lundi 26 novembre 2018


Une noisette, un livre


 37, étoiles filantes

Jérôme Attal




Paris, 1937 – Alberto Giacometti, au bord de la rupture avec sa fiancée, se fait renverser par une voiture américaine place des Pyramides.  En 1964, Jean-Paul Sartre relate l’accident à sa façon dans « Les Mots ». Cinquante-quatre ans plus tard, c’est Jérôme Attal qui offre une autre version. Celle d’un Giacometti qui est hospitalisé suite à la rencontre entre une roue et son pied place d’Italie. Il apprend de la part de son ex-future dulcinée Isabel, que Sartre a déclaré « Il lui est arrivé ENFIN quelque chose ». Plus qu’un désir, une envie, une intention : refaire le portrait du philosophe pour lui montrer qui c’est Raoul !

Une savoureuse histoire entre deux « artistes », l’un manie le plâtre, l’autre le verbe, une longue suite de « je t’aime, moi non plus », face à la complexité des deux personnages. L’écrivain nous entraîne de terrasses en terrasses, de cafés en cafés, de Montpanasse à l’ambiance germanopratine en passant par la rue Visconti, longue rue où les vœux passent comme des étoiles filantes dans l’ombre d’Orphée.

Entre deux statuettes, se glisse la fine fleur du surréalisme des années 30 : Breton, Eluard, Desnos, Foujita (et ses lunettes), Roché et aussi, indirectement, le philosophe allemand Husserl et, et l’incontournable François Mauriac lors d’un dîner avec le compagnon de Simone de Beauvoir. Tout un programme et n’hésitez pas à le demander !

Deux autres éléments participent à cette fantaisie livresque : l’amour et l’humour, des rimes qui s’ajoutent sans excès de glamour mais avec ce qu’il faut de la verve d’un troubadour (ou trouvère pour ceux qui sont plus au nord sans le perdre). Car il faut être un ménestrel des mots pour jongler avec autant d’aisance, de brio sur les chemins de l’amour (visites au lupanar comprises) et de ses hasards. De sa tendresse aussi.
Pour ne pas ennuyer le lecteur, l’écrivain facétieux l’entraîne également dans un commissariat où l’ambiance ne risque pas trop de mettre du bleu à l’âme surtout lorsqu’il s’agit de surfer sur l’actualité du XXI° siècle pour relater la plaidoirie d’un inculpé du début XX°, c’est jawadien vôtre… (cf page 100).

Alors hop, mauvaise troupe, en route, haut les noisettes dans le firmament des étoiles filantes qui brillent de 37 saillies.

« Il affiche la mine joviale, sans arrière-pensée, de ceux qui savent participer de bon cœur au spectacle de l’existence ».

« - Vous me faites confiance pour vos verres ? – Les yeux fermés ».

« Il y a beaucoup de présence dans l’absence ».

«  - Ce n’est pas une attitude un peu coloniale conquérante que d’arborer une ceinture en crocodile ? – Ce qui est bien avec vous, Jean-Paul, c’est que vous ne donnez jamais des coups au-dessus, ou en dessous de la ceinture, mais vous visez la ceinture même ! »

Jérôme Attal – 37, étoiles filantes – Editions Robert Laffont – Août 2018






dimanche 25 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Des mots de contrebande

Alain Cadéo




Des mots et encore des mots. Alignés. Superbement. Ils flottent, nagent, plongent, ressurgissent dans un ballet perpétuel de cadence verbale. Ils sont écrits, pour moi, pour toi, pour nous, pour eux. Pour tous les gourmands de littérature, du firmament des belles lettres. Mais aussi pour les curieux, les affamés de vie ou en recherche de vie. Car écrire c’est s’accrocher, recommencer. Infiniment.

Alain Cadeo est un poète « balbutiant l’infini », poète libre de toute convention. Sa plume virevolte au gré des jours, des nuits, l’aube et le réveil, le crépuscule et le sommeil ; une lueur, un rayon, des larmes de pluie… tout mérite que l’encre inscrive chaque instant.

Ce recueil est comme une épître pour chanter, clamer que seules les phrases ont un pouvoir divin, au-delà même de l’imaginable.
Des entrelacs en contrebande à ne pas prohiber mais au contraire à diffuser comme des étoiles.

« L’animal n’est vivant que libre et sans entraves ».

« Il y a les silencieux. De leurs grands yeux étonnés, ils regardent ce monde qui n’est pas tout à fait le leur, puis se retournent et disparaissent dans l’ombre de leurs derniers sous-bois, pleins de questions, prenant bien soin que personne ne les suive, effaçant la moindre trace de leur fuite. Et eux n’ont qu’un mérite, celui d’être discrets ».

« Deux ailleurs qui se croisent font, chaque fois, un nulle part que j’aime par-dessus tout ».

Des mots de contrebande – Alain Cadéo – Editions La Trace – Novembre 2018

vendredi 23 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Mon oncle de l’ombre

Stéphanie Trouillard




12 juillet 1944 – Bretagne. Dans le petit village breton de Kérihuel, sept parachutistes, huit patriotes et trois cultivateurs sont fusillés par l’armée allemande et les miliciens avant qu’ils ne mettent le feu au village dans une violence inouïe.
Parmi les résistants, un jeune homme de 23 ans, André Gondet. C’est son histoire que sa petite nièce a voulu retrouver puis raconter. C’est celle toute simple d’un Français engagé, une histoire parmi les autres qui toutes forment la grande histoire.

