lundi 28 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les accords silencieux
Marie-Diane Meissirel

 


Comment écrire un concerto livresque ? Choisir la plus grande partition – celle du monde –   faire évoluer les personnages sur des notes blanches et noires, opter pour les trois mouvements traditionnels en commençant par le vif du sujet sans omettre ensuite un andante pour donner le thème majeur et faire battre crescendo l’intérêt du lecteur/auditeur, jouer sur la virtuosité des mots sans exagérer sur la corde sensible, ne jamais faire crier l’encre et lui offrir un bon tempo, laisser son âme vagabonder dans les cœurs. Vous aurez un roman magnifiquement accordé, parfaitement achevé pour devenir intemporel. Marie-Diane Meissirel a réussi cette gageure en mettent en scène deux femmes que tout oppose – nationalité, âge, statut – mais qui vont se réunir par la musique et découvrir que leur histoire a quelque chose en commun à l’image de deux papillons incrustés sur un Stenway devenant symbole de résistance lorsque les humains abandonnent la sagesse pour s’engouffrer dans le pandémonium des guerres et des dictatures. De l’Europe des années 40 jusqu’à la Chine maoïste en passant par les Etats-Unis et Hong-Kong, « Les accords silencieux » sont une sublime symphonie en l’honneur des arts et pour chanter la paix.

Tillie a perpétué la tradition familiale en travaillant chez Steinway et auprès des plus grands instrumentistes du XX° siècle. L’Américaine n’a guère été épargnée par la vie en perdant, entre autres, à la fin de la deuxième guerre mondiale son unique frère. Elle partira vers d’autre horizons, à Hong-Kong, avec toujours cet amour inconditionnel de la musique. A l’hiver de sa vie, elle fait la connaissance d’une jeune étudiante chinoise, Xià, qui a pris la liberté de jouer, sur le piano de l’appartement de la vieille dame, l’Adagio du Concerto italien de Bach. Tillie est profondément émue car la jeune femme l’a interprété exactement comme le faisait son père. Comment est-ce possible ? C’est le début d’une symphonie humaine où se mêlent malheurs et joies avec cet incroyable art qui a le pouvoir de relier le fil des âmes.

Si le piano est sans aucun doute l’élément qui relie tous les protagonistes de ce roman en forme d’adagio, c’est aussi une fiction en hymne à la paix et au pouvoir des arts qui procure force et courage aux survivants des guerres et révolutions pour continuer à avancer sur le largo l’existence.

A lire pianissimo pour nouer une symbiose avec les personnages et inonder son esprit par la puissance d’une partition de Beethoven, de Bach et une opportunité pour retrouver  les voix qui ont fait avancer la société comme celle de Maria Anderson, première artiste afro-américaine à fouler la scène du Metropolitan.

Autre figure évoquée et éternellement emblématique, celle de Pablo Casals :

« J’étais bouleversé à la pensée de mon pays meurtri mais aussi touché par l’espoir éveillé par la musique. Je suis rentré chez moi et j’ai écouté le disque de Pablo Casals que vous m’avez offert. Les suites de Bach résonnaient de vos souvenirs et de vos réflexions : votre frère Joseph, sa rencontre avec le maître espagnol, son intuition spirituelle à Leipzig, votre récent coup de cœur pour ce jeune violoncelliste d’origine chinoise Yo-Yo Ma, le message de paix délivré par Casals devant l’Assemblée des Nations Unies, votre conviction si profonde que la musique a une résonnance universelle, qu’elle offre un espace de dialogue avec soi-même et avec les autres, qu’elle crée un lien entre la terre et le ciel, votre désir viscéral d’œuvrer pour l’harmonie du monde… Tout cela prenait du sens. »

Hasard des événements, l’évocation de cet illustre instrumentiste prend tout un sens : en 1958, avec Albert Schweitzer, il lance un appel aux gouvernements russes et nord-américains contre la prolifération des armes et des essais nucléaires. Ses discours pacifistes sont innombrables mais puisse cette phrase être encore diffusée sur tous les toits du monde « Les nations les plus puissantes ont le devoir et la responsabilité de préserver la paix ».

Tillie et Xià, à leur manière, sont également des messagères de paix transformant les touches de piano en ailes de la liberté  Ƹ̴Ӂ̴Ʒ ƸӜƷ 

Les accords silencieux – Marie-Diane Meissirel – Editions Les Escales – Janvier 2022



mercredi 23 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les Panthères Grises - Amour et vieilles dentelles
Williams Crépin

 


Elles s’appellent Alice, Maria, Nadia et Thérèse. Elles sont largement septuagénaires et désirent prendre pleine part à la vie en s’étant inscrites à un cours de théâtre dans leur banlieue parisienne. Ces fringantes panthères ont un sacré caractère et les coups de griffe entre elles ne sont pas rares. Mais elles savent faire socle – aussi bien dans les bonnes actions que dans leurs quelques égarements de médisance. Mais point d’arsenic au milieu de ces vieilles dentelles. Quant à Maria et Alice, elles ne perdent pas espoir de retrouver l’amour.

