dimanche 30 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
D’audace et de liberté
Akli Tadjer

 


Quelle joie de retrouver le protagoniste du précédent roman d’Akli Tadjer, Adam, qui, après avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale, est désormais installé à Paris loin de son Algérie natale. Il travaille aux côtés d’Elvire, la fille de son hébergeur parisien pendant la guerre et qui n’est jamais revenu des camps, tout comme Samuel, le compagnon de combat d’Adam. Elvire partage également sa vie mais au fond de son cœur il a laissé une énorme place également pour Zina, l’amour impossible désormais en couple avec un caïd dont elle a eu plusieurs enfants.

Adam continue de rêver à la liberté, à la justice, espère voir l’Algérie revenir indépendante, aide Mohamed, un ouvrier de la tannerie amoureux de la poésie française, à s’améliorer dans l’écriture et l’histoire… Mais un jour Elvire reçoit une lettre sibylline de Samuel : lui et le père de la jeune femme seraient en vie et vivraient à Jérusalem ! Elvire et Adam partent pour Beyrouth, direction les lieux saints. Nouvelle déchirure, tout va encore basculer. Adam repart seul à Paris espérant qu’Elvire reviendra. Peu de temps après, il est nommé officiellement pour s’occuper d’un petit Adam, le fils de Zina.

Comme toujours, Akli Tadjer unie l’histoire des rives de la Méditerranée dans un esprit de réconciliation sans jamais donner de leçons. Juste un regard objectif en rejetant dans l’écriture toute la haine qui a ensanglanté les terres algériennes et françaises. Jamais dans l’excès, chacun des personnages traversent les fils du destin entremêlés par les aléas intimes et l’histoire commune des errances d’un monde bien trop belliqueux. Heureusement, à l’image d’Adam, des êtres solaires ne désespèrent jamais de hisser l’oriflamme de la liberté. Au prix de beaucoup d’audace.

D’audace et de liberté – Akli Tadjer – Éditions Les Escales – Mai 2022

samedi 29 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
La dernière Princesse lombarde
Michel Dessaigne

 


Rien de plus enthousiasmant qu’une lecture instructive ! Avec ce nouveau roman de Michel Dessaigne, aucune déception car il met en lumière une femme italienne exceptionnelle du XI° siècle, Sichelgaita de Salerne, bien trop méconnue.

Elle fut la seconde épouse de Robert Guiscard, un aventurier normand sans scrupule mais qui par la force, la ruse et la vaillance arriva à conquérir l’Italie méridionale face aux Byzantins et aux musulmans tout en posant les premières fondations du futur royaume de Sicile. Un mariage évidemment d’intérêt comme la plupart du temps pendant des siècles ; en épousant cette princesse de Salerne, Robert Guiscard confortait sa position de conquérant et pu répudier sa première femme en faisant annuler le mariage malgré le fils né de cette union.

Émancipée avant l’heure – cela dit nombre de femmes l’ont été au Moyen-Âge – elle a été maintes fois nommée « princesse guerrière » mais ne faisait qu’aider son mari en essayant parfois d’éviter les morts et tortures barbares. Car avant tout, elle savait soigner et prendre soin de son prochain pour avoir été une des élèves de la première école de médecine fondée en Europe, à Salerne précisément et où le sexe féminin y avait toute sa place, d’où l’appellation des « Dames de Salerne ».

Une histoire italienne tracée sur des faits authentiques, mais agrémentée par des dialogues imaginaires, fait de ce roman une lecture passionnante avec l’envie d’en savoir plus sur cette noble dame et le constat, une fois encore, de l’absurdité des conflits et de l’esprit terriblement profane des représentants religieux.

« Pour Gaita, la vraie conquête est celle du beau, de la science et de la raison ».

« Il y a dans tout lieu qu’on aime une attente d’éternité »

La dernière Princesse lombarde – Michel Dessaigne – Éditions Ex Æquo dans la collection Hors Temps créée par Catherine Moisand – Mars 2022

lundi 24 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Rouquine
Stéphane Poirier

 


Une histoire rousse de A à Z. Par la chevelure de Lilou, par le pelage d’un chat vagabond, par les feuilles des arbres en cet automne où Monty a rencontré pour la première fois cette jeune femme qui suivait une route sans avoir où elle allait. Deux êtres cabossés qui se rejoignent vont forcément déclencher des chocs, rallumer des souvenirs et faire apparaître des fantômes. Pourtant Monty est certain que quelque chose va changer pour lui malgré l’incontrôlable Lilou. Indomptable à l’image des chats qu’elle nourrit.