L’enquête s’annonce être une gageure car d’André Gondet on ne sait rien et ne subsiste qu’une photo qui était accrochée au mur de la maison de son frère, le grand-père de Stéphanie Trouillard. Mais il est décédé comme la plupart des personnes qui ont pu le connaître. Au départ, la journaliste a l’impression de poursuivre un ectoplasme jusqu’à aller douter même de son existence. Pourtant, cette photo existe, photo d’un jeune homme souriant et au regard déterminé.
Peu à peu, elle arrive à retrouver quelques traces de cet inconnu qui a croisé le chemin de l’intrépide Pierre Marienne ainsi que d’autres héros qui se retrouveront tous happés par un funeste destin. Elle décortique la brève vie du sergent en cherchant à comprendre comment et pourquoi il s’est engagé dans l’armée de l’ombre et c’est un secret bien gardé qu’elle découvrira.

A travers le parcours de ce grand-oncle, c’est une formidable opportunité pour remonter le fil du temps et le rôle de la résistance pendant la seconde guerre mondiale. Relaté avec beaucoup d’objectivité, elle essaie de tout décrypter, le meilleur comme le pire, des actes héroïques aux actes les plus terribles de l’occupant, sans oublier le rôle peu glorieux des miliciens à l’image de Zeller et sa bande. Elle n’oublie personne, notamment les femmes qui se sont engagées elles aussi dans la résistance, moins nombreuses que les hommes certes, mais trop souvent occultées. Sauf parfois quelques commentaires pour les salir car de suite le doute est mis sur des femmes côtoyant des hommes…

Une recherche excessivement minutieuse pour un document qui plaira aussi bien aux spécialistes de la guerre 39-45 qu’aux profanes. Des détails, des précisions bienvenues, des remarques touchantes comme le passage des échanges entre l’auteure et les descendants de l’infâme Zeller ; un ensemble enveloppé dans le souvenir des disparus et des quelques survivants. C’est aussi l’émotion d’une jeune femme en quête de ses racines et de l’histoire de sa famille.

« En réveillant les morts, j’ai bousculé les vivants ».

Mon oncle de l’ombre, enquête sur un maquisard breton – Stéphanie Trouillard – Editions Skol Vreizh – Septembre 2018


mardi 20 novembre 2018


Une noisette, un livre


 L’exil d’Ovide

Salim Bachi





« Sa terre d’accueil lui paraît inhospitalière et barbare comparée à Rome qui lui manque. Pour Ovide, le seul moyen de fuir ce quotidien de solitude et de tristesse est l’imagination qui le transporte dans la ville de sa jeunesse ».

Pourtant Ovide prend conscience que son exil est définitif, il abandonne le combat ; le désenchantement et la solitude l’emporteront face à la vie. Une mort lente, de plusieurs années, mais irrépressible.

Le romancier Salim Bachi signe un nouvel opus sur l’exil qui met l’accent sur la détresse psychologique de celui qui part et ne reviendra pas, en prenant l’exemple du poète latin Ovide, relégué sur l’île de Tomis pour des motifs qui restent et resteront probablement obscurs. Non déchu de ses droits, il sera néanmoins contraint au silence, à l’inaction. Il écrivit « Les Tristes » et « Les Pontiques » d’où sortent un chant mélancolique et douloureux. Il suit aussi les traces d’écrivains plus contemporains, d’Hermann Broch à Fernando Pessoa, d’Alfred Döblin à Stefan Zweig en passant par James Joyce. Seul l’exil de Thomas Mann semble être réussi, les autres ont sombré, certains se sont même suicidés.

En parallèle, l’auteur exprime son désarroi, la nostalgie de sa jeunesse en Algérie, cette Algérie qu’il a quittée durant la guerre civile des années 90. Ses regrets sont vertigineux, son mal-être visible. Son passage à la Villa Médicis n’est pas un souvenir intarissable même s’il se met à errer sur le parcours d’Ovide et les sites antiques. Seulement aucune métamorphose ne se déclenche. Il en est de même à Lisbonne où suivre les pas de l’écrivain portugais n’est qu’une errance. Paris, sa ville d’écriture ne lui plait guère et seule Grenade semble lui remettre un peu de baume au cœur, la beauté mauresque aidant.

L’abandon géographique est le thème récurrent des romans de Salim Bachi, Le chien d’Ulysse entre autres, parce que seul un être qui a vu sa jeunesse plongée dans l’enfer et qui ensuite a été obligé de fuir, peut se rendre compte de la souffrance de l’exilé, du déraciné.

Une très belle plume qui confirme combien les mots ont une  puissance quand ils  sont déposés avec talent et finesse sur le papier. Et combien l’envie de relire Ovide envahit l’ esprit pour justement prouver que l’écriture est une arme contre l’oubli et un acte cathartique.

« Il n’y a pas de retour possible pour celui qui a abandonné son lieu de naissance de gré ou de force ».

