mercredi 25 octobre 2023

 

Une noisette, un livre

 

Nos destins sont liés

Walid Hajar Rachedi

 


Walid Hajar Rachedi a de la suite dans les idées. Ce deuxième roman est la continuité de « Qu’est-ce que j’irais faire au paradis » même si les lecteurs peuvent très bien découvrir ce nouvel opus sans avoir lu une ligne du précédent. La géopolitique est nettement moins présente mais la « psychologie des banlieues » est le socle de tous ces destins.

Ceux de Salem, de Lisa, de Matthieu, de Ronnie, de Céline, cette dernière ayant une situation beaucoup plus confortable mais ne supportant l’ambiance « naphtalisée » de son milieu.

Alors que tout peut éloigner un rappeur d’un financier (il ne s’agit pas d’un gâteau), une habitante du 93 et une résidente des quartiers riches de Versailles, tout les rapproche ou va les faire rapprocher. Tous sont pris dans un étau, ne sachant plus s’il faut continuer à rêver un peu ou se laisser glisser dans l’inexorable cours du temps qui happe la plupart des jeunes.

Le ton est léger pour des sujets graves et, curieusement, chaque paragraphe devient percutant, comme ceux narrant la facilité à juger sans discernement, à toujours faire monter les amalgames. Inutile de raconter l’histoire, elle est à découvrir par soi-même mais croyez que le passage avec le présumé terroriste est exemplaire.  

L’un des points culminants du roman est conversation entre Ronnie et sa professeure de philo, genre old school. Juste un extrait, pour le plaisir « Je me suis rendu compte que la vraie réussite d’un enseignant, c’est de réussir à intéresser un public qui n’est pas conquis d’avance. Et il faut reconnaître qu’ici je suis servie, n’est-ce-pas ? Certes, les élèves n’ont pas le profil type de futurs pensionnaires de Normale Sup, mais qui sait ? Alors, en ce qui vous concerne, réfléchissez à ce que vous avez vraiment envie de faire et ayez le courage de vos ambitions. Je ne dis pas que ce sera facile… Mais rien n’est facile dès lors qu’on y tient un peu. Et ce n’est pas parce que qu’on ne peut pas tout de suite, qu’on doit croire qu’on ne peut rien. Réflexion qui, au passage, vaut autant pour vous que pour moi. Jean-Paul Sartre disait très justement à ce sujet « La liberté, ce n’est pas de pouvoir ce que l’on veut, mais de vouloir ce que l’on peut » ». C’est ce que vous aviez écrit dans votre copie, si je ne me trompe ? »

Merci Madame Bazart, merci Ronnie, merci Salem… et merci Walid Hajar Rachedi.

« Passer une soirée, juste une seule, avec quelqu’un qui ne parle pas sa « langue » - celle des audits sociaux, de l’optimisation du capital humain et des perspectives de mission et de carrière qui vont avec – lui paraît une excellente idée ».

Nos destins sont liés – Walid Hajar Rachedi – Éditions Emmanuelle Colas – Septembre 2023

 

 

jeudi 5 octobre 2023

 

Une noisette, un livre 

De l’inconvénient d’être russe

Diana Filippova

 


Voilà un livre fort intéressant et pas seulement par rapport à l’actualité. Diana Filippova dresse un constat à la fois sur la condition des Russes en France – certains exilés depuis des décennies ou descendants de ces familles partis lors de la Révolution ou fuyant les polgroms – et sur la Russie elle-même et de son aïeule l’URSS. La guerre en Ukraine a provoqué la rédaction de ce livre car le conflit la ramenait à ce qu’elle ne voulait plus être : russe.

Arrivée en France lorsqu’elle était encore enfant, elle a connu le déracinement, les difficultés d’être étranger en France, les brimades mais aussi les encouragements, la liberté. De ce récit intime en découle une vision générale sur la Russie et les difficultés de l’exil. À travers de nombreuses anecdotes et de références littéraires, ce constat est édifiant puisqu’il va bien au-delà du sujet, l’extrait sur la peur en est un parfait exemple :

« La peur ancrée rend caduque toute possibilité de révolte. Les opposants le savent bien, eux qui dirigent leur slogan droit contre elle. Elle agit sur le corps des femmes, des enfants et des hommes avec une redoutable efficacité. Une fois qu’elle est là, elle ne demande que peu d’entretien. De tous les instruments de répression, elle présente le meilleur rapport coût-efficacité. Sa puissance est décuplée quand elle vient surprendre les gens dans la sécurité apparente de leur foyer. Il suffit de l’avoir connue une fois pour qu’elle exerce pour toujours son emprise débilitante ».

Sur le plan personnel, ce témoignage est fort et met en avant qu’il est impossible de déconstruire une identité. Diana Filippova avait un sentiment de honte par rapport à cette violence et à son pays dévasté. Elle avait honte d’être russe. Pourtant, c’était la mauvaise réaction. Il ne faut rien renier et s’affirmer.

« La littérature jaillit d’un ailleurs lointain, elle court à travers les contrées étrangères, villes et campagnes, châteaux et dortoirs, elle bouillonne d’une eau lavée de mille peuples et traditions ; battue par les mains des mères, effervescente encore du babil des enfants, bue et recrachée par des gorges viciées et pures, oisives et travailleuses, elle entraîne avec elle pierres, branches et feuillages d’une autre terre que la nôtre, d’autres vies que la vôtre ».

De l’inconvénient d’être russe – Diana Filippova – Éditions Albin Michel – Août 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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