Une noisette, un livre
Grandeur nature
Erri de Luca
Erri
de Luca n’a pas d’enfant, sa transmission ne sera pas génétique mais
littéraire. Néanmoins, cette absence de paternité ne l’empêche pas d’avoir un
regard sur les autres. Sa propre expérience avec ses parents, sa vision du
monde, son écoute envers les autres le rend tout à fait légitime dans cet acte
de raconter les relations père/fils.
Son dernier livre est une succession de pensées personnelles et de petits récits allant d’Abraham jusqu’au XXe siècle avec cette femme qui apprend que son père était un chef nazi. À chaque fois, une narration de relations extrêmes, sur la corde – métaphore de l’alpiniste qu’est Erri de Luca – sur les parois rocheuses de l’histoire et de l’intimité des familles. Corde qui lie, étouffe, protège, libère.
Erri de Luca n’a pas connu la pauvreté. Pas comme celle de ses enfants napolitains, abandonnés à eux-mêmes, sans attaches familiales et qui… étaient l’attraction des touristes avant d’embarquer. Le futur écrivain les voyait se jeter près du paquebot, dans cette mer noire souillée aux carburant, pour récupérer les pièces que les croisiéristes lançaient. Ces gamins criaient, seul moyen d’exprimer leur situation, sans aucune larme : « Il existe un degré si noir au bout des descentes que pleurer est un raffinement ».
L’auteur revient sur le mythe d’Abraham s’apprêtant à sacrifier son fils pour honorer la voix divine – tous en connaissons l’issue – pour mettre en parallèle Marc Chagall et son père. Il est encore Marek et peint son père, pour lui donner un poids, bien loin de l’odeur des harengs, une gratitude tardive pour ce fils qui fuyait ces relents : un « portrait grandeur nature ».
Un ouvrage vibrant qui se termine par un coup de tonnerre : « Dans les abîmes de l’inhumain, le simple être humain éblouit comme la rafale d’un éclair ».
Grandeur nature – Erri de Luca – Traduction : Danieèle Valin - Éditions Gallimard – Mars 2023
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