mardi 4 octobre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Une année sur la route
Samuel Adrien

 


Voyager ou ne pas voyager ? Partir ou rester ? Telles sont les questions que se posent Samuel Adrian avec son compagnon de route Xavier. Pourtant et dans des conditions qui sont loin d’être luxueuses, ils vont parcourir le monde traversant l’Europe, allant au Japon depuis la Russie pour rejoindre le continent américain du nord au sud. À pied, en voiture, en vélo, seul le cheval manque à l’appel. De cette épopée, beaucoup de rencontres qui mettent de la chaleur dans les froides déceptions de l’aventure, paysages et villes baignant de plus en plus dans une uniformité confondante. On ne voit plus l’homme tellement il se barricade dans du béton et ne s’infiltre dans cette nature qui ne fait plus partie de lui que s’il s’est équipé de slogans publicitaires ou d' injonctions administratives. Nonobstant, « pour voir enfin ce qu’on a sous les yeux, il faut parfois se mettre en marche », savoir observer le long de sa route pour devenir attentif à  la beauté du monde , à la fougère et à la rose.

Loin de ces récits de voyage insipides qui ne donnent même pas l’envie de prendre un baluchon, Samuel Adrien raconte sans le moindre maquillage verbal son parcours fait de hauts et de bas – et pas seulement lors des ascensions en montagne – avec humour et maintes réflexions à commencer par le doute de s’évader par le truchement de Simone de Beauvoir lors d’un dialogue entre Pyrrhus et Cinéas.

En parlant de Pyrrhus, le livre débute par des déambulations à Verdun, lieu de mémoire et de sang, qui inspirent notre voyageur hors norme sur la notion de héros et de patriotisme. Voyez par vous-mêmes « Verdun portait en elle toute l’ambigüité de la guerre industrielle, où la valeur de l’homme ne compte pour rien face à la puissance des machines. Admirable courage, et dérisoire. Que vaut un héros de soixante-quinze kilos face à un obus du même poids ? Homère parle des « guerres qui donnent gloire aux hommes ». Cette guerre-là fait perdre au mot « gloire » tout rayonnement. C’est un siècle triste et mesquin, celui où l’emploi des mots « sacrifice », « gloire », « patrie » vous fait passer pour grandiloquent ».

Si les pays finissent par être uniformes, chaque rencontre avec l’autre devient unique. Comme avec Andrés qui a travaillé six ans au Canada dans une entreprise de production de viande où il abattait treize mille cochons par jour. Épuisé, il rentra au Honduras. Samuel Adrian part dans de longues pensées pour condamner ce que le consommateur refuse de voir ou d’admettre : « Andrès travaillait avec des Chinois, Des Éthiopiens, des centre-Américains, des Ukrainiens, des Polonais, mélange inimaginable de gens poussés par le besoin, parlant entre eux un sabir incompréhensible. J’avais là une image réduite du capitalisme : une main-d’œuvre pauvre et reconnaissante, trop composite pour former corps, habituée par une longue accoutumance à ne jamais trop exiger de ses supérieurs. Des porcs engraissés en six mois à grand renfort d’hormones, produits selon des plans de rentabilité prévus de longue date. Des superviseurs, petits chefs sélectionnés parmi les immigrés, ravis d’avoir gravi un échelon et d’échapper à des conditions de travail abrutissantes. Enfin, les directeurs invisibles, intouchables. D’un côté, des consommateurs gavés de plaisir et asservis à la publicité. De l’autre, des bêtes de somme. On ne croit pas à la souffrance, parce qu’on ne la voit pas. On ne la voit pas, parce qu’on la dissimule ».

Se suivent de l’inattendu, du lourd et du léger, des discussions hors du temps, des rencontres qui offrent à nos deux vagabonds du répit dans leurs âmes parfois malmenées ainsi que moults cailloux sortis d’un bloc philosophe et qui construisent épatamment le récit. Sans oublier une inénarrable poésie comme cette dégustation d’une mangue en un fruit de l’amour.

Un voyage extérieur pour parcourir l’intérieur de soi-même et de ceux que nous rencontrons.

« Quand l’État a besoin de guerriers, il enivre ses citoyens des mots de « devoir » et de « gloire ». Quand il a besoin de consommateurs, il laisse la publicité leur pourrir le crâne. Dans la guerre comme dans la paix, je ne vois que la misère de l’homme à l’ère des masses, mouton toujours plus docile, vulnérable à toutes les propagandes, se réclamant d’une Liberté dont il n’est plus capable ».

« Il n’y a pas meilleure façon de se montrer indigne des exemples du passé que de pleurnicher sur le présent ».

« Ce qui est désarmant avec les doctrinaires, comme avec les imbéciles » c’est qu’ils sont toujours de bonne foi ».

« Le monumental est à l’architecture ce que le culturisme est au corps : une perversion pathologique du goût ».

« Quiconque a conscience du don immérité de la vie ne peut en jouir tout à fait tranquillement. Il lui faut aimer et rendre un peu de ce miracle ».

« Il n’y a pas de plus sûre façon d’assujettir un peuple que de supprimer sa mémoire et sa langue. Un pays amnésique peut grandir, il ne peut pas mûrir. N’ayant plus de souvenirs, il n’y a plus de présent. Il n’a qu’un quotidien, un jour-le-jour, et tous les mirages de l’avenir, et toutes les séductions de l’utopie ».

« Qu’il est bon de cueillir le plaisir, quand le désir est mûr ».

« S’émerveiller d’un écureuil, c’est se réfugier dans l’intemporel ».

Une année sur la route – Samuel Adrian – Éditions des Équateurs – Avril 2022

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