Un événement inattendu va propulser le quatuor sur le devant de la scène. Une dame de leur âge s’est fait assassiner et, pour les besoins de l’enquête, on fait appel à leur théâtre amateur pour jouer la victime lors de la reconstitution avec le juge et tous les protagonistes dont le tueur présumé, un certain Mirko. L’heure de gloire arrive pour Alice qui devra enfiler le rôle de la trépassée. Sauf que rien ne se déroule comme prévu et que les mamies ont plus d’un tour dans leur sac pour se transformer en panthères enquêtrices. Rugissements à prévoir lorsque qu’un sémillant retraité se présente pour passer une audition pour le futur Roméo de la troupe théâtrale…

Même si nos braves mamies ne sont pas flingueuses comme les célèbres « Menteuses » de Charles Exbrayat, elles n’en demeurent pas moins pétillantes, rusées et énergiques pour retrouver le vrai coupable. Un ton léger avec moult piques humoristiques pour donner un sacré panache à ces copines à la langue bien pendue et franches du collier. Une enquête où l’on s’amuse bien  pour ce premier tome finement réussi. On attend les autres avec toutefois un poil plus compliqué pour dénicher le meurtrier.

Amour et vieilles dentelles – Williams Crépin – Éditions Albin Michel – Mars 2002

mardi 22 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
Gandhi Blues
Silvia Callanquini-Forrest

 


L’ethno-photographe Silvia Callanquini-Forrest offre un nouvel essai littéraire pour expliquer la pratique du jeûne, jeûne qui a multiples origines puisées très souvent dans la spiritualité. Mais pas que puisque justement Gandhi l’a non seulement pratiqué pour se libérer des contraintes du corps mais pour en faire également une arme politique, une pression que d’aucuns se souviennent lors des affrontements sanglants entre hindous et musulmans.

Ce livre a les vertus d’un guide qui permet de vous orienter tout en vous laissant libre dans vos déambulations. Et c’est la principale vertu de cet ouvrage qui explique mais sans aucun prosélytisme. À chaque chapitre, l’autrice laisse le soin de questionner le pour et le contre, de mener des interviews aussi bien avec les adeptes qu’avec les réfractaires, de poser les limites du jeûne et d’offrir une belle vitrine sur nos comportements alimentaires.

Pour agrémenter le tout, des citations (celle d’Antonin Arthaud est particulièrement percutante) et un historique de la pratique tout en analysant également la tragédie de la faim dans le monde et les problèmes médicaux comme l’anorexie et, inversement, la boulimie.

Ce riche document ne m’a pas incité à pratiquer le jeûne – pouvoir manger est un luxe et s’en priver serait une ineptie, « jeûner » par force quand on est malade est déjà suffisant – mais peut-être que certains d'entre vous y trouveront une occasion de franchir le pas. En tout cas, que vous soyez pour, contre ou indifférent, je ne peux que conseiller cette lecture qui est très agréable. Une belle nourriture apportée au cerveau et c’est déjà beaucoup.

Gandhi Blues – Silvia Callanquini-Forrest – Editions PhotoSensible – Décembre 2021

📢 Non disponible en librairie, c'est à l'éditeur qu'il faut directement le commander avec l'adresse mail : editionsphotosensible@gmail 

dimanche 13 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
La Vierge à combustion et le Baryton perché
Sophie Charpentier

 


Mais que ce roman est drôôôôle et comme l’opéra (bouffe) fait partie des éléments, votre serviteur aurait presque envie de le renommer « oh che muso, che figura » !

Mise en scène : un immeuble parisien face à Notre-Dame, une rue à traverser et un café.

Costumes : aucune précision s’ils sont de Donald Cardwell

Personnages : Deux résidents, Zimmerman et Meunier ; un baryton qui s’apparente à une version de Florence Foster Jenkins au féminin ; une vierge en cire qui fond en larmes, un ascenseur et des boîtes à lettres. Ah, j’allais oublier peut-être le plus important  : un manuscrit.

Bande son : Mozart, Haendel, Leoncavallo, Rossini…

Résumé : Zimmerman (3° étage) et Meunier (5° étage) se voient peu et échangent encore moins. Mais quand ils assistent à l’incendie de la cathédrale de Paris quelque chose les rapproche. Tous les deux sont des passionnés d’art et Meunier est persuadé d’être l’artiste du siècle. Il s’engage dans une œuvre photographique mais devient perturbé lorsqu’on lui dépose régulièrement le feuilleton d’un manuscrit anonyme particulièrement énigmatique. Surtout qu’auparavant un chanteur lyrique capable de déclencher le plus grand déluge de toute l’humanité s’est installé au 4°.

Genre : aucunement mauvais, peut s’orienter comme un thriller loufoque sans cadavre mais aux moult énigmes.

Plume virtuose pour huis clos citadin qui compose l’âme humaine et ses relations parfois cabalistiques. Avec un invité surprise qui aurait toute sa place chez le prince Orlofsky, l’humour. Sophie Charpentier s’amuse, pianote sur toutes les finesses de la langue française (expressions d’antan, page d’anthologie sur l’accord du participe passé à la forme pronominale, musicalité des redondances…) quitte à se demander si le lecteur ne devient pas souris quand on découvre tout chat, pardon tout ça. Le final est grandiose dans toute la simplicité de cette histoire qui est également un chant sur les affres et les ivresses de la création artistique.

