Une noisette, un livre
Le prix
Cyril Gely
Otto
Hahn, chimiste allemand, est considéré comme le père de la chimie nucléaire. Il
reçut en 1944 le Prix Nobel de Chimie, décerné deux ans auparavant pour sa
découverte de la fission nucléaire. Mais, il n’était pas seul. Pendant 30 ans,
de 1908 à 1938, il a travaillé sans relâche avec la physicienne autrichienne
Lise Meitner. Hélas, en 1933, Hitler arrive au pouvoir, le nazisme prend ses
quartiers et l’antisémitisme se répand chaque jour un peu plus. En 1938, Lise
Meitner, la mort dans l’âme quitte Berlin pour la Suède, abandonnant son
travail et ce qui fut jusque là sa vie : la recherche. Huit ans plus tard, alors que son ancien
collègue séjourne au Grand Hôtel de Stockholm en compagnie de son épouse Edith
pour recevoir son prix, Lise revient, entre dans sa chambre et s’assoit. Sa
venue n’a rien d’amicale, elle veut enfin faire jaillir la vérité et demander
pourquoi son nom ne figure sur aucun article,
n’est jamais prononcée et malgré qu’elle fût nommée trois fois pour
recevoir le prix Nobel, elle ne l’obtiendra jamais. Pourquoi ce mépris, pourquoi ce
silence ? Le huit-clos commence…
Ce
livre n’est pas un roman, c’est une pièce de théâtre. Un dialogue percutant,
fusionnant entre le cinglant et la courtoisie car si les esprits sont acides,
les nerfs à vif, la colère grandissante et les rancœurs rampantes, à aucun
moment le couple de scientifiques ne va tomber dans la violence verbale, dans
la vulgarité précoce, dans l’énervement facile. Tout est dit, envoyé mais avec
élégance et respect, film en noir et blanc avec acteurs mythiques des années
50. Autre temps, autres mœurs que Cyril Gely a su recréer d’un coup de plume.
Entre
noyaux atomiques et neutrons, c’est une réaction livresque qui se réalise par
la force de l’énergie de l’écrit. De la fission nucléaire c’est une la fission
de deux êtres qui ont existé, d’une fusion de trois décennies, l’explosion a
fini par se produire… années 30 et Lise était juive et femme. Elle était
pourtant pionnière en la matière…
Si
les dialogues relèvent de la pure fiction, ils transcrivent pourtant
complètement les sentiments, les mensonges et les non-dits. Mais aussi les
convictions de l’un et l’autre, comme pour Otto Hahn qui a réellement été
choqué par le cours des évènements du III° Reich et de l’utilisation de l’arme
nucléaire au Japon. Il a été un fervent opposant à l’usage de l’énergie
atomique dans le domaine militaire et a même signé un manifeste.
Reste
la question qui survole comme un voile pudique au cours du récit, et l’amour ?
Est-ce que Lise et Otto ont éprouvé des sentiments l’un pour l’autre ? Ou
est-ce juste un point de fiction imaginaire…
Noisette
sur le gâteau, Otto Hahn avait, entre autres, deux passions : l’alpinisme
et la musique classique. Si aucun sommet n’est atteint en cours de lecture,
nombreuses sont les références qui ont teinté comme des clochettes dans
l’oreille de votre serviteur comme l’Horloge de Haydn, le concerto pour deux
violons de Bach, et, et la mélodie hongroise de Schubert où l’auteur fait un
parallèle avec l’histoire. En effet, Schubert a composé cette pièce après avoir
entendu en 1824, au château des Esterhazy à Zseliz, une servante chanter un air
local. Il s’en est inspiré mais seul le
nom de Schubert est resté. A l’instar du chimiste allemand.
« Hahn aimerait
être ailleurs. A Göttingen, à Berlin, à dix mille kilomètres de
Stockholm ! Lise patiente. Elle n’a pas encore déplacé toutes ses pièces
sur l’échiquier. Elle distingue à peine son vieil ami face à elle, et l’entend
tout juste respirer. Mais si la lumière jaillissait soudain dans la pièce, elle
sait que son visage porterait les traces de son affrontement. Quelques cernes
plus profonds sous les yeux, les bajoues légèrement plus flasques. Hahn n’est
pas un dieu. Ce n’est qu’un homme que Lise veut démettre de son
piédestal ».
Le prix – Cyril Gely –
Editions Albin Michel – Janvier 2019
Livre lu dans le cadre
du Prix Orange du Livre 2019
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