vendredi 29 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

Dans les oubliettes de l’histoire

Priscille Lamure

 


Ami lecteur, vous avez un petit trésor entre vos mains si votre regard se porte sur cet ouvrage. Une couverture passablement angoissante, un préambule presque digne de Dante et ses portes de l’enfer : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance », des nouvelles plus que grinçantes même si la première vous offre un amuse-gueule tout à fait digeste. Les plats suivants le sont beaucoup moins. Et pourtant !

Du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, Priscille Lamure passe en revue des faits historiques souvent mêlés à toutes les croyances et rumeurs populaires qui ne faisaient qu’aggraver le sordide des actes. Dûment documenté, ce livre est un condensé de connaissances et lorsque la dernière page se ferme, on se sent, momentanément, moins bête.

Qui connaît l’origine du jeu de Colin Maillard, de l’existence des vierges folles de Loudun ? Qu’Alma Malher a été – indirectement – à l’origine des poupées érotiques, même si ce sont des Hollandais navigants qui ont créé le concept, au XVIIe siècle, des poupées à usage sexuel ? Le climax est peut-être atteint avec les reliures en peau de femme, une pratique née en Angleterre au XVIIIe siècle et qui s’est intensifiée au XIXe, oui, vous avez bien lu au XIXe. Même si tanner des peaux humaines avait eu quelques précédents pendant la Révolution française aux Ponts-de Cé – sans continuité – la "lubie" de relier un livre avec la peau d’un sein parait démentielle. Sans parler de la morgue de Paris, devenue une attraction populaire où on allait s’y promener en famille… Le sempiternel « C’était mieux avant » en prend un sacré coup dans l’aile !

Cela dit, des moments savoureux vont s’intercaler et une belle ouverture dans ces meurtrières du passé : la réhabilitation de Louix XI.

Instructif et, malgré les apparences, une lecture enjouée. Oui, grâce à la plume de l’historienne : un humour et une virtuosité qui ont la magie de vous entraîner avec enthousiasme dans les pires récits des ténèbres de l’âme humaine. Une voix peut avoir le don de vous faire écouter l’énumération des noms d’un annuaire téléphonique comme un écrit peut vous entourer de lumière dans les souterrains des catacombes !

Dans les oubliettes de l’histoire – Priscille Lamure – Éditions du Trésor – Mai 2021

jeudi 28 décembre 2023

 

Une noisette, un livre,

Arletty, un cœur libre

Nicolas d’Estienne d’Orves

 


La vie d’Arletty, née Léonie Bathiat, est un roman, un destin que nul romancier aurait pu imaginer : en 1898, à Courbevoie, dans une masure, Léonie voit le jour en pleine nuit face à la Seine - mot quasi polysémique pour la future femme de théâtre qu’elle sera. Souffrant de problèmes respiratoires, elle part chez sa grand-mère en Auvergne et y garde, malgré son jeune-âge, un souvenir inoubliable. À peine deux ans plus tard, retour au bercail, ou presque. À Puteaux, dans un appartement un peu plus digne. Adolescente, elle verra son père mourir sous ses yeux lors d’un accident de tramway puis montera sur les planches : un grand théâtre de la vie qui sera la sienne. Jusqu’au jour où la nuit deviendra son seul domaine : fin des années 60, elle perd définitivement la vue.

Pourtant, elle a cru en un « Ciel », celui de son premier amour qui sera happé par le feu de la guerre en 1914. Cet amour platonique restera celui de sa vie et elle ne cessera de penser à cet homme, celui qui aurait pu devenir son mari. En apprenant sa mort, elle s’est jurée de ne jamais prendre un homme pour époux. Ce qu’elle fit. Libre elle a décidé, libre elle mourra.

Sa voix de crécelle et ses répliques dignes d’Audiard lui porteront chance pour trouver ses premiers engagements sur scène jusqu’au jour où le succès et la renommée l’entourent de ses bras avec Fric-Frac. Elle n’aime guère le cinéma mais il faut gagner sa vie. C’est avec lui qu’elle deviendra éternelle, depuis l’Hôtel du Nord jusqu’aux Enfants du Paradis, film qui la marquera pour les difficultés de tournage et sa mise à l’écart lors de la sortie : elle est suspectée de trahison avec l’ennemi. En cause : sa relation passionnée avec Hans Jürgen Soehring, un officier de la Luftwaffe.