Peu importe où l’action se passe, l’important est cette rencontre inattendue près d’un café pendant que l’un fait ses courses et l’autre se pose quelques instants avant de reprendre sa route. Solitaire dans l’âme, Monty n’a aucun ami et se contente de sa maison aux courants d’air bien qu’il soit artisan dans le bâtiment. Après une rupture difficile, sans travail, Lilou était repartie vivre chez sa mère. Mais cette dernière est la définition même de l’atonie, sa fille s’enfuie sans savoir où son vagabondage la portera. Monty lui propose sa caravane puis, progressivement, les deux êtres vont essayer de s’apprivoiser en ne sachant quelle sera l’issue de cette cohabitation.

Un premier roman sous le signe du charme avec des personnages particulièrement attachants et d’une narration toute simple mais terriblement efficace pour capter l’attention du lecteur et le faire entrer dans cette histoire où coule cette délicieuse lenteur de deux êtres qui tentent de se rapprocher. Quelques passages judicieux sur la solitude et des ronronnements de satisfaction viennent compléter la lecture. Juste un tout un petit bémol : les personnages vident trop souvent leur vessie…

Rouquine – Stéphane Poirier – Éditions Pocket – Septembre 2022

vendredi 21 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Biche
Mona Messine

 


Tout est prêt pour un nouveau combat, pour s’acquérir de nouveaux trophées, pour asseoir sa renommée de meilleur tireur. Chasseurs et rabatteurs sont fiers de leurs futurs actes qui feront d’eux des héros au milieu de leurs vies bien ordinaires. En particulier Gérard qui se considère le meilleur avec son fidèle Olaf. Linda, elle n’est qu’une rabatteuse mais fera tout pour cet homme qui aurait pu être son mari. Et puis il y a Basile, le jeune garçon qui n’a pas le droit de tout faire, tout juste abattre une caille ; il ronge son frein, lui l’amoureux des armes à feu et songe à toutes les tueries qu’il pourrait commettre…

En face la forêt. Magistrale. Oiseaux, écureuils, insectes, tous ont un rôle à jouer. Même le petit Hakim, hérisson de son état. Ceux qui se préparent au pire sont les cerfs et les biches sachant parfaitement qu’ils sont les festins des rois, ou plutôt de ceux qui se réclament rois. Mais une biche va se révolter, elle refuse cette loi des hommes et va faire face à ses agresseurs avec la seule arme qu’elle possède, le courage.

Au milieu de ces deux camps, surgit l’espoir de l’humanité, Alan, le garde-forestier. Sa vie est la forêt et pour rien au monde il la quitterait. Les animaux sont ses compagnons et ils le savent. Pusillanime, sensible, mystérieux. Les autres se moquent de lui. Peu importe, Alan suit sa route, celle de la nature, du cœur, de la vaillance.

L’orage gronde, la tempête va s’abattre, une partie va se jouer…

Superbe premier roman pour Mona Messine qui déploie un éventail de subtilités pour narrer ce conte écologique, loin de tout extrémisme, loin de toute politique. Un hymne à la nature, un pamphlet pour dénoncer les paradoxes et les dénis de la chasse. Un hymne à la non-violence également sous le chant des belles lettres et d’une poésie pastorale par une autrice en vraie bergère des cervidés.

Biche – Mona Messine – Editions des Livres Agités – Août 2022

mardi 18 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Peupler la colline
Cécilia Castelli
 


Romain n’est pas tout à fait un garçon comme les autres. Introverti, il s’enferme dans une carapace que même les insultes et diverses humiliations des autres élèves ne semblent l’atteindre. Sa famille s’inquiète de ses silences, son grand frère le protège comme il peut. Il semble heureux grâce à ses proches et à sa capacité de se créer un monde imaginaire. L’esprit vagabond est son maître. Jusqu’au jour où il disparait lors d’une sortie scolaire vers une colline. Il a neuf ans. Tous le chercheront, certains ne s’en remettront jamais comme son institutrice Madame Drumont. Son frère le cherchera pendant des années jusqu’à la découverte de la vérité aux pieds de cette colline où vécut un couple coupé de tout.

