dimanche 11 septembre 2022

 

Une noisette, un livre
 
Tropicale tristesse
Jean-Baptiste Maudet

 


« Je voudrais avoir vécu au temps des vrais voyages, quand s’offrait dans toute sa splendeur un spectacle non encore gâché, contaminé et maudit »

Claude Lévi-Strauss

Jeanne Beaulieu s’inspire de l’auteur de « Tristes tropiques » pour partir au Brésil retrouver un indien yanomani en forêt amazonienne qu’elle a vu une fois lors d’un reportage à la télé. Année sabbatique en poche elle s’arme de courage pour prendre l’avion et atterrir à Sao Paulo. Très peu de bagage, juste l’envie de découvrir ce pays en espérant y trouver quelque chose de différent. Elle achète à un bouquiniste local un exemplaire du livre de Claude Lévi-Strauss et à sa grande surprise elle y trouve en parallèle une histoire d’amour inachevée. Celle de Paul et Claudia qui débute à Séville en 1992 – le lieu et la date ne sont pas anodins – pour s’achever sans aucune explication quelques mois plus tard. Des mots, des lettres, des croquis glissés dans le texte légendaire de l’anthropologue. Une double quête va se glisser dans les neurones de Jeanne en remontant le fleuve le plus célèbre du monde. Au fil de l’eau, des rencontres improbables, des personnages hauts en couleur à commencer par Big James.

Jean-Baptiste Maudet s’est glissé dans la peau d’une femme pour remonter le temps de Claude Lévi-Strauss sans jamais quitter le XXI° siècle. Prestidigitation. Non. Le talent, simplement. Et beaucoup de travail. Qui est cette femme qui s’aventure pour probablement faire un point sur son existence. Et tenter d’attraper des morceaux de liberté ? Une amazone ? Je la vois plutôt en Micaela : une apparence fragile, naïve mais qui pourtant n’hésite pas à s’engouffrer seule dans la jungle forestière ou affronter une famille corrompue jusqu’à la moëlle dans la jungle mercantile.

À travers la voie du roman, l’écrivain empreinte de nombreuses routes pour relater – sans en avoir l’air – une partie de l’histoire du Brésil, de l’époque de la fièvre du caoutchouc jusqu’aux dernières déforestations. Faits et gestes dans l’ombre de Lévi-Strauss mais aussi des Conrad, Casement, Ferreira de Castro…

Sans emphase, ce roman est un joyau, tant pour la qualité de l’intrigue que pour tous les ingrédients sémantiques, géographiques et historiques qui ont permis sa construction.

« Tropicale tristesse » ou l’art de la plume. Celle de toutes les couleurs.

« Il n’y a pas de littérature sans danse de la pluie »

« Pour tout vous dire, j’ai envie d’aller vérifier plutôt que d’écouter ceux qui savent toujours mieux que moi ce qu’il faut faire, ce à quoi il faut croire, ce qui est dangereux, ce qui ne l’est pas. J’en ai assez qu’on me parle comme ça ».

« Pourquoi ne pas laisser les mélodies d’oiseaux être des mélodies d’oiseaux ? Préservons-les parce qu’il serait insupportable que tant de beauté disparaisse et non parce que nous croyons voir en elles ce que nous sommes. Je déteste tout autant les discours qui nous poussent à persévérer dans la destruction de notre planète que les lubies accusatrices qui nous invitent à croie aux anges démagogues ».

Tropicale tristesse – Jean-Baptiste Maudet – Éditions Le Passage – Août 2022

Livre lu pour le Prix Blu Jean-Marc Roberts 2022

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