mardi 28 novembre 2023

 

Une noisette, un livre


Veiller sur elle

Jean-Baptiste Andrea

 


« Pietà, Signore, Di me dolente ! Signor pietà » La musique d’Alessandro Stradella inonde la pièce dès la lecture des premières pages de « Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea. On devine qu’il y aura de la douleur, du mystère, du courage ; une spiritualité invisible tentera de glisser dans votre regard posté par un esprit qui vénère la beauté.

Sur les hauteurs du Piémont, en 1986, Mimo se meurt dans une abbaye où trente-deux moines l’entourent. Sa respiration diminue mais il tente de survivre encore quelques jours, quelques heures. Il a encore quelque chose à dire : sa vie à raconter et un message à transmettre.

Né en France mais Italien de sang, le très jeune Mimo est envoyé par sa mère chez son oncle dans La Botte, veuve elle ne peut assurer l’éducation de son fils et apprendra le métier de sculpteur. Si rêve il y avait, il va rapidement s’écrouler, l’once est rustre et malmène son jeune apprenti. Mais l’exil va lui permettre de rencontrer Viola, une adolescente bien-née, grandissant dans la richesse de la puissante famille des Orsini. Aussi mystérieuse que savante, le petit Mimo – il est nain – va savourer chaque instant avec la jeune fille et s’instruire. Il sait qu’il a du talent pour sculpter mais comment le faire comprendre. L’avenir et l’Italie fascisante lui réservent bien des surprises ; le lecteur en aura également et ne cessera d’imaginer ce à quoi cette Pietà peut ressembler. 

Près de six cents pages pour une évasion totale, une fiction mêlant histoire et art autour d’un personnage particulièrement attachant et d’une figure féminine sibylline au possible. Une écriture fluide, à la fois sobre et académique, et surtout une envolée lyrique sur les hauteurs de la fiction au doux parfum d’antan et de l’amour courtois. L’auteur sait ne pas tomber dans les sempiternels clichés de l’Italie, il sculpte en détails les forces et faiblesses de cette terre tout en rendant hommage à toutes les formes d’art. Un roman à l’image du personnage d’opéra évoqué : vériste. Un Mimo qui dans les affres du destin continue à y croire, « Ridi del duol', che t'avvelena il cor ! »

Un Goncourt sculptural avec une pensée pour Sophie de Sivry, fondatrice et directrice des éditions L’Iconoclaste, disparu en mai dernier. Elle avait fait confiance à Jean-Baptiste Andrea pour son premier roman « Ma reine ». En seulement six ans, il est devenu le roi de la littérature.

Veiller sur elle – Jean-Baptiste Andrea – Éditions L’Iconoclaste – Août 2023

 

lundi 20 novembre 2023

 

Une noisette, un livre


Grandeur nature

Erri de Luca

 


Erri de Luca n’a pas d’enfant, sa transmission ne sera pas génétique mais littéraire. Néanmoins, cette absence de paternité ne l’empêche pas d’avoir un regard sur les autres. Sa propre expérience avec ses parents, sa vision du monde, son écoute envers les autres le rend tout à fait légitime dans cet acte de raconter les relations père/fils.

Son dernier livre est une succession de pensées personnelles et de petits récits allant d’Abraham jusqu’au XXe siècle avec cette femme qui apprend que son père était un chef nazi. À chaque fois, une narration de relations extrêmes, sur la corde – métaphore de l’alpiniste qu’est Erri de Luca – sur les parois rocheuses de l’histoire et de l’intimité des familles. Corde qui lie, étouffe, protège, libère.

Erri de Luca n’a pas connu la pauvreté. Pas comme celle de ses enfants napolitains, abandonnés à eux-mêmes, sans attaches familiales et qui… étaient l’attraction des touristes avant d’embarquer. Le futur écrivain les voyait se jeter près du paquebot, dans cette mer noire souillée aux carburant, pour récupérer les pièces que les croisiéristes lançaient. Ces gamins criaient, seul moyen d’exprimer leur situation, sans aucune larme : « Il existe un degré si noir au bout des descentes que pleurer est un raffinement ».

L’auteur revient sur le mythe d’Abraham s’apprêtant à sacrifier son fils pour honorer la voix divine – tous en connaissons l’issue – pour mettre en parallèle Marc Chagall et son père. Il est encore Marek et peint son père, pour lui donner un poids, bien loin de l’odeur des harengs, une gratitude tardive pour ce fils qui fuyait ces relents : un « portrait grandeur nature ».

Un ouvrage vibrant qui se termine par un coup de tonnerre : « Dans les abîmes de l’inhumain, le simple être humain éblouit comme la rafale d’un éclair ».

Grandeur nature – Erri de Luca – Traduction : Danieèle Valin - Éditions Gallimard – Mars 2023

vendredi 17 novembre 2023

 

Une noisette, un livre


Ma champagne, mon pays

Daniel Rondeau

 


« Partout la terre vibre du mystère des hommes »

 

« Être Champenois, c’est un bon passeport pour le toit du monde » C’est ce que se disait Daniel Rondeau dans sa tête d’enfant. L’avenir a confirmé cette pensée. Depuis sa région natale il a sillonné le monde, reçu les honneurs tout en conservant une humilité extrême, celle de ceux qui savent grandir sans humilier les autres.

Mais, à l’image d’Ulysse et de ses beaux voyages, Daniel Rondeau retourne en sa province où coulent le champagne et les empreintes de ses aïeux. Rien ne lui plait davantage que de raconter l’histoire du tant oublié – hormis une station de métro - de Dom Mabillon. Né en 1632 à Saint-Pierremont il débarque à trente-deux à Paris à Saint-Germain des Près et s’attache à un sujet fondamental : la vérité en Histoire. De pérégrinations en pérégrinations, il réconcilie savoir et foi. Daniel Rondeau en parle avec une telle ferveur que le lecteur n’a qu’une envie : en savoir plus sur cet intellectuel, figure du dix-septième siècle.

S’il est question beaucoup d’églises – patrimoine champenois oblige – un autre domaine est largement évoqué, celui des vignes. Forcément. Jusqu’à aller à murmurer à l’oreille d’un vigneron.

L’académicien ne se contente pas de raconter son pays et de ceux qui y sont nés, y ont vécu, il élargit le champs livresque à diverses réflexions sur la valeur de la transmission, sur la bêtise humaine et sa sempiternelle haine qui fait jaillir le sang. Car du sang il y en a eu sur ces terres de Champagne et d’Argonne…

Champagne toujours au cœur mais amour pour les autres horizons, les autres mondes, les autres peuples, puisque la Méditerranée est également chère au cœur de l’auteur qui s’abreuve de liberté. Quant à la terre, ne jamais oublier ses racines, racines qui forment le palimpseste de l’humanité.

« La communion des saints efface les frontières de la mort et de la vie. La communion des saints n’est pas seulement une consolation pour les vivants, c’est une façon pour les disparus de continuer à exister avec force au milieu de leurs frères vivants ».

« L’école de mes parents était celle de la liberté. Liberté de ne jamais se sentir enfermé par un milieu, une situation, une quelconque fatalité. Liberté de s’envoler vers d’autres cieux et de rester fidèle à sa terre natale ».

Ma Champagne, mon pays – Daniel Rondeau – Éditions des Équateurs – Septembre 2023

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...