Une noisette, un livre
Terre natale
Jean Clair
Sensation
étrange que de lire le nouvel essai de Jean Clair, un essai crépusculaire qui fait
penser aux paroles de Lensky dans Eugène Onéguine (Kuda, kuda) et qui, en
partie, peuvent résumer tout le fil conducteur du livre : « Où sont
parties les années de la jeunesse, que va apporter le jour qui vient (…) Dieu
offre la splendeur du jour mais aussi offre la nuit sombre (…) mon nom sera
comme une poussière emportée par l’oubli, le monde oublie vite ».
Avec
ces « Exercices de piété », Jean Clair remonte le temps, celui qui
passe et qui ne revient pas, celui des souvenirs et de la mélancolie rampante,
du printemps à l’automne de la vie, voire aux portes de l’hiver ; c’est un
homme épris d’art et de culture qui regrette et n’espère plus, sauf peut-être
encore dans les livres. Car les lettres sont le domaine de l’académicien, des ténèbres de la pensée naît une lumière au cœur du phrasé sémantique.
Pessimisme,
réalisme, peut-être les deux. L’homme adulte semble inconsolable même en se
remémorant les effluves de l’enfance et de cette terre pas encore abandonnée
dans les tourbillons des courses effrénées des âmes humaines. Solo, perduto,
abandonado… comme une Manon au masculin errant dans le désert, celui des
incertitudes et des désenchantements. La plume de l’écrivain semble jaillir des
entrailles de la terre, des « ombres brumeuses » du royaume
d’Hadés ou bien du tableau de Munch auquel Jean Clair fait référence, « Le cri ».
Loin
d’être toujours d’accord avec les propos de l’auteur, je suis néanmoins en
symbiose totale sur les questions de la ruralité ; cette folie des hommes
à ne plus respecter les animaux en leur faisant vivre les atrocités de
l’élevage intensif, à ne plus savoir vivre avec les saisons, à constater les
désastres du capitalisme sauvage qui privent les plus faibles de toute survie. A
moins qu’il soit encore possible de reconstituer les ruches d’Aristée avec
quelques sacrifices…
Déconcertant
de noirceur et pourtant sublime par la beauté du style, c’est un ballet des
mots alternant entre la tendresse de l’âme d’un enfant d’autrefois et la flèche
quasi pamphlétaire de l’amateur d’art consterné par la provocation
contemporaine de soi-disant artistes.
Un
rapport à l’écriture proche d’une prière à la littérature, le credo d’un
écrivain dans le « miserere » d’une décadence inexorable.
« Je m’assois dans
mon fauteuil, et je lis à m’épuiser les yeux. C’est la plus simple des
expériences de spiritisme auxquelles on puisse se livrer. Aucun médium, radio,
cinéma, télévision n’a ce pouvoir de faire entendre une voix à travers un
objet, et de parler en elle. On ne fait pas que ressusciter le mort qui gisait
dans les pages, on lui donne sa vie ».
« L’utopie sociale
perd de son éclat à s’appuyer sur le progrès technique ».
« Je ne comprends
pas le mépris dans lequel nous tenons les animaux, et moins encore la violence
que nous exerçons envers eux, comme nous le ferions envers nos ennemis ».
« Les Québécois
appellent le selfie un égoportrait ».
« L’écriture est un
filet de mots pour attraper les papillons de l’âme »
Terre natale, exercices
de piété – Jean Clair – Editions Gallimard – Juin 2019
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