mardi 30 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
La belle histoire des cathédrales
Alain Billard

 


« J’allai voir la cathédrale, vaisseau gothique à nef élevée. Les bas côtés se partagent en deux voutes étroites soutenues par un seul range de piliers, de manière que l’édifice intérieur tient à la fois de la cathédrale et de la basilique »François-René de Chateaubriand

Qui n’a pas succombé au mystère, à la grandeur de ces édifices religieux ? Qui n’a pas ressenti quelque chose d’inexplicable en admirant des siècles d’histoire et d’architecture ? Qui n’a pas eu envie de caresser ces piliers de pierre pour une communion de l’âme avec l’invisible ? Que l’on croit au ciel ou que l’on n’y croit pas.

Ce beau livre, richement illustré par des photos à couper le souffle, incarne parfaitement cette grandeur et retrace la longue route architecturale depuis la naissance des cathédrales en 315 lors de l’édit de Milan en 313 par Constantin Ier lors de sa conversion au christianisme, jusqu’à nos jours.

Façonné par ordre chronologique, Alain Billard commence, en toute logique, par les fondations, à savoir l’an 15 quand les Romains édifient des  basiliques civiques, basilique signifiant étymologiquement « salle du roi » et déjà imaginée par les Grecs. Puis, les constructions chrétiennes sortent progressivement de terre, au Proche-Orient puis à Rome avec Saint-Pierre du Vatican, qui verra moult transformations par la suite. Jusqu’au tournant de l’an 1000, les inspirations sont diverses, ottonienne, byzantine et c’est l’art roman qui commence son ascension pour laisser progressivement la place, au douzième siècle, à l’art gothique qui passera du classique au flamboyant, bien que la Renaissance apporte un retour à l’antique avec le néoclassique et qui fait que le gothique reste rare dans la péninsule italienne. De la pierre pour les murs et du bois pour la charpente vont laisser leur place à d’autre matériaux à l’approche du vingtième siècle et la Sagrada Familia de Barcelone, toujours inachevée, est la dernière cathédrale en pierre.

Entre chaque période, l’architecte met en valeur par un zoom, les spécificités de l’art religieux sans oublier le plus important de tout, le rôle de l’homme et de ses métiers. Et qui dit cathédrale dit, hélas, aussi drame. Combien, au fil des siècles, se sont écroulées, soit par des défauts de construction, soit par l’usure du temps, ou ont été détruites par les flammes ou la main de l’homme lors des révolutions et des guerres. Les cathédrales ont, par leur beauté et leurs épreuves, quelque chose de vivant.

Un glossaire clôt l’ouvrage, précieux et ô combien utile car de quoi se perdre dans les termes techniques, et, quelques plans pour mieux comprendre l’évolution du transept.

De l’Arménie à l’Angleterre, de l’Europe à l’Afrique en passant par l’Amérique Latine, c’est un petit tour du monde en 320 pages même si, forcément, une très large place –oserais-je dire parvis – est consacrée à nos monuments religieux français avec quelques trésors que l’on aimerait tant admirer en vrai.

La belle histoire des cathédrales – Alain Billard – Editions De Boeck Sup et Adapt Snes – Octobre 2021

Remerciements à BABELIO pour m’avoir permis de découvrir ce beau livre grâce à l’invitation d’une Masse critique privilégiée.

 

 

samedi 27 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Montagnes humaines
Jean-Christophe Rufin  avec Fabrice Lardreau


 

Le titre est à lui seul l’oreille qui a écouté Jean-Christophe Rufin répondre aux questions de Fabrice Lardreau : des roches assimilées à tout ce qu’il y a de plus vivant et une humanité s’érigeant dans les hautes sphères de la bienveillance sur les parois de la liberté, de l’amitié, de la solidarité. Sans oublier celle de l’authenticité, la vraie, pas celle utilisée à des fins publicitaires, celle à l’image de ceux qui côtoient la montagne, l’affrontent, tentent de l’adopter ; franchise du geste, véracité de la conviction, sincérité des paroles.

Curieusement les relations entre l’écrivain et la montagne n’ont pas débuté sous les meilleures auspices : enfant, il s’est retrouvé momentanément éloigné de sa famille, au cœur de la montagne suisse où Zeus avait lancé son foudre contre les parois des Alpes. Depuis la crainte de l’orage est restée – ça me parle énormément puisque pour votre serviteur c’est le contraire qui s’est produit.  Mais le défi d’apprivoiser la bête rocheuse s’est ancré au plus profond de Jean-Christophe Rufin dans un souci du respect des éléments et dans la satisfaction de se hisser sur les hauteurs de la liberté.