Un roman tragique et qui prend à la gorge. Les pensées affluent. Celles pour les enfants disparus, pour les familles qui ne pourront jamais faire leur deuil de leur trésor, pour les angoisses jusqu’à la tombe… Cécilia Castelli le sait. Alors, elle saisit une plume fantastique pour une ronde imaginaire autour des personnages qui ont connu le petit Romain. Ça tourne et ça retourne. Les mots sont sublimes, le phrasé consolateur. La nature est omniprésente, mirifique par son mystère, violente par la façon dont certains êtres veulent la dominer en se fondant égoïstement en elle.

Avec ce troisième roman Cécilia Castelli se rapproche de ce superbe sommet formé par la chaîne des vocables et le relief des sentiments qui se nomme littérature.

« Sentant dans sa main les doigts fins de la petite Lucie, Antoine Cauchon n’eut plus de doute. Il n’avait pas choisi le métier d’instituteur par hasard. Il voulait sauver ces enfants, à défaut de s’être sauvé lui-même. Il voulait les mener le plus loin possible. Leur dire, quoi qu’il arrive, de ne jamais s’arrêter en route ».

Peupler la colline – Cécilia Castelli – Éditions Le Passage – Août 2022

 

 

lundi 17 octobre 2022

 

Une noisette, un prix
 
Le duel des grands-mères de Diadié Dembélé
Prix littéraire de la vocation 2022
 

Un parfum d’Afrique, plus précisément du Mali, a soufflé sur les terrasses de Publicis des Champs-Elysées le 21 septembre 2022 quand Christophe Ono-Dit-Biot a annoncé le lauréat du prix de la vocation : Diadié Dembélé, pour son premier roman « Le duel des grands-mères » Un immense sourire s’est dessiné sur le visage de l’heureux élu et il le pouvait car la concurrence était rude avec les deux autres  finalistes – Diane Château Alaberdina pour Paysages de nuit et Corentin Durand pour « L’inclinaison » - de ce prix littéraire créé en 1976 par Marcel Bleustein-Blanchet, la fondation existant depuis 1959.

Un Arc de triomphe pour Diadié Dembélé ©Squirelito 

« Le duel des grands-mères » est un savoureux roman où l’auteur s’est fondu dans le personnage principal pour raconter avec brio son expérience dans un pays où se chevauchent une abondance de langues. Voyez par vous-mêmes : songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof, bwa. Sans oublier le français comme langue officielle. Le petit Hamet va quitter Bamako et sa mère pour apprendre la vie et rentrer dans le droit chemin. Deux grands-mères vont s’affronter – même s’il faut un peu de patience pour découvrir la seconde et comprendre tout le message du roman – et va se faire une joie de nous narrer ses aventures avec une charmante espièglerie et un véritable tour de force linguistique en mariant les belles lettres françaises aux uniques métaphores et mots chantants de la culture africaine. Même si d’aucuns n’ont jamais mis un seul pied sur ce berceau de l’humanité, ils peuvent aisément s’imaginer y être.

Diadié Dembélé est né au Mali, à Kaoré, aux frontières avec la Mauritanie. Diplômé du Master de création littéraire Paris VIII°. Il œuvre au sein d’une association en aide aux migrants comme interprète. Retenez bien ce nom car une petite noisette me dit qu’une très belle carrière se profile. Saziké !

Erick Orsenna et Diadié Dembélé © Fondation de la Vocation


Vidéo de la remise du prix è https://www.web-tv-culture.com/emission/2022-53448.html

Le duel des grands-mères – Diadié Dembélé – Éditions JC Lattès – Janvier 2022


La remise du prix avec l'ensemble du jury ©Fondation de la Vocation 


vendredi 14 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Trois sœurs
Laura Poggioli

 


Voilà un livre fort intéressant qui dépeint la violence domestique en Russie en toute objectivité puisque l’autrice est tombée amoureuse de cet immense pays ô combien riche de culture et de littérature ; on pense évidemment à la pièce d’Anton Tchekhov « Les Trois sœurs ». Là, ce ne sont plus Macha, Olga et Irina, ni Ottilia, Margarita et Evelina et ce ne sont pas que des rêves brisés ; ce sont les corps, ceux de Krestina, Angelina et Maria, corps brisés par les coups, les viols, cerveaux anéantis par les cris, les injures, les humiliations, yeux horrifiés par les scènes insoutenables qui concernaient aussi leur mère Aurelia. En 2018, à bout, les filles âgées respectivement de dix-neuf, dix-huit et dix-sept ans vont tuer leur père du nom de Khatchatourian. Ce n’est pas une fiction, les personnes et les faits sont réels et le procès a enflammé le pays entre les défenseurs des jeunes filles et les partisans du père.