« L’exilé transporte sur son dos sa nostalgie comme Enée son père en fuyant Troie en flammes ».

« Les dictateurs, tyrans, potentats redoutent les poètes ».

« L’exil est ce sentiment envoûtant qui naît de la destruction du passé et de l’attente d’une renaissance. Quand il se double de la jeunesse, il peut être glorieux. A mon âge, ce n’est plus qu’une longue peine ».

L’exil d’Ovide – Salim Bachi – Editions JC Lattès – Novembre 2018

lundi 19 novembre 2018


Une noisette, un livre


 La blessure

Jean-Baptiste Naudet




La blessure. Ou plutôt les blessures. Celles de l’amour, de la guerre, de la folie. Amour dévasté par la guerre, la guerre et ses folies. Folies des hommes, folies de l’humanité victime de son inhumanité. Jean-Baptiste raconte, cogne en essayant de recoller les morceaux même si les fragments de chair de la boucherie guerrière ne pourront jamais se reformer. Mais l’écrire est un acte cathartique et un appel à la réconciliation au milieu d’un gouffre.

Danièle, la mère de Jean-Baptiste sombre dans une déprime que ses proches n’arrivent pas à expliquer. Pourtant son mari Gilles sait pourquoi mais, pudique, ne veut pas en parler à son fils. Surtout que ce dernier a décidé de devenir reporter de guerre. Mais un jour Gilles Naudet décide de raconter et, surtout, de montrer toute la correspondance entre son épouse et son premier fiancé, Robert Sipière qui a été aussi le meilleur ami de Gilles. Robert a été tué en juin 1960 en Kabylie, deux ans avant la fin d’une terrible guerre entre la France et l’Algérie.

Le roman oscille sans cesse entre les lettres d’amour envoyées des deux côtés de la Méditerranée, l’histoire de Robert et Danielle, et la descente aux enfers de Jean-Baptiste après ses expériences au Kosovo, en Tchétchénie, en Bosnie qui se juxtaposent avec les fantômes du passé.
Que de passion partagée entre deux êtres qui espéraient vivre ensemble pour l’éternité. Mais la guerre, la sale guerre a tout cassé, elle a privé les lèvres de baisers, les corps de jouissance, les sentiments de s’embellir encore et toujours. Elle a privé le bonheur d’un couple, elle n’a laissé que douleurs, chagrins et peines. Avec en prime une balle dans le ventre de Robert et une agonie de plusieurs heures. Une histoire qui s’ajoute aux milliers d’autres, et ce, depuis la nuit des temps.
Dichotomie totale entre la beauté des lettres, les envolées lyriques et la réalité cruelle d’une guerre pitoyable que raconte avec une force inouïe le journaliste, lui aussi ayant sombré dans la folie après avoir vécu l’invivable. Car il faut bien réaliser qu’une guerre ce n’est pas que des bombes, des balles, ce sont aussi les humiliations, les viols, les tortures, pire que la mort, le plaisir malsain de  martyriser en escaladant les férocités du supplice.

Les mots pleuvent en rafales, les phrases déchirent ; l’horreur dans toute son abomination est relatée sans voile d’avertissement, mieux vaut trancher carrément dans l’ignominie pour faire jaillir le sang qui a trop coulé, qui a trop pleuré. C’est superbe en écriture, c’est déconcertant en désolation. Une vie est unique et depuis que l’homme existe il n’a cessé de vouloir tuer, faire souffrir son prochain. Dans quel but ? Le bourreau d’hier est souvent la victime de demain… Dans une aventure belliqueuse plus rien ne compte, les soldats jouent leur survie, les ennemis de part et d’autres font de même, œil pour œil, dent pour dent. Loi du talion. Loi fétide.

Mais ce récit est aussi celui d’une résurrection, ou tout au moins celui de l’espérance. Après les cris de douleurs, les cris de détresse, c’est un cri d’amour, un chant aux étoiles bienveillantes, un hymne à la réconciliation. Une demande de pardon, une partition scripturale pour se mettre à genoux. Le dernier paragraphe est mirifique de noblesse, à l’instar des mots du père de Jean-Baptiste. La mémoire de l’écrit pour ne jamais oublier les vies déchiquetées au nom de l’absurdité des guerres et conflits.

« Chacun a son Hélène pour laquelle il est prêt à mourir. Ainsi va l’amour, ainsi vont les guerres ».

« Une société malade et non elle. Pendant que les psychiatres s’acharnent à trouver une cause à son mal, elle lui donne un sens : c’est une révolte de son âme et de son corps. Elle n’est pas une folle honteuse qu’on a enfermée mais une prisonnière politique fière de sa lutte. Elle n’est pas une aliénée mais la victime d’une société aliénante ».

La blessure - Jean-Baptiste Naudet – Editions L’Iconoclaste – Août 2018

dimanche 18 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Quand dire, c’est vraiment faire

Barbara Cassin




« Ulysse hésita : ou bien supplier cette fille charmante en la prenant aux genoux, ou bien sans plus avancer n’user que de paroles douces comme le miel ? Il pensa tout compté que mieux valait rester à l’écart et n’user que de paroles douces comme le miel : l’aller prendre aux genoux pouvait la courroucer. Aussitôt il tint ce discours : [Je te prends les genoux, maîtresse, que tu sois déesse ou mortelle] ».