L’académicien raconte sa conception de l’alpinisme – ni militaire, ni hippie mais avec cette soif de faire corps avec la montagne, de sortir de sa zone de confort tout en étant conscient de ses dangers – et plus globalement sa vision sur la nature, l’écologie ; ô combien on ne peut séparer les éléments sur terre et surtout les opposer. Si l’homme est responsable des maux de la terre, c’est également ce même homme qui pourra apporter des solutions.

Si la montagne est évidemment le socle de ce livre, d’autres lieux sont évoqués, notamment le Berry et ses cieux  qui imitent les sommets, et,  diverses réflexions escaladent les paragraphes en fixant  bien consciencieusement les pitons sur les falaises de la nuance ; Rufin abomine les idéologies extrêmes, les combats soi-disant pour le bien qui mènent paradoxalement à la violence. Celui qui met toujours en fiction des personnages solaires aime la réalité de la lumière, préfère avancer que reculer, construire que détruire, allumer toute source de vie plutôt que d’enfermer les âmes dans des couloirs crépusculaires.

Avec toute l’humilité qu’on lui connaît, Jean-Christophe Rufin refuse de se considérer comme un grand alpiniste. Pourtant il ouvre des voies sur les versants de notre société, en réchauffant l’ubac et en apportant de la fraîcheur vers l’adret ; une façon de soigner par les mots ce qui engendre les maux.

« Le Berry revendique sa platitude, dans la mesure où les reliefs se trouvent dans le ciel et des nuages qui accompagnent la vie quotidienne quasiment comme des massifs montagneux. Je me souviens que mon père, très attaché à cette région dont il n’était pourtant pas originaire, aimait se promener en voiture, le dimanche, le coude sur la portière, pour le seul plaisir de regarder le ciel… Il est vrai qu’en Berry, c’est un spectacle en soi. Les ciels de la Champagne berrichonne, mouvants et éphémères, sont particulièrement propices à la rêverie, car rien en fait obstacle à leur contemplation ».

« Je déteste détruire, je déteste ce qui se casse, s’abîme, J’aime essayer de réparer, de redonner aux choses leur forme (…) En médecine, quand un malade va mieux, je ressens une joie profonde, sincère, existentielle ».

« L’alpinisme est un sport individuel qui se pratique au moins à deux ».

« L’amitié, le véritable compagnonnage de cordée ajoute une dimension à l’alpinisme ».

« Je trouve curieux ce besoin qu’ont les « calmes » de chercher à convertir les « agités ».

« L’écologie pour moi ne peut être qu’un humanisme. Je ne peux concevoir la Nature sans l’être humain et ce que je souhaite, c’est une harmonie entre les deux. Ce point d’équilibre entre l’humanité et la montagne a été rompu. Doublement rompu. D’abord en haute montagne où l’activité humaine provoque la fonte des glaciers, l’écoulement des parois, puis en moyenne montagne à cause de la crise agricole. Dans d’autres pays comme la Suisse, les montagnes sont restées beaucoup plus claires, car les paysans sont payés pour les entretenir. Ils sont des producteurs, mais aussi des paysagistes, des protecteurs des espaces naturels. La France n’a eu aucune politique volontariste sur ce sujet ».

« Je me suis toujours intéressé, en tant que citoyen et romancier, aux dérives radicales du « Bien » : toutes les idéologies du Bien, politiques, écologiques, humanitaires, peuvent dévier vers le totalitarisme et le meurtre. On ne comprend pas les phénomènes totalitaires si on ne voit pas qu’ils procèdent toujours d’une volonté de faire le Bien. La « pureté dangereuse » d’un Saint-Just est d’abord une révolte contre certaines injustices et elle finit par en produire d’autres. Des millions de gens se sont retrouvés sous la guillotine ou dans des camps à cause d’idéologies a priori bienveillantes. L’écologie n’est pas exempte de ces risques de dérive ».

Des drames, des tragédies surviennent parfois en montagne. Le drame y existe (hélas), mais le mélodrame n’y a pas sa place. On ne tolère pas les faux-semblants dans ce milieu qui décape les sentiments, évacue tout ce qui est faux, que ce soit les gens qui se vantent d’avoir fait tel ou tel sommet et sont confrontés à la performance réelle, ou les pseudo-souffrances, les bobos sans conséquence : tout cela vole en éclats face à la réalité de la montagne ! ».

