Une
noisette, un livre
Dès
les pâlissements de l’aube
Luc
Baranger
1918.
Tranchées de l’Argonne lors de la première guerre mondiale. Chaos d’une guerre,
effroi de puanteur, de douleurs, les morts s’entassent au grés des balles et
des tirs de baïonnettes ; la boue de la terre est mille fois plus pure que
l’âme belliqueuse des faiseurs de tueries. Mais chacun est là, plus ou moins de
manière forcée, quel que soit le clan. Certains sont persuadés d’agir pour la
bonne cause, le bourrage de crâne facilitant les pensées patriotiques. D’autres
ne savent même plus pourquoi ils sont à patauger dans ce merdier. Et puis, il y
a cet indien Lakota, Dull Down, intrépide et prêt à tout pour se battre. Son
idéal n’est en rien l’Amérique, il la déteste. Il est là par vengeance envers
un homme qui a massacré sa famille près de trente ans auparavant : le
général Pershing, l’un des responsables du massacre de Wounded Knee le 29
décembre 1899.
Entre deux batailles, le narrateur raconte comment Dull Down en est arrivé là. Comme d’autres de ses compatriotes. « Six à sept millions d’indiens morts en Amérique du Nord (…) sans le moindre mausolée. L’énormité du chiffre justifiait l’indigence du mot haine quand Dull cherchait le terme exact pour définir ce qu’il éprouvait à l’encontre des neveux de l’oncle Sam » Ceux qui avaient survécu à ce génocide pouvaient bien servir de chair à canon ! La France avait ses tirailleurs sénégalais, les US avaient leurs esclaves et les peaux dites rouges. Le rouge aurait pourtant mieux convenu à la honte des « Wasichu ».
Grande fresque historique faisant référence à des personnages ayant existé comme Sitting Bull, un sage bison assis mais qui n’hésita pas à se mettre debout pour s’indigner et lancer une révolte sioux. Poursuivi par les instances nord-américaines il s’enfuit au Canada et c’est là qu’il rencontre un autre héros : Jean-Louis Égaré qui sauva au moins quatre mille sioux de la mort. Ce Canadien mériterait d’ailleurs un peu plus de reconnaissance pour avoir aidé sans compter.
Mais le roman ne s’arrête pas là dans sa puissance, c’est également un vibrant plaidoyer contre LA guerre, contre TOUTES les guerres, TOUTES les barbaries. Deux petits extraits mais deux grandes vérités :
« De quelles contradictions parles-tu ? Le Sioux sourit mollement et expliqua d’un ton las : Y en a tellement, on n’a que l’embarras du choix…Tiens, un exemple. En janvier dernier, le président Wilson a dit que les États-Unis combattaient en France, tiens-toi bien, pour « défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Ça le gène pas le moins du monde d’affirmer ça alors que vous, les Américains, vous venez tout juste de tuer des centaines de milliers d’Indiens qui avaient justement une folle envie de disposer d’eux-mêmes. Faire du cynisme un principe de gouvernance, j’avoue que ce n’est pas donné à tout le monde ».
« Pas très loin, sur la droite, d’autres soldats discutaient, sûrement en se passant des bouteilles de tue-la-mort. Mis à part la barrière de la langue, se demanda le Sioux, au bout de quatre ans de combats, neuf millions de morts, vingt d’estropiés, qu’est-ce qui pouvait bien retenir ceux d’un camp d’aller trinquer avec ceux d’en face ? Après tant de temps où chacun avait eu le loisir de mesurer la bravoure, l’abnégation, le caractère borné et la stupidité de l’autre, savaient-ils encore pourquoi ils s’entretuaient avec autant d’application ? Comment tout cela finirait-il ? »
À ces guerres iniques, l’auteur met en scène une parabole, celle d’un combat de wapitis, version indienne de la victoire à la Pyrrhus, mais décrit de telle sorte, que le comportement humain est encore plus tourné au ridicule. Car est déployé régulièrement une pléthore de bouffonnerie – se hâter de rire de tout – avec comme point culminant la leçon équestre d’un indien sioux à un instructeur ayant fait ses classes au Cadre Noir de Saumur. Je n’indique, ici, que la chute : « Moi [Big Bear] Somour, jamais entendu parler, avait-il parlé au capitaine demeuré droit dans ses bottes et bec pincé. Moi, réserve de Rosebud, Dakota du Sud. Après cette brève et percutante démonstration du savoir-faire lakota en matière de monte, Amilcar du Pavy de la Cressonnière avait renoncé à parader dans la cour, juché sur son alezan », l’intégralité de la scène allant des pages 437 à 442.
Beaucoup serait encore à écrire – notamment sur le Wild West Show – tant ce roman n’est pas seulement grand, il est immense. Implacable et favorisé par une écriture de haut vol. À faire lire d’urgence à tous les va-t-en-guerre !
Dès les pâlissements de l’aube – Luc Baranger – Éditions des Équateurs – Janvier 2023
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