C’est par l’un des plus beaux chants de l’Odyssée que l’académicienne Barbarin Cassin débute son essai prodigieux sur le pouvoir des mots, Homère, divin à l’image d’Ulysse, inventeur païen du performatif, là où le langage devient action, notion développée par John L. Austin dans « How to do things with words » et qui devient avec Barbara Cassin « Quand dire, c’est vraiment faire ». Oui, vraiment…
Quand Ulysse se présente devant Nausicaa, au lieu de se jeter à ses genoux et les lui prendre il va « simplement » déclarer : « Je te prends les genoux ». Parler au lieu de faire, un acte illocutoire.
C’est l’occasion d’une véritable déclaration homérique, une ode au poète grec qui est à la base de tout (que Platon le veuille ou non), un juste retour pour un Homère qui glorifiait tout, et qui, permet à la philosophe d’introduire une autre notion, celle de l’éloge.

La deuxième partie est consacrée à Gorgias et sa « belle Hélène », où « louant le louable et blâmant le blâmable » c'est une quintessence du paradoxe de l’éloge qui finit par innocenter Hélène. Une preuve pour ce chantre de la rhétorique de son immense critère de la vérité. S’ajoute évidemment une étude sur le Gorgias de Platon, ces dialogues entre Gorgias et sa rhétorique-sophistique, et, Socrate pour qui, si je résume affreusement, l’art de bien parler est un mensonge…

La troisième partie est plus contemporaine avec la naissance du peuple arc-en-ciel qui est, pour la philosophe, une performance politique même si tout n’est pas une réussite. On souligne le discours de Desmond Tutu et le rôle de la CVR, la Commission Vérité et Réconciliation. Mais la référence à Gorgias est encore présente « Le discours est un grand souverain qui, au moyen du plus petit et du plus inapparent des corps, performe les actes les plus divins ». Toute la question de cette page de l’Afrique du Sud est peut-être dans l’intraduisible  tag « How to turn human wrongs into human rights »  inscrit sur la maison de l’archevêque à Cap Town, ou comment basculer du négatif au positif par la seule force du langage. Reste l’épineuse matière de l’amnistie et du pardon ; pourtant l’amnistie sud-africaine est loin d’être une amnésie… comment réconcilier ce qui parait irréconciliable ? En politique il est important de prendre soin du langage pour tenter l’anamnèse.
Dans un autre registre, le « yes we can », n’est-il pas passé du performatif au constatif…

De l’antiquité à nos jours, est-ce que le discours grec peut encore être d’actualité ? A l’heure des fake news, des rumeurs surfant sur Internet, de « la rhétorique sans rhétorique des réseaux sociaux », des jugements subjectifs, un peu de recul sur la performance langagière et le pouvoir des mots dans toute sa longue trajectoire ne peut être que salutaire. Mais avec toujours la plus belle histoire d’amour depuis que l’humanité existe, celle du « logos ». En se souvenant d’Aelius Aristide et que « le logos marche du même pas que le temps ».

Quand dire, c’est vraiment faire. Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel – Barbara Cassin – Editions Fayard – Novembre 2018


samedi 17 novembre 2018


Une noisette, un livre, un hommage aux exilés


 Une prière à la mer

Khaled Hosseini




Bodrum. Ville fondée par les Grecs et devenue une station balnéaire qui est un peu le Saint-Tropez turc. Des milliers de touristes affluent pour jouir du soleil et de cette « mare medi terra ».
2015. Sur cette même plage arrivent des milliers d’exilés fuyant la détresse, l’enfer. Ce jour de septembre, est retrouvé mort sur le sable le petit Alan Kurdi, âgé seulement de trois ans.

« Une prière à la mer » de Khaled Hosseini est un hommage à cet enfant ainsi qu’aux milliers de réfugiés disparus en Mare Nostrum ; ces femmes, ces hommes, ces enfants qui quittent la mort dans l’âme leur terre pour disparaître à jamais dans les eaux de la Méditerranée. D’un espoir d’une vie meilleure, c’est un naufrage, un adieu pour toujours.

L’écrivain Khaled Hosseini, qui est aussi ambassadeur de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(les droits d’auteur seront reversés à cette institution), raconte l’histoire d’un père qui narre à son fils Marwan son enfance à Homs, du temps où le soleil brillait. Avant que ne pleuvent les bombes. Tel un Ulysse des temps modernes il craint la violence des flots après celle de la guerre et prie pour qu’un dieu les protège durant cette traversée périlleuse. En attendant de voir à nouveau la lumière de l’espérance.

Livre superbe par la force du verbe de Khaled Hosseini et  magnifiquement illustré par Dan Williams ; il ne peut que toucher, émouvoir. Sensibiliser aussi à cette détresse du migrant qui n’a plus d’autre choix que d’abandonner son pays : « le ciel qui crachait des bombes, la faim, les enterrements ».
Quelques phrases d’une beauté scripturale où le pouvoir des mots prend une dimension vertigineuse. Vertigineuse comme l’attente, vertigineuse comme une prière que l’on lance à la mer…
« Prier pour que dieu guide notre bateau
alors que le rivage disparaît
de notre vue et que nous ne sommes
plus qu’un petit point noir qui tangue
et qui gîte sur ces eaux tumultueuses
prêtes à nous engloutir ». 