Montagnes humaines – Jean-Christophe Rufin – Entretiens avec Fabrice Lardreau – Editions Arthaud – Collection Versant intime – Octobre 2021

Note : Quatre lectures montagnardes sont conseillées dans ce livre avec une critique de Jean-Christophe Rufin, suivie d’un court extrait. Elles seront évoquées, dans quelques semaines,  lors d’une autre chronique sur le blog.

jeudi 25 novembre 2021

 

La noisette de… Marlène Goud
 
A nous la terre !
Ouvrage collectif au profit de WWF France

 

 

Photo © Marlène Goud

J’ai chroniqué ce recueil de nouvelles ICI sur le blog. Depuis, j’ai reçu un courriel de ma collègue du Prix Orange 2019 qui m’a énormément touchée. Son ressenti, ses mots offrent un retour de lecture excessivement sensible. Il m’était donc impossible de ne pas l’accueillir dans mon domaine arboricole.

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Beaucoup de textes sont liés aux émotions d'enfance, nous construisons tellement de choses à cette période et en si peu de temps, nos rêves et nos vécus d'enfant nous accompagnent toute notre vie.

J'ai été très touchée par le texte de Catherine Cusset, par sa description de cette plage, ce rapport aux vagues, à cette forme de jouissance qu'elles procurent quand elles nous enveloppent, je retrouve cette sensation lors de mes longes côte. Alors ses mots ont fait écho.

Le texte de Jean-Christophe Rufin, m'a tout simplement donné envie de pleurer, connaissant les lieux et comprenant le désastre, comme l’écrivain médecin, j'ai mal pour la Montagne.

Jean-Baptiste Del Amo m'a ramené aussi à des souvenirs de mon enfance jouant avec les insectes comme s'ils étaient mes amis évitant soigneusement de les tuer et leur parlant durant des heures 

Et bim! Là, encore touchée en plein cœur la Marlène 

Pour Sonja Delzongle , les descriptions sont magnifiques, je l'ai vécu pleinement, un suspens m'a envahi avec une peur terrible que ce petit ne se relève pas, même si je comprends que chacun a un rôle sur terre, et la loi du plus fort demeure, la happy end m'a fait du bien.

J'ai bien aimé la promenade avec Luc Lang, un texte à la première personne m'aurait permis de mieux le ressentir.

Très émue par le conte de Carole Martinez, je pense et persiste à dire que la liberté reste notre ADN premier, et même dans la plus grande obscurité la lumière demeure. Il faut toujours suivre la petite musique qu'on a dans la tête.

J'admire le parcours retracé par Ron Rash sur Kephart, je confirme la nature sauve, nous écoute, nous accompagne, nous émerveille, nous nourrit. Comme je comprends ce combat pour la protéger à défaut de la sauver des mains meurtrières 

Quant à la Pieuvre de Monica Sabolo, j'en reste bouche bée, cette rencontre avec la pieuvre est tout simplement sublime. Je suis convaincue que notre instinct sait reconnaitre la nature, nous en sommes trop coupés aujourd'hui mais il revient vite pour ceux qui sont attentifs, sensibles. Nous avons en nous la possibilité de nouer des liens avec chaque élément naturel. Cette rencontre en est la preuve.

Marlène Goud n’a pas de blog mais vous pouvez la retrouver sur Instagram


A nous la terre ! Les écrivains s’engagent pour demain – Editions Folio – Novembre 2021

Les bénéfices de ce livre seront intégralement reversés à WWF France.

 

 

mercredi 24 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Ces héroïnes qui peuplent mes nuits
Mia Kankimäki

 


Voilà un livre à mettre entre toutes les pattes et qui à l’originalité d’être à la fois un document, un roman, une recherche historique, un récit d’aventures avec même quelques pincées de développement personnel.

L’autrice et traductrice Mia Kankimäki, par ailleurs passionnée par la culture japonaise, pourrait presque nous faire croire que ses nuits sont plus belles que ses jours ; au lieu de compter les moutons elle peuple ses insomnies d’héroïnes, ces femmes qui ont bravé les interdits, se sont émancipées malgré le corset sociétal, ont réalisé leurs rêves, ont créé la touche féminine dans un univers resté très longtemps (et encore de nos jours) aux mains des hommes. De l’Afrique au Japon, l’énergique Mia est parti sur les traces de ces féministes qui ont revendiqué leur liberté par leur détermination, leur courage et une force parfois surhumaine. Elles ne cherchaient pas le scandale (hormis la plus contemporaine de toutes, Yahoi Kusama, elles agissaient !

