Une noisette, un livre
L’archiviste
Alexandra Koszelyk
« N’apprend-on
donc rien des leçons de la guerre ? »
Telle est la question que se pose Alexandra Koszelyk lorsque la Russie envahit l’Ukraine. Autrice remarquée pour ses deux premiers excellents romans, elle décide de prendre les armes : l’encre et la plume, les seules qui trouvent grâce à ses yeux, pour écrire une fable percutante sur ce mal qui ronge les hommes depuis la nuit des temps : la guerre.
K, l’héroïne, est archiviste dans une bibliothèque d’une ville ukrainienne détruite par la guerre. S’occupant le jour de sa mère mourante, elle passe ses nuits à tenter de sauvegarder le patrimoine qui a été placé en urgence dans le bâtiment. Elle ne compte pas ses heures, l’art est SA vie, l’art est LA mémoire d’une nation, d’un peuple. Mais tout vire au cauchemar lorsqu’elle reçoit la visite d’un étrange personnage, l’homme au chapeau qui lui ordonne de détruire ou de falsifier les œuvres d’art. Une réécriture de l’histoire en faveur de l’attaquant. Le tout sous la menace : la sœur jumelle de K, journaliste, étant aux mains de l’ennemi.
Le triste jeu du chat et de la souris commence, K est rongé par le travail à accomplir mais va imaginer un subterfuge pour détourner le saccage en cours. Curieusement, ce sont des ombres qui vont l’éclairer, la soutenir dans cette funeste farce. Mais jusqu’où ?
Un roman aux couleurs de l’Ukraine qui flamboient au fil des pages par un jeu de subtiles métaphores ; le jaune et le bleu se croisent et se recroisent aux carrefours des mots. Le personnage de K, guerrière de paix, permet d’évoquer les figures de la résistance ukrainienne au cours des siècles : Pavlo Tchoubynsky, Alla Horska, Lessia Oukraïnka, Taras Chevtchenko, et, les heures noires de l’histoire récente comme l’holodomor des années 30 ou la catastrophe de Tchernobyl.
Un livre incontournable et qui va au-delà du conflit ukrainien ; par extension, c’est un plaidoyer contre tous les conflits de par le monde, contre toutes les dérives pour assassiner une mémoire collective, contre celles et ceux qui veulent réécrire l’histoire ou/et modifier des écrits au nom d’une idéologie. Non seulement une réussite, mais une nécessité. Que dis-je, une urgence absolue !
« Parfois, des choses se passent de façon silencieuse, mais les historiens verront plus tard des évidences que personne ne perçoit pour le moment. Mon plan est de cet ordre. Il se passe tout en douceur. Mon but n’est donc pas de tout métamorphoser, nous ne sommes plus à l’ère de la propagande dictatoriale classique ! Ce temps est révolu. Non, j’ai dans l’idée que la nouvelle force de propagande est ailleurs. Elle réside dans ce manque d’unité : instiller le doute face à des œuvres plurielles. De ces variantes naîtra une hésitation. Je m’insère dans cette brèche ».
« Il s’en fallait toujours de peu pour que la guerre ne resurgisse. Elle était là, opportuniste, avec son visage terrifiant comparable à un abattoir où les yeux ne s’ouvrent jamais sur les réalités de la souffrance. Parmi toute cette horreur, il y avait eu ces jours où, fait prisonnier, il avait été attaché à un poteau, à la merci des autres qui l’invectivaient, lui crachaient à la figure mots et salive, le molestaient, écrasaient sur lui leurs cigarettes, non pas avec mépris, mais avec une haine indifférente aux supplications. Il n’oublierait ni ces jours, ni ces regards clairs. Les cicatrices ne sont pas que des boursouflures rouges et visibles ».
« Je n’aime ni
les étiquettes, ni les frontières, même celles que je trace volontiers
moi-même : ce ne sont que des carcans pour délimiter le monde, où la
lumière n’entre pas ».
L’archiviste – Alexandra Koszelyk – Éditions Aux forges de Vulcain – Octobre 2022
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