A acheter, à offrir parce que l'exil nous concerne tous, chaque vie doit être sauvée, chaque espoir doit se concrétiser. 

Une prière à la mer – Khaled Hosseini / Dan Willimas – Editions Albin Michel -  Août 2018

Pour chaque livre vendu, l’éditeur fera un don d’1€ à La Cimade



lundi 12 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Marathon rouge sang

Philippe Paillaud




Rouge comme le sang. Un marathon aux couleurs de la corrida où des banderilles de haine ont ensanglanté des courses qui n’avaient pourtant qu’un seul objectif : courir. Courir pour le sport, l’amitié, la passion. Rouge passion.

Sylvie Joubert, fille du sénateur Paul de Lormont est assassinée une fin d’après-midi au cœur de Paris pendant son jogging quotidien. Quelques mois plus tard, c’est un autre coureur, Christian Delmont, qui est tué lors du marathon de Paris. Tueur en série ? Psychopathe ? Les médias friands de sensationnalisme se pressent pour faire monter les enchères (et les audiences).
En parallèle, Bertrand Letellier, journaliste sportif au bord du précipice, commence une renaissance en ayant rencontré une ancienne collègue qui l’engage dans son entreprise blogueuse tout en le remettant en piste sur l’asphalte des joggeurs. Très affecté par ces deux disparitions brutales, particulièrement celle de Christian avec qui il avait découvert un drame commun : leurs pères respectifs ont été assassinés en Amérique du Sud du temps de Pinochet et de Videla. Il va alors peu à peu participer à l’enquête avec le commissaire Dougret.

Et c’est là que se révèle toute la richesse de ce roman noir : un thriller mais pas uniquement. En marge de la narration sportive, c’est une méticuleuse recherche historique qu’a effectué Philippe Paillaud pour retracer le triste et sombre passé de la colonisation française en Algérie et qui plus tard eut une incidence en Amérique Latine : des anciens militaires français (souvent ceux proches de l’OAS) envoyés dans l’hémisphère sud pour « instruire » leurs collègues argentins et chiliens durant les effroyables dictatures. La référence à l’enquête de Marie-Monique Robin (*) est révélatrice. De l’opération Condor à la Coupe du Monde 1978…

Vaste réflexion sur cet héritage déconcertant, sur les alliances avec le diable et sur le travail de mémoire. Mémoire ineffaçable mais qui pose la question de la repentance, du pardon. Pardonner ce n’est pas oublier mais permet de dissoudre la haine pour éviter la répétition de la barbarie, en sachant que les vivants d’aujourd’hui ne sont pas responsables des morts d’hier ou d’avant-hier.

Quant à l’histoire policière, elle est rondement menée et pas que pour une nuit. Malgré le titre pas d’hémoglobine en surplus, pas de détails sordides pour juste contenter le regard voyeuriste ; juste le suivi romanesque d’une investigation sans incohérence technique dans la procédure judiciaire.

Une bonne galopade livresque qui, pour les non initiés comme votre serviteur, fera découvrir le Seven Continents Club (dont l’auteur est membre) et l’univers marathonien ainsi qu’une leçon d’histoire et de philosophie sur les fantômes du passé qui laissent encore passer leur ectoplasme dans l’âme de nos contemporains.

« Pierre savait bien qu’on pouvait effectivement choisir son destin sur des idées, mais aussi que parfois, peut-être même le plus souvent, c’étaient les circonstances qui décidaient. Il se souvenait avoir entendu dire qu’en 1944 à Niort, deux frères avaient épousé une destinée opposée, tout simplement parce que l’un deux était amoureux de la fille du chef d’un réseau de résistants, et l’autre de la fille d’un sympathisant de la milice. A la fin de la guerre, les idées et les choix avaient réuni les deux frères dans le même cimetière, l’un tué par les soldats allemands au cours d’une opération de sabotage, l’autre fusillé par les résistants à la libération. Petits, ils étaient d’accord sur tout et inséparables. Comme à présent dans leur tombeau devant l’éternité ».

« Retiré dans l’obscurité épaisse de son logement, l’homme eut un sourire de satisfaction. Pour l’instant, son plan se déroulait à merveille. Il n’éprouvait aucun remords. Au contraire, il avait vraiment aimé ce qu’il avait fait. (…) Il s’était découvert puissant, dominateur, invulnérable presque. Il s’était senti dans la peau d’un lion quand il traque une antilope ».

Marathon rouge sang – Philippe Paillaud – Editions Cédalion – Octobre 2018

(*) Escadrons de la mort, l’école française – La Découverte – 2004

« On ne doit pas tenir rigueur aux enfants des assassins, des crimes de leurs parents » Robert Badinter

jeudi 8 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Douce

Sylvia Rozelier




Aimer et prendre garde. Prendre garde pour l’autre mais aussi prendre garde à soi-même. Car l’amour est passion, l’amour est aveugle, l’amour happe, dévore. L’attirance plus forte que la raison, la raison enfouie dans les corps, les corps s’enfoncent dans la jouissance, la jouissance qui pose des œillères, les œillères qui provoquent la myopie de l’esprit, l’esprit qui part dans l’égarement, l’égarement qui fait souffrir. Douce et si abîmé par l’autre.