Entre les longs chapitres purement biographiques, sont intercalés les récits des propres aventures de l’autrice, de la Tanzanie au Japon en passant par l’Italie et la France, à chaque fois pour retrouver les traces et effluves de « ses » héroïnes ou pour trouver un espace idoine à l’écriture. Mais qui aime bien châtie bien, pas de flagornerie à titre posthume, quand des bémols résonnent Mia Kankimäki le fait savoir, et par exemple, comme elle, la passion que vouait Karen Blixen m’a toujours passablement perturbée. Je laisse la curiosité planer et à vous de découvrir qui sont ces femmes, certaines très connues, d’autres beaucoup moins. J’ai été particulièrement enchantée de faire plus ample connaissance avec Sofonisba Anguissola, célèbre portraitiste à la cour d’Espagne de Philippe II, devenue amie avec Elisabeth de Valois et qui rendit l’âme à plus de 90 ans ! Sa vie est un roman et elle mériterait une plus ample place dans la galerie des immortels de la peinture ! Et ô combien réjouissant de remettre sur papier que Mary Kingsley a été la première femme à gravir le Mont Cameroun !

Parfois l’écrivaine se centre un peu sur elle-même, néanmoins avec humour, et donne par sa plume une énergie bienfaitrice en terminant par un conseil à afficher au plus profond de son âme : « Quoi que tu fasses, cherche ta montagne magique »

 

« Un endroit pareil, posé au bord du Grand Rift, vous fait réfléchir à la planète, à la mesure des choses. Ce qui a de l’importance, ce qui n’en a pas, l’immense diversité de la nature, le récit de la création – cette sphère incroyable qui file dans l’univers, et nous, à sa surface ».

« Certes, Karen, je saisis la métaphore. Mais ici, dans les plaines paradisiaques de Manyara, je ne parviens pas le moins du monde à comprendre comment tuer des animaux soit si grandiose qu’on ait envie de déboucher une bouteille de champagne ».

« Les ambitions impérialistes occidentales culminèrent en 1885 lors de la conférence de Berlin où fut décidé le partage de l’Afrique entre les puissances européennes. Pas un Africain ne fut convoqué à cette réunion absurde. Des diplomates qui n’avaient jamais mis un pied en Afrique débitèrent le continent en tranches à leur guise ».

«  Le canot de Mary Kingsley fut un jour bloqué au milieu des crocodiles, qu’elle décida de chasser à coups de parapluie ».

« Mary entama la rédaction de ses West African Studies, destinées à  un public universitaire, tout en continuant ses tournées de conférences à un rythme soutenu. Elle en profitait pour plaider en faveur des Africains et devint peu à peu une figure incontournable des controverses sur la politique coloniale – certains mêmes la trouvaient dangereuse, car ses opinions s’écartaient radicalement des vues portées par les missionnaires et les colonialistes. Pour Mary, les Africains n’étaient pas plus « de grands enfants » que des « sauvages cruels » qu’il fallait « civiliser », mais des personnes pleines de bon sens dont il fallait respecter et préserver la culture ».

« Si tu as une passion, exerce-là. Tu n’as pas besoin d’une formation officielle ».

Ces héroïnes qui peuplent mes nuits – Mia Kankimäki – Traduction : Claire Saint-Germain – Editions Charleston – Septembre 2021

vendredi 19 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Tamara par Tatiana
Tatiana de Rosnay

 


Qui n’a pas été séduit par ce portrait de la « Jeune fille aux gants » ! La pose du modèle, la couleur de la robe d’un vert éclatant, l’élégance des traits et ce regard qui était un peu le blason de l’artiste : des yeux transparents à la fois déterminés et mélancoliques.

Deux T pour une biographie romancée, deux prénoms d’origine russe ; l’une l’est plus que l’autre mais peu importe, ce sont des effluves slaves qui se réunissent autour d’un pinceau, d’un crayon. Tatiana de Rosnay s’adresse à celle qui a défrayé la chronique dans les années 20, Tamara de Lempicka,  mais qui était avant tout une immense peintre accrochée à son chevalet pour transcrire tout ce qu’elle ressentait. Adulée, elle ne va cesser de créer. Mais pas que.

