vendredi 30 décembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Autrices
Ces grandes effacées qui ont fait la littérature
Tome 1, du Moyen Âge au XVII° siècle

 


Daphné Ticrizenis, la directrice littéraire du présent livre, et qui a travaillé pour des ouvrages scolaires, a fait l’amer constat de la quasi-absence des autrices dans les manuels. L’idée de palier à ce cruel manque est née. « Autrices » est le premier tome consacré à ces « oubliées » de la littérature ; pour commencer, du Moyen Âge au XVII° siècle.

Car les femmes ont toujours écrit, certes l’exercice était plus rare que pour les hommes voire plus dangereux, et ce, depuis le Moyen Âge en commençant par les « Trobaintz », mot occitan pour désigner les femmes qui dès le XII° siècle écrivaient, chantaient et signaient de leur propre nom leurs proses et leurs vers.  Les troubadours au féminin.

Titiou Lecoq, qui signe la préface et remet quelques pendules à l’heure, revient sur le vocable qui fait le titre du document. Ce terme n’est pas né d’aujourd’hui, il vient du latin « Auctrix » et est couramment employé jusqu’au XVII° siècle. C’est dans la première moitié de ce même siècle qu’est créée l’Académie française avec l’élaboration d’un dictionnaire aux bons soins d’une confrérie de petits hommes verts – et ce jusqu’à pratiquement la fin du XX° siècle soit dit en passant – qui a décidé de laisser une large place à la domination masculine dans le vocabulaire et la grammaire. Autre fait notoire et révélateur : la règle de proximité qui accorde le genre et éventuellement le nombre de l’adjectif avec le plus proche des noms. Cette règle disparait progressivement, bien que Racine l’utilise encore. Personnellement, si mon pelage se hérisse avec l’écriture inclusive, je souhaiterais de toute ma noisette que revienne cette règle grammaticale de la proximité.

Romans, sonnets, ballades… moult pages oubliées et qui méritent de revenir dans nos cœurs de lectrices et lecteurs. Ces femmes n’étaient pas seulement des artistes de la plume, elles étaient des combattantes en chantant leur féminité et en revendiquant la liberté et l’égalité.

Quelques exemples parmi la cinquantaine de portraits

Christine de Pizan, qui reste peut-être malgré tout la plus connue des autrices du Moyen Âge. Pourtant combien savent que le célèbre proverbe « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage » vient d’une de ses ballades où elle exprime sa colère contre les mensonges des hommes et leurs « faux plumages ». Elle reste aussi celle qui se souleva contre la misogynie, l’attaque la plus virulente reste contre celle du Roman de la rose (la partie écrite pas Jean de Meun). Pour récompense elle fut jusqu’au XX° siècle méprisée et censurée !

Louise Labé – traitée de courtisane pour ses écrits poétiques et sensuels – réclamait au XVI° siècle le droit d’accès à l’écriture pour les femmes et qui deviendrait une émulation collective ; les hommes ne pourront qu’écrire mieux en lisant ce que sont capables ces dames.

Catherine de Parthenay, protestante passionnée, a mis tout son talent au service de la cause des Huguenots et tentée de faire entendre sa voix sur la scène politique comme lors de la prise de La Rochelle en 1627, en vain hélas car la famine a offert la victoire à Richelieu. Néanmoins, elle continue à défendre ses idées jusqu’à la fin de sa vie. Surnommée « La grande Catherine » dans le Poitou elle laisse des innovations féministes littéraires comme la satire politique et le ballet (face à son utilisation royale…).

Marie de Gournay, plus connue comme l’éditrice de Michel de Montaigne, elle publie pourtant en 1622 « Égalité des hommes et des femmes » et reçoit – fait exceptionnel – une pension du roi pour son travail et peut ainsi vivre de ses écrits. Cela n’empêche les sarcasmes de tomber en tempêtes sur cette femme qui brandissait l’oriflamme de l’indépendance en restant célibataire.

Madeleine de Scudery, l’une des pionnières du roman moderne qui a connu un grand succès et qui a même été reconnue, peut-être dû en partie grâce à son succès littéraire qui lui permettait d’être indépendante financièrement. Célèbre est le salon littéraire qu’elle avait créé mais qui entraîna de nombreux sarcasmes de la part de la gent masculine.

Marie-Catherine d’Aulnoy fait partie de ces autrices qui ont publié de nombreux contes de fées, bien plus que leurs homologues masculins le genre étant à cette époque quasi-exclusivement féminin. D’ailleurs Charles Perrault publie anonymement « La belle au bois dormant » en faisant croire qu’il a été écrit par une femme, une façon de « défendre la présence des femmes dans le domaine littéraire ». Pourtant, il restera immortel – dans tous les sens du terme – et Marie-Catherine d’Aulnoy n’accèdera pas à la postérité malgré avoir écrit trois fois plus de contes que le sieur Perrault.

Catherine Bernard reste bien dans l’ombre depuis le XVII° siècle et pour cause ! Après son trépas, on lui a volé son statut d’autrice – une procédure d’effacement assez récurrente dans l’histoire littéraire – La pièce de Voltaire « Brutus » est tout simplement un plagiat, on reconnait des vers entiers de la main de Dame Bernard. Voltaire se défend et « avoue » qu’il a copié Fontenelle. Fontenelle étant un homme – et de surcroit académicien – il était plus noble de le copier plutôt que d’une illustre inconnue !