Laura Poggioli connait la Russie depuis l’adolescence et retournait régulièrement dans ce pays pour qui elle a un amour infini, c’est en Russie qu’elle s’est épanouie, c’est en Russie qu’elle a appris à vivre. Pourtant, elle est consciente des immenses faiblesses du pays, du manque de justice, de la violence des hommes – elle-même victime d’un compagnon devenu incontrôlable, de l’aveuglement des autorités, de l’absence de protection pour les victimes et du poids du passé bolchevique où tout était interdit, où la promiscuité était légion. Long chemin qui reste à parcourir, la femme est considérée comme égale avec l’homme depuis des décennies et pourtant ses droits sont très limités.  Un proverbe qui dit « s’il te bat, c’est qu’il t’aime » en dit long.

L’autrice mêle le récit à son histoire personnel ce qui peut sembler déplacé. Pourtant, au fur et à mesure, elle ne fait qu’ajouter une plus-value en s’immisçant complètement dans ce terrible parcours de vie en décrivant ce qu’ont subi ces trois sœurs et d’autres femmes. Avec la plupart du temps l’impunité pour ces criminels des familles. Cet ouvrage est tout sauf un roman – pourquoi l’annoncer comme tel – mais ça ne lui enlève strictement rien de son intérêt et surtout de son immense utilité.

Trois sœurs – Laura Poggioli – Editions L’Iconoclaste – Août 2022

Livre lu en tant qu'ambassadeur du #prixorangedulivre en remerciant @lecteurs_com et Françoise Fernandes

jeudi 13 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les Chroniques de Bond Street
M.C. Beaton

 


L’autrice d’Agatha Raisin ne sévit pas que dans le monde des détectives privés, elle sait également briller avec maestria dans le roman léger à tendance historique pour le plus grand plaisir de ses nombreux lecteurs. Le deuxième tome est dorénavant disponible en France et on se pourlèche les neurones de lire ces brèves histoires remplies de fantaisies et de délicieux divins mensonges.

Pour rappel, l’hôtel Au Parent pauvre situé à Bond Street est un établissement géré par des aristocrates au blason bien usé et qui ont décidé de se réunir pour faire du commerce et tenter de gagner leur vie dignement…enfin presque puisque le « capital » provient de petits larcins dont Sir Philip est le premier à les imaginer. Justement, il envoie l’associée Mrs Budley au domaine d’un vieux marquis sourd et passablement aveugle pour qu’elle lui « emprunte » quelques objets de valeur. Sauf, que le vieux marquis n’est plus et à la grande surprise de Mrs Budley, un élégant jeune homme l’accueille.

M.C. Beaton nous entrainera ensuite dans une histoire tout aussi croustillante avec la plupart des mêmes protagonistes mais avec un comte au lieu d’un marquis, la dulcinée de Sir Philip, une mère et sa fille qui n’ont qu’une idée en tête : séduire le beau Lord Denby. Une sauce très Bristish mais véritable satyre de cette époque de régence anglaise où les dames n’avaient pas leur pareil pour rivaliser entre elles et composer de jolis tacles et où les messieurs n’avaient souvent qu’une danseuse pour valser dans leur esprit (et dans une autre partie du corps évidemment).

Littérature anti-morosité avec sourires garantis.

Les Chroniques de Bond Street – M.C.Beaton – Traductions : Mathilde Despiau et Florence Schneider – Éditions Albin Michel – Septembre 2022

mercredi 12 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les Sacrifiés
Sylvie Le Bihan
 


L’histoire de deux êtres qui auraient dû s’aimer, qui auraient pu s’aimer. La déchirure des guerres en a décidé autrement. Un roman dans la pure tradition andalouse, passion et tragédie.

Juan Ortega n’est encore qu’un adolescent lorsqu’il quitte sa famille pour accompagner, en tant que cuisinier, Ignacio un célèbre torero. Malgré la déchirure de se séparer de son Andalousie et de ses racines gitanes, il s’enivre d’un souffle nouveau dans la capitale espagnole, découvre un nouveau monde et s’amourache en silence de la Argentina, danseuse de flamenco répondant au lumineux prénom d’Encarnacion. Seulement, le continent européen est volcanique, des mouvements des plaques belliqueuses secouent progressivement les nations de l’Atlantique à l’Oural. En Espagne Franco affine son plan de bataille pendant que les Républicains vont tenter de s’engager dans une lutte perdue d’avance.