« Le généreux inconnu laissait planer le mystère. Personne n’avait eu l’heur de voir son visage, à croire que son emménagement s’était fait secrètement, de nuit, que le piano tourmenté avait été introduit par les conduits de cheminée et que la voix de son maître, seul élément tangible, se nourrissait de l’air du temps, au point de n’avoir aucun besoin de ravitaillement ni de contact extérieur ».

« Une toile vierge, où est le problème ? C’est très beau une toile vierge, l’immaculé avant la conception ».

La Vierge à combustion et le Baryton perché – Sophie Charpentier – Éditions Les Pérégrines – Février 2022


  (Court extrait lu par la doublure humaine de l'écureuil)

Livre reçu et lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2022 de Lecteurs.com

 

 

 

 

 

 

mercredi 9 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
Arrière-pays
Daniel Rondeau

 


Votre serviteur agit parfois avec préméditation… Bien que depuis plusieurs mois dans mon panier magique ce n’est pourtant qu’aujourdhui que ma chronique pour « Arrière-pays » est accrochée sur une branche de mon arbre. Parce qu’en cette période électorale, le roman de Daniel Rondeau vaut tous les discours politiques et est, probablement, la meilleure profession de foi sur le marché des candidatures. Dommage que le nouveau locataire du fauteuil 8 de l’Académie française n’est pas songé – en se rasant ou pas – à franchir la grille du coq.

À travers un pays en proie aux inquiétudes et à ses dérives, une journaliste mène une enquête – si on peut employer ce vocable – après qu’un routier polonais ait été envoyé ad patres. Moult personnages peuplent ce récit : un producteur de musique, une caissière, un député de la majorité présidentielle, des Gilets jaunes, une réalisatrice en proie aux injonctions du politiquement correct, une chanteuse iranienne, un médecin de campagne qui fait figure du dernier des Mohicans… Destins croisés pour un entrecroisement dans cette France pluriculturelle et celle d’une Europe qui l’est tout autant. Une histoire à la française dans l’Aube qui peut-être espère encore un peu.

Désertification des campagnes, appauvrissement des régions éloignées de la capitale, jacobinisme ambiant, souffrance paysanne et ouvrière, quête d’identité, écologie aux aboies, réseaux sociaux belliqueux… que de thèmes abordés dans cette galerie, certes romancée mais terriblement réaliste. Daniel Rondeau a su habilement éviter un ton trop académique pour ce road-trip sociétal et sa plume a préféré un style rock’n’roll plus adapté à la situation des uns et des autres.

Un arrière-pays pour une avant-garde.

Arrière-pays – Daniel Rondeau – Editions Grasset – Septembre 2021

mercredi 2 mars 2022

 

Une noisette, un livre
 
La librairie des rêves ensevelis
Madeline Martin

 




Grace Bennet quitte sa campagne anglaise pour s’installer dans la capitale chez la meilleure amie de feu sa mère. Accompagnée de Viv, la copine de toujours qui elle aussi fuit son milieu, elles arrivent à Londres le cœur plein d’espoir et des rêves plein la tête. Viv, avec une lettre de recommandation inventée – on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même – trouve un emploi chez Harrods, Grace, elle, se lamente de se retrouver dans une petite librairie poussiéreuse appartenant au grognon Mr Evans. Tout va basculer rapidement car nous sommes en août 1939.

Sous le feu des bombes la jeune femme et le vieil homme vont progressivement nouer des liens surtout que Grace est devenue une passionnée de littérature grâce au « Comte de Monte-Cristo », un précieux livre offert par George, son soupirant, et qu’elle lira même à voix haute lors des longs moments dans les refuges souterrains. La librairie va tenir bon et offrir une bouée de sauvetage pour permettre aux habitants de continuer à espérer la fin du cauchemar.

Un roman délicieux autour du pouvoir de la littérature et du rôle indispensable des libraires. Madeleine Martin hisse une histoire touchante en ne négligeant aucunement la vérité historique : le pandémonium des bombardements de Londres, le Blitz, neuf mois d’attaque intense qui n’ont jamais atteint le moral des britanniques malgré les millions d’habitations détruites et les 43000 morts à déplorer. Si, par exemple, des canalisations de gaz étaient touchées, trois semaines plus tard le service était rétabli.

Ce récit avec moult détails mais jamais d’esprit morbide, montre toute l’horreur d’une guerre, toute son injustice, toute son infamie, mais quand un peuple est solidaire et stoïque la capacité à vaincre le mal est prodigieuse. Et que la littérature peut porter secours, bien plus que d’aucuns pourraient le penser. Le livre, la source d’une chaîne de résistance et de liberté. D’amour aussi.

La librairie des rêves ensevelis – Madeline Martin – Traduction : Elisabeth Luc - Editions Charleston – Février 2022

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...