Car si on admire les doigts prodigieux qui façonnaient les toiles, il est difficile d’être empathique avec cette femme qui ne voulait que briller, être au centre du monde. Un égo démesuré, un star system avant l’heure. Quand on est guère attiré par tout ce qui est clinquant et tapageur, on se dit que l’on aurait pas aimé croiser cette femme. Pourtant ce portrait livresque est attachant et captivant. Peut-être parce que  l’écrivaine reste objective devant cet incroyable destin, de cette  vie rocambolesque, que Tamara était un sacré personnage et, à son actif, une femme libre et libérée, audacieuse dans les carcans de naphtaline de la société du début du XX° siècle même si les Années folles ont permis l’émancipation des êtres et des mouvements.

Un roman addictif, narré avec un charme fou, se lisant sans poser une seconde sa noisette et une citation qui démarre une lecture sous les meilleures auspices :

« Mon but est de ne jamais copier. Créer un nouveau style ». Tamara de Lempicka

Mention spéciale pour la photographe Charlotte Jolly de Rosnay qui fait de la couverture une transcription impressionnante de la personnalité de Tamara de Lempicka, notamment avec ce masque de paon.

Tamara par Tatiana – Tatiana de Rosnay – Editions Pocket – Novembre 2021




 

 

 

 

 

 

jeudi 18 novembre 2021

 

Une noisette, un livre pour la nature
 
A nous la terre
Ouvrage collectif

 


La terre est notre bien précieux à tous, nous en sommes tous issus et, par respect pour Gaïa, nous devons protéger cette prunelle de l’univers qui permet de porter notre regard vers tant de beauté, de surprises, d’émerveillement.

Neuf écrivains, français et étrangers, témoignent dans ce petit livre, dont les bénéfices iront à l’association du WWF, de leur relation avec la nature, du bruit de la vague jusqu’aux cimes éternelles en passant par la forêt, en Europe, en Afrique, en Amérique.

La préface d’Isabelle Autissier donne le ton « L’humain est devenu étranger à la nature ». Beaucoup ne savent plus apprécier un souffle de vent venant caresser votre peau, la valse des nuages faisant du ciel la plus grande scène de l’univers, écouter – et non seulement entendre – le bourdonnement des abeilles, réaliser combien il est urgent de retrouver une nourriture saine dénuée de produits honteusement appelés « phytosanitaires »

La littérature est l’un des plus immenses vecteurs pour faire passer des messages et ce sont de bonnes nouvelles que de lire les textes de ces auteurs nous incitant à poser nos yeux sur cette richesse : la plage de Catherine Cusset, la naissance de l’être d’Erri De Luca, le surgissement d’un lézard devant Jean-Baptiste Del Amo, l’amour maternel d’une bufflonne sous les yeux de Sonja Delzongle, les roches de Luc Lang, le conte aviaire de Carole Martinez, les lieux sauvages de Kephart par Ron Rash, les glaciers de Jean-Christophe Rufin et la pieuvre de Monica Sabolo. Des pierres, des plantes, des animaux, monuments de la nature… et des Hommes.

« Cette plage où je vais depuis trente-cinq ans est pleine de souvenirs d’amour, d’amitié, de désir, de rires, de peurs. Le bonheur, c’est aussi cela : une strate de souvenirs qui finissent par former un roc auquel l’âme peut s’amarrer par tempête, et qui, giflé par les vagues et battu par la pluie, se dresse, inaltérable, inamovible, tels ces trois rochers ronds qui se profilent sur la droite à l’horizon de ma plage et qu’on appelle les tas de pois ».  Catherine Cusset

« J’appartiens à cette espèce qui s’est séparée des autres espèces vivantes, en se répandant sur toute superficie et sous tout climat »  Erri De Luca

« Les guerres me semblent infiniment plus proches. Le réchauffement climatique n’est plus cette lointaine, improbable menace, et nul doute que nous aurons brûlé notre planète bien avant que le soleil ne la consume. 68% des vertébrés ont disparu de la surface de la terre depuis 1970 et 43 millions d’hectares de forêt ont été détruits en seulement treize ans. Aujourd’hui encore, mes plus grands moments de bonheur sont ceux où, dans le Gers ou en Touraine, je tombe nez à nez avec un serpent. Lorsqu’il m’arrive de le saisir, je retrouve, par la procuration du souvenir, le bonheur du petit garçon qui saisissait le serpenteau et le portait à son cou ». Jean-Baptiste Del Amo