Juan va mûrir dans les braises d’un pays en feu, partagé entre le désir de s’affirmer, d’aimer et la souffrance de perdre des êtres chers, à commencer par Federico Garcia Lorca, sauvagement assassiné pour avoir préféré la poésie à la soumission politique, pour avoir aimé un homme plutôt qu’une femme. La criminalité de l’intolérance…

Sylvie Le Bihan signe un roman aussi magnifique que tragique, emporte le lecteur dans cette Espagne aux mille fragrances qui s’entrechoquent comme les rythmes du flamenco, laissant apparaître des êtres solaires mais qui finissent par se brûler dans les affres du pandémonium terrestre, celui où les hommes ne savent pas s’unir pour porter la vie comme elle devrait l’être dans son unicité.

L’autrice a le don de ne pas mettre l’histoire au service des personnages mais, au contraire, de placer des personnages pour faire ressortir ce passé, un passé encore très présent dans l’Espagne contemporaine et qui se doit d’être transmis pour rendre hommage à ceux qui sont tombés et pour éviter qu'à l'avenir d’autres subissent le même destin.

Les Sacrifiés – Sylvie Le Bihan – Éditions Denoël – Août 2022

dimanche 9 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
D’Anvers est contre tous
Julien Cridelause

 


L’histoire de David d’Anvers, gardien de vieux livres, est quasi inénarrable tant c’est un méli-mélo avec un ensemble pourtant bien ordonné. Tout débute par une crise intime du couple lorsque les soudaines velléités de Monsieur semblent retomber comme un soufflé mal préparé lui faisant croire que Madame veut le trucider. Épouse qui ne jure que par le véganisme et qui travaille dans une unité de fin de vie. S’ajoutent une fille boulimique et un gendre hors genre, une mère avec raison égarée mais qui sait retrouver du piquant avec son voisin de chambre dans son Ehpad et un père mort mais pas forcément décédé.

Un roman en forme de tour de piste qui mènera le lecteur jusqu’à Hô Chi Minh et qui a une marque rare de nos jours, celle du non politiquement correct. Julien Cridelause se moque de tout mais avec, en réalité, une grande tendresse pour ceux qui refusent le formatage et les chemins tracés. C’est ainsi que notre David va sortir de sa normalité et se fait une joie de narrer ces déambulations humaines par un récit qui peut à la fois friser un Eugène Ionesco pour les séquences absurdes et un Frédéric Dard pour le grincement des zygomatiques.

Corrosif, subtil, déjanté, drôle avec moult références presque glissées en subliminal – comme l’Enfer de Dante pour l’entrée dans la maison de retraite – un roman en forme d’antidote à la morosité. Et puis, ce David d’Anvers ne peut qu’être sympathique puisqu’il engueule poliment les conducteurs de trottinettes !

D’Anvers est contre tous – Julien Cridelause – Editions Héloïse d’Ormesson – Août 2022

 

 

mardi 4 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Une année sur la route
Samuel Adrien

 


Voyager ou ne pas voyager ? Partir ou rester ? Telles sont les questions que se posent Samuel Adrian avec son compagnon de route Xavier. Pourtant et dans des conditions qui sont loin d’être luxueuses, ils vont parcourir le monde traversant l’Europe, allant au Japon depuis la Russie pour rejoindre le continent américain du nord au sud. À pied, en voiture, en vélo, seul le cheval manque à l’appel. De cette épopée, beaucoup de rencontres qui mettent de la chaleur dans les froides déceptions de l’aventure, paysages et villes baignant de plus en plus dans une uniformité confondante. On ne voit plus l’homme tellement il se barricade dans du béton et ne s’infiltre dans cette nature qui ne fait plus partie de lui que s’il s’est équipé de slogans publicitaires ou d' injonctions administratives. Nonobstant, « pour voir enfin ce qu’on a sous les yeux, il faut parfois se mettre en marche », savoir observer le long de sa route pour devenir attentif à  la beauté du monde , à la fougère et à la rose.

Loin de ces récits de voyage insipides qui ne donnent même pas l’envie de prendre un baluchon, Samuel Adrien raconte sans le moindre maquillage verbal son parcours fait de hauts et de bas – et pas seulement lors des ascensions en montagne – avec humour et maintes réflexions à commencer par le doute de s’évader par le truchement de Simone de Beauvoir lors d’un dialogue entre Pyrrhus et Cinéas.