Tout commence par une rencontre anodine. Pas de coup de foudre, même pas le jaillissement d’une étincelle. Tout oppose cette femme et cet homme. Juste une réunion de travail. Puis, une seconde entrevue où le futur couple se voit davantage, puis être entraîné dans une boîte de nuit, et soudain, c’est l’amour fou qui se déclenche pour Douce, surnom donné par son soupirant. Dés les prémices de la relation, tout est compliqué, Douce habite Paris, lui le Sud de la France. Chacun a vécu des précédentes liaisons, Douce est juste séparée de son compagnon Adam, du nouvel homme de sa vie on ne sait quasi rien. Vont suivre des années de retrouvailles, d’absence, de conflits, de silence, de mensonges, d’emprise. Un enfermement intérieur amoureux qui consume Douce mais elle va continuer à souffler sur les braises pour enflammer un amour impossible.

Un très subtil roman qui ne peut être totalement fictif. L’écriture est trop réelle, la plume semble gémir sous les souffrances de l’âme et de la chair. Un récit comme un témoignage, comme un journal de bord d’une femme amoureuse qui refuse de croire à ce qu’elle semble voir, qui veut rompre mais ne peut jamais interrompre ses pulsions aimantes.
Sylvia Rozelier fait de Douce l’incarnation de la femme sous le joug de l’homme ; comment la manipulation, alliée au désir, peut assouvir un être qui ne souhaite qu’aimer et être aimée. Le tout dans une arabesque scripturale infinie. 

« Le mystère n’agit que par le pouvoir qu’on lui prête ».

« Notre amour narcissique et destructeur, un narcotique puissant contre lequel je ne possédais pas l’antidote. La passion, une drogue plus forte que les déceptions, les rêves, les promesses, l’orgueil et les blessures. Addiction rapide. Cures de désintoxication inutiles. Rechutes à répétition ».

Douce – Sylvia Rozelier – Editions Le passage – Août 2018

mardi 6 novembre 2018


Et un jour, l'écureuil fut... 


Chers bipèdes,

Vous êtes nombreux à avoir demandé à ma doublure humaine d’où venait Squirelito et son nom. Je répondais plus ou moins car il manquait la preuve irréfutable de mon existence. Je suis né le 15 juillet 2005 (merci de vous en rappeler pour me souhaiter mon anniversaire) pour écrire un billet d’humeur qui me trottait dans la tête depuis des années. D'écureuil extra-terrestre, je suis devenu arboricole hermaphrodite...
Entre 1993 et 2007, j’ai participé à des collectes, à une mailing list internationale sur le ténor Josep Carreras (une pensée pour feu Sharon Herzog pour laquelle j’avais une immense amitié et un profond respect) ainsi que collaborer à une aide psychologique via le forum de la Fondation du ténor contre la leucémie ou par emails. Etant agacé par certains comportements complètement absurdes face aux leçons de vie qui s’offraient à chaque instant de la part des patients et du ténor lui-même, j’ai rédigé cette bafouille (dans mon anglais très particulier...) avec un nom moitié anglais (même si un r s’est envolé), moitié espagnol sur la base d’un animal plutôt espiègle, Squirelito était né. Quand je me suis inscrit sur les réseaux sociaux puis créé un blog, l’écureuil était une évidence (et hop, à la niche ma doublure humaine, zou !) ;

Seul problème, impossible de retrouver ma noisette, disparue en même temps que les disquettes. Mais, ô miracle, je l’ai enfin retrouvée après des mois de recherche, mise en copie sur un ancien Yahoo Group et ainsi vous allez découvrir que déjà à l’époque les élucubrations sciuridériennes travaillaient déjà de la noisette… ! 


Once upon time

Once upon time, a marvellous planet was called "WHHAAT" 
where people lived and enjoyed the best in the best possible 
world as a certain Candide did.

All was quiet, friendly and in reading such nice things 
about this country, an inhabitant called "Squirelito", from 
another planet without a great name because their people 
always prefered to be efficient than too "showing" - maybe 
to avoid some " cold shower" one day -, decided to visit 
"WHHAAT".

The reasons of the Squirelito's travel were numerous but 
the main one was to attend a concert given by the musician, 
Jose Carreras, a very famous opera singer, full of 
incredible talent, unique voice and above all, a marvellous 
heart and soul as he has created a charity for helping the 
others after fighting himself against a terrible disease. 
The Carreras's work was sincere, not a kind of humanitarian 
activity for valorizing his image, no, his only challenge 
and goal was to save lives and help medical research and the 
patients.

Squirelito bought a ticket and tried to get more 
information on the planet, the concert, and many things 
more.

Once he arrived on the "WHHAAT" planet he decided to read 
several newspapers, reviews on the opera singer and to meet 
some opera fans and supporters of Carreras. He was very 
happy and lived in a fool's paradise.