« Il est vivant ! Le petit buffle se redressa péniblement mais fut debout en quelques secondes, collé au flanc maternel. J’en pleurais. Abondamment, cette fois, sans pouvoir m’arrêter. Nature aussi rude que généreuse. Aussi imprévisible que fascinante. Mes mains se joignirent en un merci silencieux. Je remerciais le courage de cette mère, la magnifique solidarité animale, l’heureux destin et, plus que tout, la vie, dont tout cela fait partie ». Sonja Delzongle

« Elle repart, plus calme, la pente se dresse à quelque trente mètres du gave, elle gravit ce qu’elle vient de descendre sur l’autre versant, l’aube est déjà là, inondant l’horizon de nappes jaunes et mauves ». Luc Lang

« La nuit est un autre monde. Tout s’apaise d’abord, puis de nouveaux bruits gagnent par paliers, des animaux invisibles furètent alentour. Elle ne craint rien, elle se sait réconciliée, quelque chose se noue entre son être effiloché et l’arbre monde ». Carole Martinez

« Pour se trouver lui-même, il fallait qu’il aille où l’on ne le trouverait pas ». Ron Rash

« Les piliers s’effondrent, les arêtes s’ouvrent comme des éventails… Les glaces récentes ont fondu et celles qui apparaissent maintenant datent de plusieurs milliers d’années. Ce sont en somme de véritables monuments historiques qui se dégradent, comme si le Colisée de Rome tombait en poussière sous nos yeux ». Jean- Christophe Rufin

« Le silence finit par m’emporter, ainsi que la beauté d’un monde plus vaste, plus somptueux que tout ce que j’avais connu jusqu’alors. Les prairies de posidonies frémissaient dans le courant, dissimulant encore un autre monde, bernard-l’ermite, étoiles de mer orangées, raies constellées de points bleus ». Monica Sabolo

A nous la terre ! Les écrivains s’engagent pour demain – Editions Folio – Novembre 2021

Les bénéfices de ce livre seront intégralement reversés à WWF France.

mercredi 17 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
La femme au manteau bleu
Deon Meyer

 


Embarquement pour l’Afrique du Sud avec Deon Meyer pour un polar qui, au tout début, m’a passablement ennuyé, non pour le sujet qui me semblait intrigant mais pour le style, une écriture un peu trop décousue et des dialogues façonnés à la hache. Mais l’intrigue a pris le dessus et l’intérêt est allé crescendo.

Nous sommes à l’ouest du Cap, dans les montagnes et un bus découvre (enfin le conducteur et ses passagères) le cadavre d’une femme sur un mur, entièrement nue et d’une couleur étrange. La police criminelle arrive sur les lieux et s’aperçoit que la victime a été complètement passée à l’eau de Javel pour effacer toute trace. Vu la difficulté de l’enquête, elle est confiée au duo de choc : Benny Griessel et Vaughn Cupido qui vont "profiter" de ce meurtre pour élargir un peu leurs faibles connaissances en peinture. Car la femme retrouvée, une américaine vivant en Angleterre, était une experte de l’âge d’or hollandais.

Quelques personnages pointent leur museau, en particulier un détective peu scrupuleux et un professeur d’histoire de l’art à la retraite que nos deux représentants de la criminelle surnomment Donald Duck !

A côté de la traque, cocasse, déjantée et enlevée, se glisse l’histoire réelle du peintre flamand Carel Fabritius, élève de Rembrandt, décédé à Delft en 1654 lors d’une explosion qui a fait disparaitre une grande partie de son œuvre. La plus célèbre est « Le Chardonneret » et qui a fait l’objet du roman portant le même nom de Donna Tartt, le tableau et le livre étant évoqués dans cette sibylline femme au manteau bleu…

A souligner, l’éclat de la couverture !

La femme au manteau bleu – Deon Meyer – Traduction : Georges Lory –  Editions Gallimard - Août 2021

mardi 16 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Implosions
Hyam Yared

 


« Combien de temps faudra-t-il au Liban pour se relever d’une crise économique dépendant de la crise politique, elle-même soumise à la question du Golan, de la stabilité en Syrie, de la poudrière communautaire, des camps de réfugiés syriens et avant eux palestiniens, des influences syriennes, iraniennes, saoudiennes ? »

En une question, l’écrivaine Hyam Yared résume la situation du Liban, dramatiquement dramatique car depuis qu’a été publié ce livre, le pays s’enfonce chaque jour dans une crise qui n’a même plus de nom. D’explosions en implosions, les deux phénomènes sont violents mais l’implosion est terrible étant dirigé vers l’intérieur. Désagrégation d’un pays.

