dont l’ambition politique n’avait d’égal que le priapisme. Ce fou usait de son nom comme d’un brevet de gouvernement, prétendait à tout avec une insolence et un aplomb qui révulsaient le vieux manœuvrier passé maître dans l’art de dissimuler et de feindre depuis le grand séminaire. Richelieu, non content de se faire annoncer par l’odeur insoutenable des parfums dont il s’inondait, traînait après son char plus de femmes déshonorées que paris ne comptait de cocus ».

« Si les chaises donnaient des airs de grandeur à des hommes qui en manquaient cruellement, les nouvelles, elles, étaient alarmantes et les mines alarmées ».

« Louis XV voulait aimer Marie-Anne à Fontainebleau en prince de la Renaissance, comme Henri II y avait aimé Diane de Poitiers. Ce même jour, à Worms, l’Autriche, l’Angleterre, le Hanovre, la Saxe et le Piémont-Sardaigne signaient un traité par lequel les puissances coalisées se promettaient d’arracher l’Alsace, la Lorraine et les Trois-Evêchés à la France, mais le roi Louis XV n’en savait rien ».

« On apprenait aussi par un autre courrier que la maison de campagne du cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg et grand aumônier de Sa Majesté, avait été livrée au pillage par toute une compagnie de hussards sans aucun égard pour les immunités d’un prince de l’Eglise. La mesure était comble. Déshonorer tout un couvent de religieuses était déjà indigne de bons chrétiens, mais priver un cardinal romain de son argenterie tout en brisant ses porcelaines de Chine et ses précieux trumeaux de glace à coups de crosse portait un peu loin la barbarie ».

La chambre des dupes – Camille Pascal – Editions Pocket - Août 2019

 

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...