The first person he met, 'A', was a tremendous opera fan who 
wrote many reviews in some magazines. Squirelito was not 
always agree with 'A' but shared their common passion for 
Italian opera and singers who knows how to move an audience. 
However Squirr=elito wanted to ask was why 'A' wrote always 
bad reviews on Carreras saying that he was the shadow of 
himself and pointing out only his charming look. But when, 
Squirelito came to the opera fan's house his big surprise 
was to see all the Carreras's recordings, especially video, 
in the listening room with many pictures in the wall...

Then, a few hours later, he was walking toward the concert 
hall and went directly to his seat to attend the 
performance. The person seated just next to him was 
apparently a big supporter who applauded the artist... when 
he was just front to her. Squirelito didn't pay attention 
to that, thinking it was just a behaviour from "WHHAAT" 
people. At the interval he began to be more sceptical. He 
spoke with several supporters and curiously the discussion 
was not on the performance but only on the singer's look and 
his private life. Squirelito was surprised because he was 
thinking to other comments such as the brilliant voice, the 
marvellous tones, the diction, the moving and the incredible 
communication of the singer who was able to transmit every 
sentiments he was feelling during his performance.

The second part of the concert was even more magic and a 
total of 8 encores was offered which showed the sincere 
generosity of the opera singer. Squirelito noted, also, the 
great talent of his pianist, very talented musician, very 
discret but who was playing like a true and great maestro.

Just after the concert, Squirelito could see a big rush 
toward backstage and was wondering if it was not the 
rehearsal of some race. But no, it was just the wish to 
"congratulate" the opera singer. Squirelito decided not to 
meet Carreras thinking he was certainly very tired and he 
didn't want to behave like an egotist. But he followed some 
others fans just to hear more comments. But most of them 
were the same as during the interval, not a word on the 
program, or the music or the pianist. Squirelito enjoyed so 
much the golden voice and the careful interpretation where 
the more the sentiments were deep in the lyrics and music, 
the more the emotion was growing. No word either of what he 
read in the press: the day before the concert, José Carreras 
met patients and opened a medical unit for improving care. 
Nothing, the comments were always the same, bla-bla and 
gossip. And these supporters were awaiting to met the 
singer. hoping that he could pay attention to them. Some of 
them went at the backstage with a clear idea and not always 
unselfishly.

Squirelito couldn't understand why such bad comments 
whereas they claimed they were supporters. "WHHAAT" was a 
curious planet !! A big disappointment for Squirelito, 
maybe "spare the rod and spoilt the child"...However, 
Squirelito could also have big laughing moments, especially 
when someone began the topic on "the new Carreras's socks, 
yes, those bought in a shop of the town, the big question 
was the colour and why he bought a pair of socks. 
Speculations went at a good pace and Squirelito was only 
sorry not to have made bets.

Squirelito went away but, fortunately, met other people who 
were delighted of the evening but were discret, reserved and 
full of admiration for the singer and the man. And, so, he 
realized that the majority of the audience was sincere and, 
maybe, as acknowledgement for such beautiful singing, would 
make a gesture for his charity. In thinking of that and of 
all the emotion felt throught the concert due to the 
exceptional personality of Jose carreras, he had tears in 
his eyes, exactly like for the few patients who were able to 
attend the concert and where each note gave them emotion and 
hope in their fight. A BEAUTIFUL singing that fills up the 
heart of happiness, joy, and which is able to comfort the 
pain. In the Squirelito's mind it was the most important to 
remember.

15th July 2005





Une noisette, un livre


 La frivolité est une affaire sérieuse 

99 essais

Frédéric Beigbeder




Un peu d’impertinence, s’il vous plaît, nous sommes Français ! Frédéric Beigbeder agace ou séduit mais dans les deux cas de figure il ne laisse pas indifférent. « 99 essais » est une compilation de divers billets d’humeur publiés dans la presse par l’écrivain avec une particularité,  trois parties sont  mises en exergue : avant 2015, en 2015, après 2015. Et c’est ainsi qu’on mesure ô combien « la frivolité est une affaire sérieuse ». Même salutaire.

Aussi éclectique que possible, Frédéric Beigbeder parle de tout et de rien, de sujets lourds et légers, mais toujours avec humour (sans se prendre au sérieux) et avec un cynisme que l’on pourrait qualifier de bienveillant. Une chose est irréfutable, si certains naissent dans les choux, ce natif du Béarn n’a pas vu le jour dans un arbre (malgré son admiration pour le cèdre du Jardin des Plantes) car il a banni à jamais la langue de bois ; que ça plaise ou non, il exprime ce qu’il a envie de dire, il livre ses opinions en mettant le politiquement correct aux rayons des accessoires inutilisables.

Littérature (qui «est avant tout une conversation »), cinéma, fashion-week, alcool (voire cigarettes et p’tites pépées), vie nocturne, sexe, tout y passe sans trépasser. Sauf quand il évoque avec une infinie tendresse la disparition de Jocelyn Quivrin et Jean d’Ormesson. Et puis, il y a 2015. Même si avant il y a eu 2001. 1995 aussi. En France, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique. La réponse de l’auteur est sans appel, cinglante et lucide, tout y apportant comme toujours de l’ironie qui parfois est également « la politesse du désespoir », une arme aussi, et celle-ci sans faire de victimes. Une arme non létale, au contraire, elle a pour but de faire renaitre, de ne pas oublier que « Paris est une fête ».