Le récit commence le 4 août 2020 à dix-huit heures et quelques minutes. Le jour où le port de Beyrouth explose à cause de la négligence, de la corruption, de l’avidité des hommes laissant une ville anéantie, des vies arrachées, un pays fracassé. Encore une fois. Trop de fois. A ce moment précis la narratrice est dans le bureau de sa thérapeute avec son mari. Parce que son couple implose également. Ils sont propulsés loin du bureau mais entiers. D’autres, plus proche du point P n’ont pas eu cette chance. Mais la chance est faible car il ne s’agit plus de vivre mais de survivre. Aux multiples crises, aux années de guerre, aux flux migratoires s’ajoute un invité non désiré en cette année 2020, prénom inconnu mais au nom tristement célèbre : Covid ! Tous sont cernés par les implosions avec aucune accalmie en vue.

Avec un humour renversant – rire de tout pour ne pas s’effondrer – et sans en avoir l’air, Hyam Yared dresse un constat aussi déconcertant que brillant sur la situation économique/politique/sociale du pays en intercalant les errances d’un couple à la dérive et les élucubrations virales au propre comme au figuré. La petite lueur d’espoir est de constater encore et toujours qu’à côté des politiques/financiers/prédateurs en tout genre, le peuple libanais est d’une solidarité exemplaire ; hélas on craint voir surgir en chacun un Sisyphe.

« Ici, nous mourrons d’une comorbidité chronique, et Covid n’est qu’un détail de l’histoire »

« La vérité est devenue une pierre jetée dans un lac. Personne n’ose plonger dans la vase pour aller la chercher. On se contente de deviner sa trace à partir de ses ronds dans l’eau ».

Implosions – Hyam Yared – Editions des Equateurs – Août 2021

dimanche 14 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Mamma Roma
Luca Di Fulvio
 


 

Luca Di Fulvio a le don de ces écrivains qui vous transportent pendant quelques heures dans un autre monde, un autre temps. Par un coup de crayon magique votre serviteur s’est vu en Italie en général et à Rome en particulier à la fin du XIX° siècle. Noisette sur le livre, il n’avait plus d’âge. Tel un jeune enfant avoir l’impression d’être revenu dans ce fauteuil rouge, fenêtre en face des Aravis – et dans un sens l’Italie n’est pas très loin – avec un roman d’Alexandre Dumas, prêt à chevaucher sur l’univers et observer ces êtres, aussi bien les merveilleux que les vils, qui partent à l’aventure sur des sommets de fantaisies.

Nous sommes à la fin de la période d’unification de l’Italie, les troupes françaises sont encore sur le sol pour protéger les Etats pontificaux. Depuis 1866, la troisième guerre d’indépendance a renvoyé les autrichiens, Victor-Emmanuel triomphe, sur les murs s’inscrivent « Viva V.E.R.D.I » « Viva Vittorio Emanuele Re D’Italia » devis des patriotes. En 1871, c’est la prise de Rome (la brèche de Porta Pia), la ville est annexée au Royaume d’Italie.

C’est dans ce contexte, quelques mois plus tôt, qu’une comtesse remarque un adolescent à la mèche blonde, au regard déterminé et au verbe haut lors d’une visite dans un orphelinat misérable. Venue pour adopter, c’est ce jeune Pietro qui repartira en carrosse. Mais la vie est faite de bosses, très vite l’époux de la comtesse est ruiné, se suicide ; c’est la fuite vers Rome avec Paride le cocher et le garçon. La comtesse abandonne la particule et retrouve son vraie nom : Nella Beltrame.

En parallèle, un cirque chemine vers Rome avec, entre autres, un amoureux des chevaux, Melo et la jeune Marta qu’il a pris sous son aile, un jour dans une rue lorsque la petite était d’une maigreur à faire peur et s’était détachée d’une corde qui la maintenait en captivité. Seulement si Melo est un sacré ronchon, Marta a également du caractère !

