Une noisette, un
livre
Camus, l’espoir du
monde
Mona Azzam
Et si Camus n’était pas mort lors de son
accident de voiture en janvier 1960 ? S’il avait survécu après un long
sommeil et découvert le monde des années quatre-vingt… qu’aurait été sa
vision ? Prenant pour base l’hypothèse de l’universitaire Giovanni Catelli
– souvent rejetée mais toujours soutenue par Paul Aster – développée dans
« La mort de Camus », Mona Azzam offre un roman incroyable, mêlant
inspirations camusiennes et réflexions sur les pérégrinations de nos sociétés
actuelles. Dans un élan gonflé de poésie et d’humanité.
4 janvier 1980. Hôpital Bourdenko de Moscou. Le patient de la 1960 semble soulever ses paupières lorsque Natacha, l’infirmière, lui prodigue les soins d’hygiène. Il se réveille après vingt ans de coma. Premier miracle. Deuxième miracle, elle l’a reconnu : c’est Albert Camus, arrivé dans des conditions mystérieuses à Moscou. Ayant appris la langue de Molière, ils vont se parler, se confier, et Natacha va discrètement l’aider à rejoindre le territoire français.
4 février 1980. Saint-Brieuc. Albert Camus commence sa résurrection chez son ami Louis Guilloux en attendant de retrouver d’ici peu l’autre grand confident : René Char. Personne d’autre ne devra savoir que Camus est de retour. Même pas Catherine. Même pas Maria. Cela n’empêchera pas Camus de continuer à écrire pour dénoncer les injustices du monde et saluer les belles actions. Albert va devenir Alexandre pour un chant d’espoir du monde.
Après une brève mais subtile évocation à Pasternak, la soudaine renaissance d’Albert Camus entraîne chacun de nous vers ce pourquoi il a toujours écrit : ne pas rester silencieux aux bruits du monde et sauvegarder l’homme de la peste de l’inhumanité. Exemples : l’importance des langues et des cultures algériennes « priver un peuple de sa langue, c’est l’amputer de son âme » ; le coup d’État en Espagne et lorsqu’un évènement se produit à l’étranger « Cela nous concerne tous » ; l’abolition de la peine de mort par Robert Badinter « Pour une fois, les mots ne sont pas des mensonges » la justice ne sera pas de demander la tête d’un homme ; la guerre en Irak « C’est à croire que l’homme puise sa survie dans les rouages de la violence. Or la violence n’est nullement une expression de l’intelligence » ; le terrorisme « Au nom de quoi un homme se permet-il de décider de la vie et de la mort d’autrui » ; l’assassinat d’Indira Gandhi « Sans un réveil, sans la lucidité, les armes et la violence triompheront. Alors il sera trop tard » ; la torture déclarée illégale par l’ONU en…1984.
Et puis, l’une des séquences « émotion » est lorsqu’Alexandre signe un article pour saluer la mémoire de Romain Gary « Romain Gary fait partie de ces êtres qui ont vécu aussi bien sur un grand désespoir que sur un grand espoir, oscillant sans cesse entre les deux, jusqu’à ce que les deux finissent par s’imbriquer l’un dans l’autre ». Mona Azzam ne traduit pas que l’esprit de Gary, elle traduit en même temps celui d’Albert, tous deux amoureux de la justice, de la Méditerranée et fuyant le sérail synonyme de vacuité.
Quelle gageure ce roman ! Car la sermocination utilisée par Mona Azzam n’est pas une figure de rhétorique pour se prendre pour Albert Camus mais pour s’interroger sur ce que l’écrivain aurait pensé de notre monde actuel et d’essayer – à l’aide de ses écrits, d’où les nombreuses citations le long du livre – d’y apporter une réponse. Et c’est une réussite totale, aussi bien pour l’âme du Prix Nobel qui flotte sur les pages que pour la prouesse scripturale qui jaillit de toute part. La romancière brille par l’art du détail, si bien qu’une seule lecture n’est pas suffisante pour saisir les maintes subtilités et les moult références : de Pasternak au chef-d’œuvre des jumeaux…
Un roman aussi allégorique que l’était le romancier, aussi lumineux que cette phrase qui peut résumer un peu l’ensemble « L’espoir est le moteur qui nous fait avancer » car oui, il faut garder cet espoir, en dépit de tout. Même de ce qui paraît insurmontable. Merci Mona Azzam, merci Albert Camus. Merci à tous ces aèdes qui refusent les silences – sauf ceux qui sont « philarmoniques » – pour écouter les bruits du monde et briser ceux qui ne sont pas harmonieux.
« Écrire sur Camus aujourd’hui me semble être une nécessité. Dans un monde de plus en plus en proie aux individualismes, aux extrémismes et aux conflits interminables, il ne se passe guère un jour, face aux turbulences qui perturbent – et ne peuvent que perturber – tout être humain, où l’on ne s’interroge sur ce que dirait Albert Camus. Celui qui, somme toute, n’était ni tout à fait Algérien, ni tout à fait Français mais foncièrement, entièrement, un citoyen du monde. Celui qui n’a pas fini de nous interpeler et de nous invectiver. Fort heureusement ».
« L’homme mûr que je suis s’abreuve de musique. Et de silences philarmoniques »
« Il se trouvera un jour quelques hommes pour faire ce qu’il convient de faire : agir pour trouver un antidote à la peste »
Camus, l’espoir du monde – Mona Azzam – Éditions d’Avallon – Février 2023
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