Puissent ces quelques exemples vous donner envie de découvrir cette fabuleuse anthologie qui permet de revisiter l’histoire littéraire, lire des extraits et les biographies de ces femmes de lettres remises dans le faisceau de la littérature. Une chose est certaine, en dehors de la traditionnelle misogynie et de toutes les barrières posées à l’encontre des descendantes d’Eve, la question morale a joué énormément en défaveur des femmes. Les jugements sur la vie privée n’épargnaient guère les chromosome XX . Cette sempiternelle condamnation de la légèreté des mœurs ne concernait que les femmes… Cependant, ne croyez pas qu’il s’agisse d’un pamphlet contre les hommes ou d’un tribunal à charge contre la masculinité ! Simplement, remettre les noisettes en place et faire que chaque sexe puisse jouir de la même lumière sur le fil de l’égalité.

Autrices, ces grandes effacées qui ont fait la littérature. Tome 1 : du Moyen Âge au XVII° siècle. Textes choisis et présentés par Daphné Ticrizenis – Préface de Titiou Lecoq – Illustrations de Marie Fré Dhal – Éditions Hors d’Atteinte – Septembre 2022

lundi 26 décembre 2022

 

Une noisette, un concert
 
Misa Criolla
Automne baroque de Bourges

 

Pendant le concert ©Squirelito

Le dimanche 16 octobre 2022, votre serviteur est revenu dans son arbre le cœur en musique après avoir assisté à la Misa Criolla en la cathédrale Saint-Étienne de Bourges. L’immensité de l’histoire dans l’infini des notes.

La Misa Criolla, une messe née du peuple et écrite par Ariel Ramirez, un chant créole dans la tradition espagnole et inca avec des instruments comme le Charango ou le Bombo. Le texte liturgique est bien différent à celui que nous sommes habitués, des phrases courtes mais essentielles, en espagnol évidemment mais grâce au Concile Vatican II), et portées par une musique au rythme andin et…dansant ! Ainsi les Kirie/Gloria/Credo/Sanctus/Agnus Dei deviennent des Vidala baguala/Carnavalito Yaravi/Chacarera trunca/Carnaval cochabambino/Estilo : un final estupendo avec ce « Cordero de Dios que quitas los pecados del mundo, danos la paz ». Une musique sacrée qui devient aussi profane que spirituelle.

Le concert avait débuté par des pièces sacrées du baroque sud-américain jouées à la fois sur des instruments andins et des instruments de l’époque baroque

Autant le dire clairement, l’interprétation a été magistrale ! Heureuse découverte que d'entendre et écouter l’ensemble La Chimera dirigé par Eduardo Egüez, les Chœurs de Bourges et la Schola St Étienne sous la direction de Viviane Durand ; avec une mention spéciale pour Luis Rigou qui non seulement est un brillant ténor et musicien mais un artiste assoluto pour également sa bonne humeur communicative. Et, et...joie immense que d’entendre en direct cette Misa Criolla qui renferme tant de bons souvenirs. Des bijoux musicaux qui ont résonné dans la magnificence de la cathédrale de Bourges ajoutant une touche spirituelle encore plus grandiose.

Merci à l’association « Sauvegardons Notre-Dame de Bourges » qui a créé ce festival en 2019 pour permettre de récolter des fonds pour restaurer l’église éponyme, ce avec le soutien du Département du Cher, Berry Province, la ville de Bourges, la région Centre Val de Loire… pour en citer qu’eux. Plus amples informations sur le site du FESTIVAL

La cathédrale Saint-Étienne sous les couleurs de l'automne ©Squirelito


lundi 12 décembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Le cheval d’Hilaire
Françoise Bezet


 

Très belle couverture pour un livre qui est absolument captivant/touchant et qui se parcourt autant avec les yeux qu’avec le cœur grâce à sa poésie et aux histoires narrées par Françoise Bezet. Des nouvelles au fil des pages, du XVIII° siècle à nos jours, d’un personnage inclassable et sensible (Hilaire) à cette dame ayant eu une liaison avec l’ennemi pendant la deuxième guerre mondiale en passant pas un curé pas franchement catholique et les travailleurs de la terre.

Pour le lecteur du Berry – natif ou d’adoption – il aimera suivre géographiquement les noms des communes citées et retrouvera peut-être des souvenirs communs. Pour les autres lecteurs, une formidable opportunité de découvrir ou redécouvrir ce cœur de France avec sa vie d’antan qui a forgé celle d’aujourd’hui ou bien de retrouver cette vie campagnarde avec sa dureté, ses croyances et sa solidarité. D’aucuns étant nés en milieu rural auront le plaisir de lire ces récits et de sentir cet attachement à ce qui nous façonne tous au départ : la terre.

J’ai apprécié toutes les nouvelles – assez rare pour ce genre littéraire – mais, évidemment, certaines m’ont plus touchée que d’autres. Hilaire, en particulier, cet être bien trop sensible pour supporter la dureté du monde et qui reste un incompris ; « Quand la vie continue » située à la fin de la guerre où deux sœurs vont trouver l’amour mais avec plus de chance pour l’une que pour l’autre ; l’histoire d’une « Livraison insolite » qui de nos jours serait certainement un délit… Et puis ces esquisses de sourire qui se forment à l’évocation de « Sur le banc » ou autres particularités des années 50 qui ont sonné dans les oreilles lorsque les parents racontaient leurs débuts. Ces éclats de vie en Berry sont des étincelles d’une certaine France et de la transmission.

Le cheval d’Hilaire et autres éclats de vie en Berry – Françoise Bezet – Éditions La Bouinotte – Décembre 2021

  Noisette saint-amandoise Pour Noisette livresque   Il était une fois au cœur de la France, une ville entourée de petites collines ...