Cela dit, Frédéric Beigbeder a sa bête noire (qui n’en n’a pas ?), je nomme Internet et les réseaux sociaux (entre nous ses initiales sont quand même FB…) : « La vindicte de ce monde virtuel qui semble avoir été créé pour permettre à tous les haineux du monde de se donner la main ». C’est joliment exprimé et on ne peut lui donner tort. Sauf, qu’il existe heureusement, l’autre versant, peut-être moins mis en lumière mais où on peut avoir le monde au bout des pattes avec des échanges cordiaux. Mais cette violence virtuelle est ni plus, ni moins, que le reflet d’une société ; le romancier a encore une phrase terriblement juste « La violence n’est pas un discours ou une langue ; la violence commence là où disparait le vocabulaire ». Quand on ne sait plus quoi dire, on frappe, quand on est en manque d’arguments, on agresse.

Alors avant toute chose, de la LITTERATURE, pour « humaniser l’inhumain », pour narrer l’inénarrable (Frédéric Beigbeder, si un jour vous me lisez, je l’ai mis pour un ajout page 93), pour continuer à s’exprimer à sa guise, pour quelle soit le réverbère du fil de la liberté avec un funambule de la désinvolture, de la fantaisie (sans divins mensonges), de la légèreté. Cette légèreté si soutenable des êtres. 

« L’écrivain est toujours un funambule qui titube entre le ciel et la terre ».

« Quand fera-t-on ENFIN la distinction entre ce que pense l’auteur et ce que disent les personnages ? »

La frivolité est une affaire sérieuse – 99 essais – Frédéric Beigbeder – Editions de l’Observatoire – Octobre 2018





dimanche 4 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Objet trouvé

Matthias Jambon-Puillet




Votre serviteur au pelage cuivré a ouvert et commencé ce livre avec une certaine appréhension, allait-il vers un gang-bang littéraire ? Le résumé m’apprenait que j’allais pénétrer dans le milieu des pratiques sexuelles alternatives, et ainsi, je devais bien prévenir mes petites cellules grises que si je lisais des passages sur la promenade d’un gland il ne s’agirait en aucune façon du fruit du chêne. Donc, de la décontraction avant toute chose sans se faire fouetter les noisettes.

Nadège était fiancée à Marc. Le jour de l’enterrement de la vie de garçon de Marc, il disparait mystérieusement. Nadège, enceinte refait sa vie avec Antoine. Quelque temps plus tard, Enzo est né sans son père géniteur. Jusqu’au jour où l’ex beau-père de Nadège lui téléphone pour lui dire qu’on a retrouvé Marc, sans aucune précision. Par la police, elle apprend avec stupéfaction qu’il était gisant dans un appartement, entièrement nu avec seulement  le sexe comprimé dans une ceinture de chasteté. Dans une pièce voisine, une femme, Sabrina, gainée de cuir et morte… Nadège va enquêter et tenter de comprendre.

Un roman qu’on ne peut juger qu’à la dernière page. Matthias Jambon-Puillet a la délicatesse d’amener le lecteur progressivement dans ces pratiques obscures, sans forcer sur le glauque, sans tomber dans une vulgarité trop facile. Il y a même de l’élégance car avant tout c’est l’amour qui survole les pages. Aucune réelle violence car l’auteur prend soin de créer un récit où les relations sont consenties, elles sont voulues de part et d’autre, non forcées. Et c’est certainement ce qu’il y a de plus important dans l’histoire : orienter ses désirs sexuels avec la condition d’une liberté totale et d’une confiance réciproque. On est loin de scènes orgiaques. Après tout, « Où l’amour met son pied vainqueur/Ah c’est la torture suprême/Qui donc commande quand il aime » (1).
S’ajoutent de beaux effets de surprise, une écriture souple et une subtile combinaison entre la psychologie des personnages et les fantasmes insoupçonnables des adeptes du BDSM.

Un univers qui restera loin de mon arbre mais on peut qualifier cet «Objet trouvé » de lecture pas perdue, hors de toute contrainte.

« Imaginer Marc avec une autre lui coûte déjà tant, alors incorporer ces éléments, ces objets dont elle ne veut pas comprendre l’utilisation, c’est trop. Mouvement en arrière, elle ne peut pas appréhender autant d’informations. Son cœur bat fort, lui tape contre les temps comme autant d’incessantes et rythmiques petites gifles. Elle recule jusqu’au lit, se laisse tomber au sol, s’adosse contre le bord du matelas. Elle se concentre sur sa respiration, fait abstraction de tout le reste. Le calme revient par paliers. Elle tente de se lever quand sa main d’appui heurte un petit objet qui s’en va rouler plus loin sous le lit. »

Objet trouvé – Matthias Jambon-Puillet – Editions Anne Carrière – Août 2018

(1)  Armand Silvestre et Léonce Détroyat pour Henri VIII de Camille Saint-Saëns

  Noisette historique La Nuit des ombres  (Les marais de Bourges) Édouard Brasey   Zoé et Jacques s’aiment. Ils n’ont pas encore v...