Elle n’a jamais pactisé avec le diable et a même pu sauver de ses griffes Tristan Bernard (sauvetage que Sacha Guitry ramenait exclusivement à lui). Beaucoup d’artistes ont eu des soucis avec la période de l’épuration, le fait de jouer pendant la guerre étant synonyme de collaboration. Pourtant, certains y échappent comme Edith Piaf qui, pourtant, faisait plus que chanter du côté de la rue Lauriston… Toujours se méfier des indignations à géométrie variable et des effets de masse.

Jeux de scène, amours plus ou moins fugaces, la ligne d’Arletty a été bien sinueuse pour cette femme restée toujours droite dans ses bottes. Sans fard, avec sa gouaille, son franc-parler, elle se fichait des jugements que d’aucuns portaient sur elle : un cœur en morceaux mais une âme libre.

Nicolas d’Estienne d’Orves a pris les habits de l’actrice pour narrer son histoire, cette biographie se lit logiquement comme un roman, flamboyante comme la couleur garance. Et puis un livre où un écrivain qui énumère les titres d’une pièce dont « L’école des cocottes » et écrit au paragraphe suivant que « le succès est volatil » ne peut être qu’excellent !

« Fleur de pavé, j’ai toujours aimé la vraie nature. Non pas les arbres sous cloche d’un parc ou d’un square, mais la sauvagerie d’une terre indomptée. Lorsque j’achèterai ma petite maison de Belle Île, au début des années cinquante, je passerai des heures à contempler la mer déchirée par le vent. Quoi de plus rassurant que le spectacle des éléments livrés à eux-mêmes, sans cette pudeur que l’homme a toujours imposée aux choses ? Il y a tellement plus de liberté chez les feuilles, les racines, les mousses, les vagues, jusqu’aux nuages ».

« Un être qui a le don de donner la vie ne devrait pas être soldat ».

« Je suis contre toutes les guerres. Comment a-t-on osé parler de guerre sainte ? Le type qui a dit ça est un beau fumier ».  

« La comédie est un art qui ne s’apprend que sur scène, en respirant le même air que le public, en risquant chaque soir un faux pas. D’ailleurs, on a rarement vu un acteur de cinéma faire un malheur au théâtre. Il ne connaît pas les codes. Le cinéma est un art prodigieux, mais reste une illusion ! Le théâtre, en revanche, ne triche jamais ».

« La morale s’arrête devant la raison d’État ».

Arletty, un cœur libre – Nicolas d’Estienne d’Orves – Éditions Calmann-Lévy – Octobre 2023

jeudi 21 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

La Ballade d’Amélie

Hélène Legrais

 


L’héroïne a un prénom qui fait aussi penser à un grand bal, masqué de préférence avec musique de Verdi. Justement, Amélie est cantatrice.

Lorsqu’on a eu la chance de partager la scène avec Montserrat Caballé, imaginez le choc que subit Amélie en découvrant en se réveillant qu’elle est aphone ! Plus aucun son ne sort de son gosier, juste un souffle pour lui signifier qu’elle est encore vivante. Autant dire la catastrophe. Obligée de consulter des spécialistes dont un phoniatre, le constat est sans appel : sa voix reviendra mais pas tout de suite. La cause : burn-out. Amélie fait partie de ces personnes qui ne savent pas dire non et engageait contrat sur contrat. Un repos est nécessaire mais comment se soigner quand tout s’écroule. Le passé lui revient à la figure, notamment son histoire d’amour avec un musicien qui a l’a abandonnée lorsque le fruit de leur passion s’est développé dans le ventre d’Amélie. Des relations entre mère et fille qui ont toujours été compliquées.

Après des mois de navigations indécises , Amélie va tomber, par hasard, sur un objet. Soudain, une idée lui vint à l’esprit. Ce sera le début d’une renaissance avec sa fidèle compagne Indy.  

La romancière Hélène Legrais nous propose une très jolie balade musicale à travers la Catalogne et jusqu’en Lozère où tous les sens du lecteur seront en éveil grâce à la description des paysages traversés, des plats dégustés, des airs évoqués, des senteurs humées, des mains tendues… Ce roman est une façon élégante pour dire que le lâcher-prise est une nécessité lorsque le travail devient un fardeau même s’il est une passion, qu’il ne faut jamais renoncer à ses rêves et que les coups du destin peuvent se transformer en une opportunité. Sans jamais se plaindre.

Quant à la Catalogne, c’est une nouvelle déclaration d’amour à cette terre qui unit France et Espagne, cette fois avec la musique et ses artistes : Pau Casals, son Cant dels ocells et sa farouche défense de la démocratie, Jordi Savall et Montserrat Figueres pour le baroque, Monstserrat Caballé pour l’opéra, Lluis Llach pour ses chansons engagées… et combien d’autres à découvrir ! 

La Ballade d’Amélie – Hélène Legrais – Éditions Albin Michel – Octobre 2023

mercredi 20 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

La chouette d’or

Isabelle Mayault

 


Et là, votre serviteur apprend qu’un jeu très en vogue a eu lieu en Europe à la fin des années 90 : la Chouette d’or… Isabelle Mayault a réveillé le trésor caché et déroule d’un long fil d’or et d’argent l’histoire de Claudia – journaliste à Genève – et de Beto, un Péruvien suspecté d’avoir caché la fameuse chouette. Lorsqu’elle apprend que Beto a été assassiné à Barcelone, elle file vers la capitale catalane pour éluder le double mystère. Dans la cité aux couleurs or et sang, les souvenirs reviennent et entraineront notre enquêtrice intrépide dans une ville française où certains songes sont encore présents.

Si certains romans démarrent lentement, Isabelle Mayault a le don de mettre dès l’incipit le lecteur en éveil. Pourtant, elle prendra son temps pour narrer cette sorte de road-movie à la sauce légèrement thrillesque entre Barcelone et une ville nommée La Sioule, ville qui ressemble fort étrangement à… Saint-Amand-Montrond dans le Cher malgré quelques petites différences géographiques ; vive la fantaisie qui sait se mettre au service de la création littéraire.

De personnages en personnages – un épicier, une directrice de musée, un libraire –, de rencontres en rencontres, du Barça aux bars de la Rambla, la romancière se transforme en guide pour arpenter les rues de la ville méditerranéenne et chacun pourra aisément s’y retrouver s’il a goûté au charme de cette cité qui sait aussi bien garder un aspect historique et jouer de la modernité. Noisette sur le livre, la plume a maintes fois été trempée, alimentée dans un encrier au contenu précieux : l’humour ! Avec quelques visions fantomatiques pour cet original jeu de pistes.

La chouette d’or – Isabelle Mayault – Éditions Gallimard – Mars 2023

 

dimanche 17 décembre 2023

 

Une noisette, un livre 

Le carrefour invisible – Une chronique française

Fabrice Lardreau


 

L’œil de Fabrice Lardreau est attiré par le détail. À onze ans, il est au cinéma avec sa mère pour voir « L’argent de poche » de François Truffaut. La première scène – avant le générique – l’intrigue. Il ne cessera de penser à cette petite fille avec sa carte postale en plein centre de la France. Quarante ans plus trad, il se dirige vers cette terre inconnue qu’est le Berry, à Bruère-Allichamps précisément, le cœur de la France ; même si des autres calculs le situe en divers lieux. L’écrivain journaliste va interroger les gens du village, humer cet endroit vallonné – bien loin du plat pays qu’il imaginait – pour y dresser une enquête sociétale au-delà des clichés. Car l’histoire de cette France du milieu est le carrefour d’une histoire française.

Le tournage de cette scène et François Truffaut prennent une large place dans cet essai aux côtés des habitants de Bruère et des souvenirs d’enfance de l’auteur. Cette dizaine de personnes interrogées est un échantillon représentatif des français moyens (sans aucune connotation péjorative) auxquels s’ajoutent quelques traits caractéristiques du Berrichon comme la simplicité, l’absence d’orgueil mal placé et la prudence.

Le lecteur fait donc la connaissance du maire Patrick Ciajolo (en 2016), de Madeleine Gilbert, la mémoire vivante de la commune, de Nicole et Didier du café central, Christine de l’agence postale, de Nicole… qui racontent leurs parcours respectifs et donnent leurs impressions sur cette vie villageoise où tout se sait, circule mais où il fait bon vivre par rapport aux grandes villes. Même si tous constatent le délitement du lien social, l’homogénéisation des territoires et la tendance cité-dortoir avec les nouveaux arrivants.

Ce cœur de la France a une longue histoire et Fabrice Lardreau nous apporte en apéritif des éléments pour que chacun puisse prolonger ensuite la dégustation sur place. À commencer par la fameuse colonne du centre de la France remontant au temps de l’empereur Caracalla jusqu’à sa position actuelle décidée en 1799 par le duc de Béthune Charost, un bienfaiteur de l’humanité et qui appartient à la grande histoire du château de Meillant situé à quelques kilomètres de Bruère. Autour, le prieuré d'Allichamps, l’abbaye de Noirlac, le domaine de Châteaufer et la ville de Saint-Amand-Montrond où le Grand Condé a laissé d’innombrables empreintes. Une région confrontée aux nombreuses guerres et qui se souvient, entre autre,  des nombreux réfugiés espagnols envoyés sur ces terres.

Selon l’une de ses habitantes, Christine, on n’arrive pas dans le Berry par hasard… Et si tous les chemins menaient à Bruère-Allichamps ?

Le carrefour invisible – Une chronique française – Fabrice Lardreau – Éditions Plein Jour – Mars 20217

mercredi 13 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

 

Moi, Maurice Sand, Fils de…

Mes confessions imaginaires

Georges Buisson

 


Fils de… Une gloire qui n’appartient qu’à son géniteur ou génitrice et qu’il faut assumer. Avec ses avantages et ses inconvénients. Georges Buisson – qui a été administrateur du domaine de Georges Sand à Nohant pour le Centre des Monuments Nationaux – s’est glissé dans l’âme de Maurice Sand pour rédiger les mémoires imaginaires du fils de la dame de Nohant. Le résultat est stupéfiant.

Qui visite justement la maison George Sand à Nohant à côté de La Châtre verra un théâtre consacré à la représentation de marionnettes et né de l’initiative de Maurice Sand avec l’aide de son ami Eugène Lambert. Une histoire de famille puisque sa mère confectionnait les costumes et avait été à l’origine de la création d’un autre théâtre quelques années auparavant. Le visiteur pourra également, parfois, découvrir l’atelier de Maurice Sand et s’apercevoir des multiples cordes qu’il possédait à son arc : caricaturiste, marionnettiste, dessinateur, peintre, écrivain… mais également passionné par les sciences naturelles et lépidoptériste.

 Était-ce lui qui voulait être un artiste ou bien sa mère ? Leurs relations étaient fusionnelles – a contrario de celles entre sa sœur Solange et George Sand – et elle avait de toute façon décidé ce que Maurice serait. À l’aide de la correspondance et des mémoires – celles-ci bien réelles – de George Sand, Georges Buisson dresse un portrait psychologique du personnage en soulignant à maintes reprises qu’il a été bien ardu pour ce jeune homme de trouver sa place aux côtés du génie de sa mère et de sa faculté à tout superviser, organiser. Pourtant, ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre…

Ce récit est une très belle opportunité pour redécouvrir la vie de George Sand et découvrir celle de son fils, s’immiscer à Nohant, théâtre familial avec ses joies, ses douleurs, ses rencontres artistiques et les amours de George que n’acceptaient pas toujours Maurice. Quelques reproductions de gravures complètent ce livre à mettre entre toutes les mains.

Moi, MAURICE SAND. Fils de… Mes confessions imaginaires – George Buisson – Éditions La Bouinotte – Mai 2023

 

 

lundi 11 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

La rivale

Éric-Emmanuel Schmitt

 


Carlotta Berlumi, signe distinctif : aversion totale envers Maria Callas, cette dernière ayant été la responsable de tous les problèmes du monde jusqu’au 16 septembre 1977 en général et de la non carrière de Carlotta en particulier !

Nous sommes au XXIè siècle, à Milan avec Enzo un jeune guide touristique, féru d’opéra et qui passe les trois quarts de sa visite dans le temple absolu de l’art lyrique : La Scala ! C’est lors de l’une d’elle qu’il fait la connaissance d’une vieille dame au ton aigri (euphémisme) et au comportement plutôt grossier dés qu’il prononce un nom : celui de Maria Callas. Victime d’un malaise vagal, la Berlumi le désigne comme son neveu et va pendant quelque temps dialoguer avec cette soprano dont la carrière s’est arrêtée lorsque Maria Callas a démarré la sienne.

Un roman très court qui se lit d’une seule portée mais délicieusement drôle et le lecteur ne peut que se réjouir de la verve infinie d’Éric-Emmanuel Schmitt. Les aficionados du bel canto retrouveront l’évocation des artistes qui ont illuminé de leurs voix les temples lyriques, de la Scala au Metropolitan Opera et ô combien une voix singulière associée à l’émotion de la scène peut envouter l’ouïe ! Maria Callas n’était pas qu’une chanteuse et c’est certainement le plus bel hommage rendu par Éric-Emmanuel Schmitt : celui de mettre noir sur blanc – comme les notes de musique – que les défauts comme le fameux « wobble de la Callas- peuvent se transformer en atouts pour cet art absolu qui unit chant et théâtre.

La rivale – Éric-Emmanuel Schmitt – Éditions Albin Michel – Novembre 2023

 

 

dimanche 10 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

Un papa vivant

Alice Taglioni

 


Elliot va bientôt fêter son septième anniversaire. Toujours sans son papa qu’il n’a jamais connu, il est décédé quelques mois après sa naissance lors d’une avalanche en montagne. Gloria, sa mère, lui voue un amour fou et tous les deux sont en parfaite symbiose dans leur maison de Fontainebleau. Sauf, qu’un être continue à manquer et comment repeupler cette absence, surtout lorsqu’Elliot écrit sur sa liste d’envie pour les cadeaux d’anniversaire… un papa vivant !

Un roman aux allures fantomatiques et excessivement touchant et, curieusement, sans ombres de tristesse, juste une empathie qui s’élève entre les protagonistes et le lecteur. Écriture classique avec dialogues courts pour décrire simplement le ressenti d’une famille après une épreuve subie des années auparavant et qui restera ancrée au plus profond des âmes, avec un petit garçon qui doit grandir avec la blessure d’être orphelin de père.

Alice Taglioni a eu l’intelligence d’écrire un vrai roman, en s’inspirant, certes, de son propre vécu et celui de son fils – son compagnon Jocelyn Quivrin est décédé lors d’un accident de voiture et leur fils Charlie n’avait que huit mois – mais en réinventant chaque personnage, en créant une histoire avec juste quelques touches réelles et ô combien primordiales, comme le piano omniprésent et le brave toutou Motus – le seul à avoir gardé son nom même s’il a changé de race et est passé du beige clair au  noir.

Un livre pour tout public, une fine analyse sur le deuil et ce qui l’entoure et qui peut aider bien des personnes se retrouvant ou s’étant retrouvées dans un chagrin similaire après la perte d’un être cher car ce roman est un énorme souffle d’espérance et comme l’avait si justement souligné le regretté Jean d’Ormesson « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants ». Et même peut-être davantage si d’aucuns savent scruter l’invisible.

« Le bonheur ne répond pas toujours à la définition que l’on espère, mais, visiblement, il se démène toujours pour lui ressembler un peu ».

Un papa vivant – Alice Taglioni – Éditions Robert Laffont – Novembre 2023

 

 

 

 

samedi 9 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

Le fruit le plus rare

Gaëlle Bélem

 

 


Vous aimez les desserts doucereux, les parfums envoûtants avec cette subtile substance qui fait saliver les babines et flancher l’odorat ? Mais connaissez-vous son origine ? Cette vanille bourbon née à l’île de La réunion grâce à un jeune garçon : Edmond Albius. Englouti dans les oubliettes de l’histoire, Gaëlle Bélem le fait revivre par sa plume et lui offre un goûteux hommage à la gloire du plus exquis des arômes.

Ile de la Réunion, 1829, naissance à Sainte-Suzanne d’Edmond avec une double peine : esclave et rapidement orphelin. Analphabète, son malheur s’adoucit lorsqu’il est recueilli par le planteur de canne à sucre Ferréol Bellier-Beaumont et passionné de botanique. Veuf, sans enfant, il suspecte un talent naissant dans le tout jeune enfant. Il a acquis une bouture de vanillier lors de son apparition dans l’ile dix ans plus tôt mais impossible de le multiplier. Attentif à la science du propriétaire terrien, le jeune Edmond va développer un sens extraordinaire autour des plantes et découvrir – à seulement douze ans - comment féconder manuellement la fleur à l’aide d’une aiguille. Hélas, un sombre destin va rattraper le prodige…

Il aura fallu cent ans pour qu’une plaque commémorative soit apposée à Sainte-Suzanne et ce n’est qu’en 2004 qu’une statue sera érigée. La Réunionnaise Gaëlle Bélem revient avec maestria sur la destinée de cet être oublié qui, pourtant, a révolutionné la gastronomie mondiale. Tout en faisant honneur à la langue française avec une fine écriture, elle narre un chapitre de l’histoire de l’île de la Réunion, dénué de clichés ou sempiternelles cartes postales, raconter l'esclavage sans tomber dans la haine et savoir poser ces touches de romanesque qui manquent tant à la littérature contemporaine française .

Gaëlle Belem fait partie de cette congrégation des "raconteurs d'histoire", ces gens de lettres qui n'écrivent pas en se regardant mais en portant leur regard sur les autres.
Dès son deuxième roman, Gaëlle Belem sait déjà se renouveler : après "Le monstre derrière la porte" elle embarque le lecteur dans une histoire totalement différente. Seule l'âme de l'encre est semblable. Gaëlle Bélem, vous n'êtes pas une autrice. Vous êtes une écrivaine. Une talentueuse écrivaine.

Le fruit le plus rare ou la vue d’Edmond Albius – Gaëlle Bélem – Éditions Gallimard/Collection Continents Noirs – Août 2023

 

 

 

 

dimanche 3 décembre 2023

 

Une noisette, un livre

Juliette

Abd Al Malik


 

Abd Al Malik offre un hommage posthume à sa marraine artistique : Juliette Gréco, un hommage qui doit la faire sourire d’où elle est, tant il incarne l’élégance et la liberté qui la caractérisaient : « L’esprit illumine tout. Juliette est bien une incarnation de la Liberté ». Son admiration est si notable qu’il la compare à la poétesse Rabia al Adawiyya, figure majeure du soufisme au VIIIe siècle.

Dans une langue poétique et d’une finesse exquise, le rappeur jongle entre ses souvenirs et la vie de la plus célèbre des Mômes, prenant même sa place parfois dans le récit de sa vie, comme le jour où Juliette Greco sort de la prison de la Gestapo – sa sœur et sa mère iront dans les camps de concentration et en sortiront – et se réfugie chez la seule personne de toute confiance, son ancienne professeure de lettres, Hélène Duc. Un double hommage pour ces deux femmes « courage ».

Juliette n’est pas seulement l’égérie de la liberté, elle est LA vie et plus encore : « Elle chante la vie, au fond, comme le cri derrière la prière. Le chant est la plus puissante des prières qu’on puisse faire. Il est aussi la plus sincère. Il est à la parole ce que l’amour est au sentiment. Le chant est la preuve du langage universel et de l’art comme miroir d’humanité ».

Malgré cet hymne à la beauté, au chant, Abd Al Malik n’oublie pas de souligner avec brio les dérives d’une société qui vend son âme : « Depuis son AVC et la mort de Gérard, son bien-aimé, la foule de dévoués ne se précipitait plus guère ; embringuée dans une industrie culturelle qui ne s’apparentait plus désormais qu’à une vaste télé-réalité toujours plus obscène » et que la « plume fait de moins en moins le poids face à l’épée de tous ces despotes toujours convaincus d’être éclairés ».

Les évocations de Ferré, Brel, Brassens permettent de se replonger dans cette France d’antan où les poètes musiciens devenaient immortels, se mettant au service de la création sans imitation aucune ; cette notion d’artiste selon la définition de Juliette Gréco : « un artiste doit ambitionner de n’être que lui-même dans toute sa splendeur ».

Loin de tous les vitrioleurs et vitrioleuses, ce livre vous fera vous envoler sur les ailes de la liberté par la voix de Juliette Gréco et les mots inspirés du soufisme d’Abd Al Malik.

Juliette – Abd Al Malik – Éditions Robert Laffont – Août 2023

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...