En parlant de Pyrrhus, le livre débute par des déambulations à Verdun, lieu de mémoire et de sang, qui inspirent notre voyageur hors norme sur la notion de héros et de patriotisme. Voyez par vous-mêmes « Verdun portait en elle toute l’ambigüité de la guerre industrielle, où la valeur de l’homme ne compte pour rien face à la puissance des machines. Admirable courage, et dérisoire. Que vaut un héros de soixante-quinze kilos face à un obus du même poids ? Homère parle des « guerres qui donnent gloire aux hommes ». Cette guerre-là fait perdre au mot « gloire » tout rayonnement. C’est un siècle triste et mesquin, celui où l’emploi des mots « sacrifice », « gloire », « patrie » vous fait passer pour grandiloquent ».

Si les pays finissent par être uniformes, chaque rencontre avec l’autre devient unique. Comme avec Andrés qui a travaillé six ans au Canada dans une entreprise de production de viande où il abattait treize mille cochons par jour. Épuisé, il rentra au Honduras. Samuel Adrian part dans de longues pensées pour condamner ce que le consommateur refuse de voir ou d’admettre : « Andrès travaillait avec des Chinois, Des Éthiopiens, des centre-Américains, des Ukrainiens, des Polonais, mélange inimaginable de gens poussés par le besoin, parlant entre eux un sabir incompréhensible. J’avais là une image réduite du capitalisme : une main-d’œuvre pauvre et reconnaissante, trop composite pour former corps, habituée par une longue accoutumance à ne jamais trop exiger de ses supérieurs. Des porcs engraissés en six mois à grand renfort d’hormones, produits selon des plans de rentabilité prévus de longue date. Des superviseurs, petits chefs sélectionnés parmi les immigrés, ravis d’avoir gravi un échelon et d’échapper à des conditions de travail abrutissantes. Enfin, les directeurs invisibles, intouchables. D’un côté, des consommateurs gavés de plaisir et asservis à la publicité. De l’autre, des bêtes de somme. On ne croit pas à la souffrance, parce qu’on ne la voit pas. On ne la voit pas, parce qu’on la dissimule ».

Se suivent de l’inattendu, du lourd et du léger, des discussions hors du temps, des rencontres qui offrent à nos deux vagabonds du répit dans leurs âmes parfois malmenées ainsi que moults cailloux sortis d’un bloc philosophe et qui construisent épatamment le récit. Sans oublier une inénarrable poésie comme cette dégustation d’une mangue en un fruit de l’amour.

Un voyage extérieur pour parcourir l’intérieur de soi-même et de ceux que nous rencontrons.

« Quand l’État a besoin de guerriers, il enivre ses citoyens des mots de « devoir » et de « gloire ». Quand il a besoin de consommateurs, il laisse la publicité leur pourrir le crâne. Dans la guerre comme dans la paix, je ne vois que la misère de l’homme à l’ère des masses, mouton toujours plus docile, vulnérable à toutes les propagandes, se réclamant d’une Liberté dont il n’est plus capable ».

« Il n’y a pas meilleure façon de se montrer indigne des exemples du passé que de pleurnicher sur le présent ».

« Ce qui est désarmant avec les doctrinaires, comme avec les imbéciles » c’est qu’ils sont toujours de bonne foi ».

« Le monumental est à l’architecture ce que le culturisme est au corps : une perversion pathologique du goût ».

« Quiconque a conscience du don immérité de la vie ne peut en jouir tout à fait tranquillement. Il lui faut aimer et rendre un peu de ce miracle ».

« Il n’y a pas de plus sûre façon d’assujettir un peuple que de supprimer sa mémoire et sa langue. Un pays amnésique peut grandir, il ne peut pas mûrir. N’ayant plus de souvenirs, il n’y a plus de présent. Il n’a qu’un quotidien, un jour-le-jour, et tous les mirages de l’avenir, et toutes les séductions de l’utopie ».

« Qu’il est bon de cueillir le plaisir, quand le désir est mûr ».

« S’émerveiller d’un écureuil, c’est se réfugier dans l’intemporel ».

Une année sur la route – Samuel Adrian – Éditions des Équateurs – Avril 2022

  Noisette spectrale   Fantômes Yokai Philippe Charlier   Philippe Charlier est l’homme qui, en fouillant les ténèbres, fait jaillir...