vendredi 10 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les confluents
Anne-Lise Avril

 

 


Liouba, une jeune journaliste, dont les parents ont été assassinés en Russie lorsqu’elle était étudiante à Paris, ne songe qu’à voyager pour découvrir, rencontrer les gens et sensibiliser le monde aux dangers du changement climatique et de la nécessité de préserver la nature. De la Jordanie au Libéria en passant par la Russie, elle s’immisce dans les projets forestiers mis en place par des femmes et des hommes engagés dans un combat de peut-être la dernière chance : protéger la planète par les éléments de la nature et non ceux de la civilisation. Au cours de son premier déplacement elle rencontre Talal, un photographe qui veut mettre des images sur l’exil ; la rencontre est lumineuse, spontanée mais sibylline. Ils ne se connaissent pas mais quelque chose parait déjà les unir, leurs regards s’entrecroisent, leurs mains semblent se parler. Un amour impossible se profile –elle est libre, lui ne l’est pas –  seulement le destin est une route aux multiples chemins, aux méandres incontrôlables jonchés de forces invisibles et contradictoires.

En parallèle, vingt cinq ans plus tard en Indonésie Jaya quitte son frère jumeau et son île de naissance pour une destination inconnue dans un monde en proie aux colères climatiques et la cacophonie humaine. Aslam reste seul sans savoir si ce départ sera celui d’un nouveau changement, d’une renaissance ou d’une quête initiatique.

Un premier roman éblouissant qui rassemble sur le papier les sentiments, les belles-lettres, les idéaux et ce petit quelque chose d’inénarrable qui transforme le livre en une personne, en un cœur.

Ode à la nature, à sa préservation ; ode aux arbres, aux forêts, ode aux femmes et aux hommes de bonne volonté, celles et ceux qui doutent mais avancent, tombent et se relèvent, ode aux combattants de la vie, de la liberté ; ode aux blessés, aux corps déchirés, aux cœurs meurtris ; ode à ceux qui partent et reviennent, à ceux qui partent et ne reviendront jamais, ode à ceux qui continuent à danser sous la pluie, à celles et ceux qui attrapent un rayon de soleil dans l’obscurité de l’humanité. Et enfin, ode à l’amour, celui qui arrive doucement mais sûrement. Une main qui se pose, un regard qui contourne, des lèvres qui attendent la rencontre, des pensées et des paroles qui s’entrecroisent dans la même direction, un cœur qui hésite, résiste mais bat intensément dans le flux des désirs.

Un hymne contre la barbarie, la guerre sous toutes ses formes – celles invisibles que l’on ne nomme  pas face à la destruction de la planète – pour que gagne l’amour malgré les virages anguleux qui pourraient anéantir tout espoir. Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières quand ils rencontrent les eaux vives ; à l’image de ce roman les rencontres font l’histoire, entre les peuples, entre les éléments de la nature, entre deux êtres.

Quand deux cœurs se rejoignent, un confluent de volupté par le corps et l’esprit s’envole dans le firmament des âmes. Quand un récit vous emporte, c’est un confluent livresque par la force des mots et la puissance des sentiments. Ces sentiments non éphémères qui s’ancrent progressivement dans le terreau de l’esprit, des esprits sincères que la superficialité du monde n’a jamais pu atteindre. « Confluents » ou l’aube d’une espérance pour « planter des forêts contre les océans, croire en l’amour et renouveler le monde ».


« Elle avait choisi la Jordanie parce qu’elle était prise par l’appel du désert, de ces paysages immenses et vides qui la laveraient de son deuil. Rien ne la retenait plus à Paris. C’était son rêve, à présent, de partir, de s’absorber dans le monde, de s’en faire témoin, de disparaître derrière ses mots, de devenir ce puits à travers lequel passerait la lumière. La douleur de la perte, le souvenir de Moscou, c’était ce qu’elle voulait fuir. En perdant ses parents, elle avait perdu le lien avec les patries de ses origines, avec ce qui la rattachait aux générations du passé. Elle n’était plus ni de Russie ni de France. Elle était seule, en exil. Irréductible. Libre. »

« L’être humain a toujours été une espèce migratrice, mais ce mouvement s’accentue aujourd’hui au fil des changements climatiques, de la montée des eaux, des conflits croissants ».

« Dans un avion qui franchirait le ciel entre Aqaba et Berlin, Talal regarderait les clichés de la nuits sur l’écran incrusté de sable de son appareil photo. Il n’y trouverait qu’une forme vague et floue, un fantôme dessiné par la nuit, comme si un morceau de l’âme de Liouba s’était détaché, avait flotté quelques instants dans les airs ».

« Talal appréciait la réserve de Liouba qui disséminait malgré tout quelques indices de séduction. Tout était possible. Rien n’était certain. Il était perdu dans l’immensité des signes, lisibles et illisibles, qui émanaient d’elle, contradictoire, spontanée, mystérieuse. Elle lui adressait des regards et des sourires, des gestes à la maladresse feinte, une main sur son bras pour mieux lui désigner une plante – toutes ces déclarations de désir à ce point inouïes, à ce point infime qu’elle les pensait imperceptibles. Elle ressentait physiquement cet élan qui les projetait l’un vers l’autre, et la paroi de verre qui les séparait ».

« Le genre de personnage à avoir une certaine grâce, même sous un parapluie rose et vert. La grâce de se battre pour quelque chose qui est en train de disparaître ».

« Ils se battaient pour une liberté qu’ils n’avaient jamais connue, par loyauté à un capitaine, à un ami, à un père, à un dieu dont la grâce devait pouvoir les protéger de tout, leur épargner la peur, les exempter du risque de la mort. Ils se battaient pour le monde qu’ils avaient toujours habité, qui était le seul pour eux et qu’ils ne pouvaient laisser se désagréger définitivement dans la torpeur de la tyrannie. Il avait vu, à l’abri précaire et poreux des murs, des femmes pâles et ensanglantées, ou encore palpitantes de vie, de peur, de colère. Il avait entendu le rire des enfants qui escaladaient les tanks tombés, la mélodie des guitares qui se levait chaque soir avec la lune. Il avait vu certaines familles choisir l’exil, et l’exil se refuser à elles, quand il était devenu impossible de franchir les dernières portes d’Alep assiégée ».

Les confluents – Anne-Lise Avril – Editions Julliard – Août 2021

Livre reçu et lu pour le Prix littéraire de la Vocation 2021

 

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