Une noisette, un livre
Alger sans Mozart
Michel Canesi – Jamil Rahmani
Deux
noms propres que rien ne semble rapprocher, les côtes méditerranéennes versus
les montagnes autrichiennes. Une ville, un compositeur. En les rassemblant
c’est un roman sur 60 ans d’histoire algérienne, un pays pris dans l’étau de la
colonisation et des blessures de chaque côté de la Méditerranée qui ne seront
peut-être jamais refermées. Au-delà des parcours personnels, au-delà des
rencontres et des désunions, au-delà des accords et des déchainements,
peut-être que la musique est le lien qui peut raccrocher à quelque chose.
Surtout Mozart…
Alger
sans Mozart est une partition à deux plumes. Quatre mains, vingt doigts pour
mettre des mots sur les maux d’une histoire qui aurait pu être fraternelle et
qui est devenue fratricide à cause d’une date : 1830. Ce roman
franco-algérien signé par Michel Canesi et Jamil Rahmani débute en été 1954, le
dernier été de la paix pour se terminer à peu près de nos jours et narre la vie
de Louise, une pied-noir qui a refusé de partir, née en Algérie elle veut
mourir en Algérie. Malgré les violences de la décolonisation, malgré la guerre
civile. Louise est différente, elle ne pense pas comme ses parents, sa famille,
elle se sent algérienne, de cœur et de chair. Elle parle arabe et berbère et
épousera Kader, un algérien, un musulman. Mariage qui se terminera par un
divorce pour absence de progéniture. Progressivement Louise s’enfoncera dans
une mélancolie sans retour, fumant, buvant, grossissant à vue d’œil, elle qui a
été le sosie de Rita Hayworth. Vers la fin de sa vie, une rencontre va
l’apaiser, celle avec son jeune voisin qui vient de perdre sa mère. Il
s’appelle Sofiane, beau comme un dieu et enfant de cette Algérie nouvelle qui
voudrait voir le pays se transformer. Elle lui raconte sa vie, lui fait aimer
même Mozart… Un personnage va mettre un peu de désordre, Marc, cinéaste
parisien de renom et souvent cynique ; attachant aussi. C’est le neveu de
Louise, seul membre de sa famille avec qui elle garde un contact. Lui aussi va
rencontrer Sofiane…
Alger
sans Mozart est une histoire d’amour mais aussi de haine. Entre une femme et un
homme, entre un homme et un homme, entre deux pays, entre deux continents. Mais
c’est une formidable envolée lyrique pour entreprendre le chemin de la
réconciliation. L’écriture est monumentale ne cherchant pas les fioritures mais
voulant juste faire résonner les phrases dans l’écho de l’histoire, les
dialogues sont percutants, parfois si cinglants et réels qu’on entend les protagonistes
les prononcer. C’est toute la force de l’écrit.
Et
avant tout, c’est un hymne à l’Algérie, à cette vie d’avant, d’après ; à
la beauté des montagnes, aux effluves marins, à la capacité de résistance d’un
peuple à travers les tragédies et bains de sang, à l’espoir et en même temps à
la résignation.
Un
roman qui est comme la musique de Mozart, après l’avoir terminé, refermé le
livre, on le lit encore…
« Je n’ai pas
quitté l’Algérie, je ne la quitterai jamais. J’ai épousé Kader pour me lier à
elle, irrémédiablement, j’en suis maintenant convaincue. Le divorce n’a pas
rompu le lien. Cet amour pour lui, c’était ma passion pour elle ».
« Les souvenirs
sont des tableaux accrochés sans ordre ni raison sur les murs lézardés de la
mémoire. Ils surgissent juxtaposés et peuplent le vide de nos vies presque
achevées ».
« L’éphémère n’est
là que pour contraindre les créateurs à
l’immortalité. Les cinéastes, les peintres ou les romanciers sont des
archivistes. Ils s’emparent du temps qui passe et le fixent sur la pellicule,
la toile ou le papier, ils lui donnent un brin d’immortalité ».
« Le temps a fait
la beauté de Paris. Les plaies du passé embellissent un visage ou une ville. Je
ne comprends pas cette folie : les femmes veulent retenir leur jeunesse à
tout prix oubliant que les plus belles actrices respectent leur corrosion. Je
refuse de filmer des poupées de plastique au front lisse comme un
miroir ».
Alger sans Mozart –
Michel Canesi et Jamil Rahmani – Editions Dalimen – Avril 2014 / Editions Folio
- Octobre 2018
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