Une
noisette, un livre
L’usure
d’un monde
François-Henri
Désérable
« La
peur est l’arme la plus sûre du pouvoir »
François-Henri
Désérable voulait marcher sur les traces de Nicolas Bouvier avec son livre « L’usage du monde » Le célèbre écrivain voyageur avait parcouru de
nombreux pays pour mener, entre autres, une réflexion sur cette manière d’être
au monde parmi ses contemporains, sous d’autres latitudes que sa Suisse natale.
La crise sanitaire a retardé le départ du sieur Désérable et, hasard du
calendrier, l’écrivain a pris l’avion direction Téhéran au moment où le peuple
iranien descendait à nouveau dans les rues sous une répression sanglante. Ce
témoignage n’est en rien un essai : il mêle récit de voyage et réalité de
la vie d’un peuple, du Baloutchistan jusqu’au Kurdistan.
Malgré la tragédie que vit, encore une fois, le peuple iranien, l’écrivain sait humour garder – sa marque de fabrique – ce qui lui permet d’être particulièrement incisif sur sa vision des faits : la colère, la peur, la fatigue et, pire que tout, la torture et les peines capitales qui s’accumulent pour celles et ceux qui osent manifester. Son récit est d’autant plus remarquable qu’il a vécu en direct la situation actuelle, contrairement à certains journalistes qui commentent l’actualité iranienne tout en étant dans une salle de rédaction à Paris ! Être sur place est devenu quasi-impossible et, d’ailleurs, François-Henri Désérable se fera expulser après avoir été contrôlé dans le Kurdistan iranien.
La méfiance est de mise mais l’écrivain garde toujours confiance en ce peuple dont l’hospitalité est une règle d’art tout en veillant à détecter le fameux Ta’ârof. Leçon d’humilité, leçon de courage face à ses femmes et hommes bravant la mort pour crier « Femme, Vie, Liberté », bien plus dangereux qu’un soutien d’influenceur entre deux posts pour hôtel ou voiture de luxe… À sa façon, les mots de Paul Eluard reviennent et s’actualisent sous la plume de l’auteur : « Sur les dômes des mosquées, Sur les turbans des mollahs, Sur les barreaux des prisons, Sur le drapeau de l’Iran, Sur les cyprès millénaires, Sur les tombes des poètes, Sur les portes des bazars, Sur les dunes du désert, Sur les voiles embrasés, Sur la peur abandonnée, Sur la lutte retrouvée, Et sur l’espoir revenu, Femme Vie Liberté ».
Le côté historique n’est pas négligé avec les descriptions d’Ispahan, Chiraz – les jardins d’Eram -, Keshit – et ses ruines méconnues. Zahedan aussi. Là, un massacre en octobre 2022 dans l’indifférence internationale… À chaque fois le lecteur se prend à pester contre les dictatures politiques et religieuses qui brisent des vies et privent la vue d’un patrimoine, patrimoine d’une humanité qui serait tant à préserver.
L’Iran est le berceau des poètes – Nizani, Rûmî, Djami ou plus récemment Behbahani, Chamlou – et de l’art en général, comme la danse. Khodanur Lojei était danseur. Emprisonné, libéré puis abattu d’une balle lors de ce « Bloody Friday » au Baloutchistan. Car en Iran, ce ne sont pas des gaz lacrymogènes ou des balles en caoutchouc qui sont utilisés pour disperser les manifestants, ce sont des armes de guerre en tirant à balles réelles.
L’usure d’un monde. Une traversée de l’Iran – François-Henri Désérable – Éditions Gallimard – Mai 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire