mercredi 28 juin 2023

 

Une noisette, un livre


Les morts et les journalistes

Òscar Martìnez

 


Òscar Martinez prévient tout de suite : cet ouvrage ne sera pas un « feel good book », il y a des morts. Même plus que des morts, une violence effroyable accompagnant chaque crime. Le Salvador fait partie de cette espace géographique le plus meurtrier de la planète, la Grande Faucheuse pouvant frapper à chaque instant dans ce pays gangréné par le crime organisé, une police corrompue et où le mensonge est roi de la part des autorités. Une situation que n’est pas propre à cette zone d’Amérique centrale, d’autres pays souffrent du même symptôme faisant du crime une épidémie.

Ce document d’une rare intensité remet le Nicaragua dans son contexte en décortiquant cette lutte sans fin entre la police et les pandilleros : des massacres sans affrontements, des mises à mort répondant à la loi du Talion. Les informations, en général, répondant à la ligne de conduite imposée par le haut de l’État ne permettent pas de connaître la vérité. Seuls, quelques journalistes intrépides tentent de découvrir la vérité. De cette quête, Òscar Martìnez en a écrit un livre parce trois morts, qui étaient ses sources de renseignement, lui sont restés à travers la gorge, trois morts de trop ; trois gars d’une même famille assassinés par la police alors qu’ils étaient tout sauf des pandilleros. Leur seul « délit » : leur condition misérable, ces êtres qui ont pour lit qu’une mangeoire à cochons !

Le journaliste fait bien comprendre que le journalisme ne sauve personne – ou si peu. Il tente de démontrer un fait, d’écarter une hypothèse. Au départ d’une enquête, il ne sait rien. Il va juste essayer de comprendre en prenant les yeux des autres et en se demandant continuellement ce que l’on cherche à savoir. Une mission quasi impossible lorsque d’un côté la police massacre sans raison et, que de l'autre, les organisations criminelles sont dirigées comme des multinationales : toujours plus des deux côtés. Pourtant, Oscar Martinez a continué, parce que le journalisme doit continuer. Sinon, qui s’intéressera encore au sort d’un paysan salvadorien coincé entre bandes rivales, ogres financiers et police corrompue.

Un livre qui ne donne aucune leçon mais qui explique. Brutalement. À l’image du monde.

Les morts et le journaliste – Òscar Martìnez – Traduction : René Solis – Éditions Métailié – Avril 2023

 

 

 

 

jeudi 22 juin 2023

 

Une noisette, un livre


Vers les hauteurs

Ludovic Escande

 

« La vie parisienne vaut seulement d’être vécue en hauteur »


 

Ludovic Escande, éditeur dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, se réfugie sur les toits de Paris avec son ami Vincent – toute ressemblance avec un personnage existant ne peut évidemment être fortuite et le fruit d’une pure coïncidence – pour s’enivrer d’un Paris différent où souffle un air de liberté.

Depuis les toits de Paris résonne une poésie, celle de l’escapade que Ludovic Escande traduit parfaitement dans ce roman. Un roman aux accents d’autofiction mais – et là est le coup de maître – qui n’en paraît nullement un, sachant ingénieusement mêler des touches de fiction et jouant, comme un chat avec une souris, entre le vrai et le faux.

Une escalade citadine qui permet à l’auteur de glisser sur différents sujets qui lui sont proches et de poser des rappels sur la perte d’humanité d’une société gangrénée par la finance, le pouvoir et l’incompréhension mutuelle. De jour, Ludovic Escande est confronté aux soucis (logement, rupture sentimentale), tourmenté pour offrir le meilleur et protéger ses enfants chéris (sa fille sera victime d’un harcèlement scolaire), la nuit permet alors d’évacuer le trop plein en prenant de la hauteur. Sauf que, parfois, la maréechaussée veille…

Après « L’Ascension du Mont-Blanc » Ludovic retrouve ce qui est très cher à son cœur : l’amitié, cette valeur qui sauve de tout, même des chagrins d’amour. Un livre, donc, très beau qui nous ouvre les portes de l’évasion de proximité par cet alpinisme urbain. En refermant cet ouvrage, j’ai même cru entendre Ludovic Escande et Vincent chanter cet air des années 50 « Quand on voit Paris d’en haut, On se dit qu’il n’est rien de plus beau » ! 

« Nous vivons l’ère du discrédit radical, tous ces moyens mis en œuvre pour préserver notre liberté donnent au contraire le sentiment d’une entrave, comme si les données qui ruissellent de nos comptes numériques étaient la source du soupçon contre lequel nos justifications deviennent dérisoires ».

Vers les hauteurs – Ludovic Escande – Éditions Allary – Avril 2023

 

 

dimanche 18 juin 2023

 

 Une noisette, un livre

La frontière des oubliés

Aliyeh Ataei

 

« Je suis une écrivaine de l’observation, et tout ce que j’ai écrit à ce jour découle de mon vécu »

 


Un livre pour dire au monde combien la frontière irano-afghane est « une zone où la vie ne vaut quasiment rien ». Une terre où le sang peut couler plus abondamment que l’eau, une terre de guerres, de conflits, de luttes ethniques qui déchirent les hommes et les femmes. Aliveh Ataei a voulu rendre hommage à ces femmes, doublement victimes par leur statut, en s’imprégnant de son propre vécu. Une succession de récits – presque présentés comme des nouvelles – qui permet de dégager des portraits de ces femmes courageuses plongées dans leurs souffrances avec une progression de l’individualité au collectif ; la privation d’identité, l’exil, l’errance…au nom d’une frontière.

L’Iran comme l’Afghanistan a souffert et souffre toujours de luttes internes, luttes mêlées par les guerres et cette perversion humaine de vouloir tuer pour imposer sa puissance, prendre/défendre un territoire. Avec pour résultat, un peuple qui trinque et se déchire.

La question de l’identité reste centrale avec le triste constat que le racisme continue de creuser une immense plaie sur toute la planète, une faille qui secoue les pulsions des gens de tous horizons.

L’écriture remarquable de l’autrice ne peut, évidemment, adoucir la dureté des propos et des descriptions ; elle renforce le poids de la tragédie quotidienne. Que chacun prenne conscience du mot « liberté » : crier « Azaadi » est synonyme de peine capitale. Pour la plus grande peine de l’humanité.

La frontière des oubliés – Aliyeh Ataei – Traduction : Sabrina Nouri – Préface de Atiq Rahimi – Éditions Gallimard – Mars 2023

samedi 3 juin 2023

 

Une noisette, un livre
 
Le défi de Jérusalem
Éric-Emmanuel Schmitt

 


« Je cultive une croyance sauvage, singulière, rebelle, personnelle, soumise à ses rythmes spécifiques, dénuée de rapport aux traditions »

 

Éric-Emmanuel Schmitt, en pleine écriture de sa « Traversée des Temps » reçoit une proposition du Vatican pour partir en Terre Sainte. Croyant grâce à une « rencontre » dans le désert du Hoggar sur les traces de Charles de Foucauld, il accepte ce pèlerinage en Israël et Palestine, foyer des trois religions monothéistes.

Éric-Emmanuel Schmitt alterne récit de voyage et réflexions spirituelles au cours de son cheminement sur les traces de Jésus, de Bethléem jusqu’au Saint-Sépulcre, puis sa Résurrection. Les visions concrètes des rencontres entre les participants et la population locale se mêlent à l’invisible, à ces inénarrables moments hors du temps qui transpercent l’âme.

Même si le cœur de ce témoignage est la foi catholique, aucun prosélytisme de la part du romancier, au contraire. Parsemé de tolérance, il porte la voix du rassemblement entre toutes les religions avec un message d’espérance et de paix entre Israël et la Palestine.

Rare de retranscrire l’excipit, mais ce paragraphe résume toute la pensée de l’écrivain et ne peut qu’encourager à lire ce Défi de Jérusalem : « Au fond, il y a deux façons d’appréhender un voyage en Israël et en Palestine, deux manières aussi légitimes l’une que l’autre. Certains cherchent leurs racines dans la terre. Moi, je les ai trouvées dans le ciel ».

Le défi de Jérusalem – Éric-Emmanuel Schmitt – Postface du Pape François – Éditions Albin Michel – Avril 2023

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  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...