Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 18 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Shiftas

Léonard Vincent




Tout commence par un ballet de dromadaires dans le ciel de Mogadiscio. Cet envol surréaliste n’est, en fait, qu’un chargement d’animaux à une bosse dans le port de la capitale de Somalie. Mais le rythme est établi, ce Shiftas (mot qui signifie hors-la-loi dans les langues de la corne d’Afrique) sera un rocambolesque road-trip dans cette Afrique de l’Est déchirée par des années de guerre, de dictatures et de terrorisme.

Nous faisons connaissance en premier de Bruno, un cuistot embarqué sur le Baraka, un pétrolier plutôt bizarre et tendance à bout de souffle. Bruno est originaire des Bouches-du-Rhône et employé dans ce cargo sans trop peut-être savoir pourquoi, des envies de prendre le large dans une société qui ne lui correspond pas. Puis c’est la rencontre avec Medhanie, un Abyssin, qui se déclare comme assassin face à ce qu’il a vécu dans son Erythrée natale. D’errance en errance, il a parcouru des milliers de kilomètres, a traversé à ses risques et périls la Méditerranée, puis s’est retrouvé à nouveau en Somalie, dans la fournaise du port somali.
Et enfin, c’est un berger Somali qui va compléter ce trio hors-norme, Abdi, qui va quitter sa région natale dans l’esprit de récupérer un trésor qu’il sait caché dans une ferme, de l’argent, en grande quantité, engrangé par un groupe terroriste.

Les trois compères décident de quitter le navire pour tenter cette quête d’une poule aux œufs d’or revisitée mais où se dessinent tout le mystère d’un voyage initiatique et la folle descente  dans le dédale crépusculaire de l’humanité. Parviendront-ils à leur but ? Comment la désertion de ces trois hommes va-t-elle être gérée ?

Comme un thriller de l’itinérance, ce roman oscille entre fuites incroyables, fiction abracadabrantesque et réflexions bien réelles sur la situation africaine, l’administration française et internationale, la cupidité des profiteurs de drames, la folie des médias et les fameuses théories du complot, théories de plus en plus à l’honneur avec les réseaux dits sociaux. Le tout chapeauté par une équipe de barbouzes, mafieux et terroristes, qui parfois, font plutôt ménage à trois…
Dans cette mallette livresque, l’écrivain journaliste a pris soin d’ajouter des bouffées d’humour, des piques corrosives, des pochettes de subtilité et un inexplicable talent pour ne jamais lasser le lecteur dans cette odyssée africaine portée par l’amitié  entre un Français, un Somali et un Abyssin. Comme pour montrer que la sincérité, le partage et  l’entraide n’ont pas de frontières, d’origines, de religions.

Il serait injuste d’oublier un autre « personnage » du roman, celui d’un petit âne, plutôt cahin-caha, qui se pose des questions quand il se retrouve sur la plate-forme du pick-up des aventuriers, il ne cherche pas trop de réponses et, après-tout, c’est peut-être lui la véritable sagesse de l’histoire dans toute la schizophrénie des civilisations…

« Bruno se voit lui-même comme une expérience de métempsychose, désormais sans travail, assis devant un vieil ordinateur asthmatique, sous un abri ouvert à tous les vents, dans les odeurs méphitiques de ragoût froid et de linge qui sèche. De ses deux mains jointes, dans un effort pour effacer l’angoisse, il s’essuie fermement le visage, comme s’il venait de terminer sa prière ».

« Après l’invasion éthiopienne, il embrassa les officiers en les félicitant en amharique, offrant à tous des Toyota, des caisses de bières Saint-Georges ou des chambres d’hôtel pour les permissions à Nairobi. Jafar n’a pas d’amis, seulement des intérêts ».

« Medhanie en a eu assez de sa peau d’éternel assassin. Il s’est laissé porter par le destin et les taxis-brousse vers une vie de fantôme, pour jouir du bonheur de n’être rien ni personne, devenir l’homme qu’il voulait être au fond. Il a rompu pour toujours avec celui que les papas, les guérilleros, les truands, les flics et les quidams ont commandé toutes ces années pour leur bon plaisir. Afin d’échapper une fois pour toutes aux gardes-chiourmes, il s’est dissous dans on époque, les grands flux migratoires, les fuites éperdues, les disparitions inexpliquées. Sa rencontre avec Bruno a tenu du miracle et marqué la naissance d’une nouvelle communauté apostolique, païenne celle-là ».

Shiftas – Léonard Vincent – Editions Les Equateurs – Mars 2019

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