Une
noisette, un livre
Freshkills,
recycler la terre
Lucie
Taiëb
Lucie
Taïeb découvre l’existence de Freshkills à New York en lisant le best-seller de
Don de Lillo « Outremonde », roman polyphonique où il est question de
l’enfouissement des déchets. L’autrice et traductrice est donc partie sur la
côte Est des États-Unis pour constater de près ce que fut cette ancienne
décharge où la puanteur régnait en maître jusqu’à sa reconversion en cours pour
créer un parc au-dessus de la décharge réhabilitée. Tout sera beau, propre avec
fleurs et petits oiseaux. Est-ce pour autant que la gestion des déchets sera
résolue ? Non. Est-ce un moyen pour lutter globalement contre le surplus
d’ordures ? Non. Masquer ce n’est pas solutionner, cacher ce n’est pas
soigner.
Même si je ne suis pas toujours en phase avec Lucie Taïeb, ce récit en forme d’essai à l’immense mérite de démontrer simplement le cycle infernal de ce que nous rejetons chaque jour dans nos poubelles – pour les plus consciencieux – et de tenter de soulever la question sur le paradoxe entre vouloir nettoyer et encourager l’amoncellement des détritus. Que la maîtrise de la pollution n’est pas qu’une responsabilité individuelle, elle est principalement une responsabilité collective et encore plus de la part des gros pollueurs. Car tout n’est pas recyclé, restent les 98% de déchets produits par les grosses industries et la pollution invisible, à commencer par l’extraction des matières premières.
Un ouvrage court mais qui en dit long.
« Freshkills n’est pas une métaphore. C’est un épicentre. La grande négativité, le grand vide qui nous submerge, la vacuité, la vanité sans fin de nos existences protégées viennent de Freshkills et se propagent, comme une onde invisible, à l’infini, sur le territoire lisse et policé de la ville normalisée. Tout s’organise soudain et tout fait sens, comme une ligne, comme un fil rouge qui vient ceindre notre cou et serre : l’enfance quadrillée, surprotégée, domestiquée, l’exploitation d’une zone naturelle hybride, instable, impropre à tout, la destruction de toute vie sauvage, du braconnage et des flâneries sans but, la négation de l’ordure comme fragment organique, dynamique et en perpétuelle métamorphose, l’avènement d’un espace de loisir conforme, en attendant le retour des promoteurs, et à la récréation simulée d’un paysage à l’identique, mais sans errance, sans déviance, sans liberté – cela fait sens, et même système ».
Lucie Taiëb – Freshkills, recycler la terre – Editions Pocket – Avril 2022
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