Comment vont-ils tous se sortir de la misère et vaincre les ombres qui planent dans les ténèbres ? Luca Di Falvio aiment les personnages solaires, combatifs et qui croient en leurs rêves. Sans oublier ce qui fait tourner le monde, l’amour : « Ne vis pas de regrets, n’abandonne jamais, bats-toi, l’amour ça ne se gâche pas ». En effet, comment ne pas fondre, à l’instar de Nella, devant l’élégant Henri Béras…

Mamma Roma – Luca Di Fulvio – Traduction : Elsa Damien – Editions Slatkine & Cie – Septembre 2021

jeudi 11 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le roman vrai de la Vénus de Milo
Candice Nedelec

 


L’histoire de la Vénus de Milo est un roman à rebondissement à l’image des courbes de la célèbre statue. Probablement née vers le II° siècle av. J.-C., elle s’est ouverte au monde en 1820 sur l’île grecque de Milo, surgissant des entrailles de la terre grâce au travail d’un paysan local, Yorgos Kentrotas. Peut-être que ce jour-là l’âme de Gaïa veillait à ce que sa fille soit entre de bonnes mains en invitant un élève de l’Estafette, Olivier Voutier, à venir sur les lieux pour dessiner l’apparition de la déesse de l’amour. Car qui dit amour dit rivalité et jalousie. Avant d’être ramenée dans sa demeure, Le Louvre, Aphrodite a vécu nombre de péripéties allant de la bataille d’égos entre ceux qui revendiquaient être les pères de sa découverte jusqu’aux convoitises des gens de guerre.

Un document signé Candice Nedelec qui se lit comme un… roman ! Avec presque un petit côté thrillesque en s’apercevant qu’être de marbre n’est pas synonyme de repos, bien au contraire. Et du haut de son piédestal la belle a pu observer la folie des hommes à son égard.

A côté de la bataille entre archéologues qui montre que l’appropriation est l’une des attitudes les plus vieilles au monde, l’œuvre d’art permet de retracer l’histoire de France depuis le début du XIX° siècle jusqu’à nos jours et de mettre en lumière des personnages restés dans l’ombre, à commencer par Olivier Voutier – j’avoue humblement qu’il avait été passablement balayé de l’étage de ma mémoire et, en le retrouvant, voilà une figure historique qui mériterait également un roman – ainsi que Jacques Jaujard et Franz von Wolff-Metternich, eux deux prouvent qu’en temps de guerre des ennemis peuvent se retrouver par la voix du courage.

D’autres personnalités ornent la narration, Delacroix, Rodin, Dali jusqu’à l’évocation de Talleyrand via le château de Valençay qui a abrité Vénus pour la protéger des diables de la guerre, sans oublier Salomon Reinach. Et là, soudain avec l’archéologue on songe à un autre récit, celui d’Adrien Goetz avec « Villa Kérylos », comme quoi l’antiquité mène sur tous les chemins du monde.

« La compétition entre les Etats occidentaux fit rage dans le domaine des arts et des musées, une bataille à laquelle prend part, à sa manière, le soldat Voutier. La Vénus est sans doute le symbole d’une nouvelle conquête. L’art remplaçant les armes ».

« De retour en Grèce, Olivier Voutier est bien éloigné de l’effervescence artistique et politique de cette époque. Il n’est pas de ces intrigants qui recherchent quelques avantages et déploient des trésors d’imagination pour s’approcher au plus près de la cour ».

Le roman vrai de la Vénus de Milo – Candice Nedelec – Editions Fayard – Mars 2021

mardi 9 novembre 2021

 

Quand une noisette devient un prix littéraire
 
Mon maître et mon vainqueur
François-Henri Désérable

 

© Squirelito

La déesse Athéna semblait sourire en voyant descendre depuis la petite salle des séances une élégante compagnie que l’on nomme Académie française. En ce 28 octobre, si le ciel était gris, une lumière vive tapissait les murs de l’Institut de France où allait se proclamer, en bas de l’escalier, le lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française. Presse, éditeurs, attachées de presse avançant masqués, certes, mais désormais chaque regard est une grand page ouverte, pour découvrir qui serait en cet an 2021 l’heureux élu.

Trois titres de la rentrée littéraire restaient sélectionnés et non des moindres :

-          ₶ Mon maître et mon vainqueur de François-Henri Désérable

-          ₶ Le Dernier Tribun de Gilles Martin Chauffier

-         ₶  La plus Secrète Mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

A 16 heures 46 minutes et 23 secondes (soyons précis) le vainqueur était un maître, non sur un arbre perché mais probablement sur un nuage en entendant son nom par la voix de la Secrétaire perpétuelle, Hélène Carrère d’Encausse, entourée de ces  femmes et de ces hommes en habit vert – qui n’en portaient point ce jour là.

© Squirelito


Avant d’entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire le roman du sieur Désérable, rappelons que ce prix est plus que centenaire et que la date de sa création est symbolique : 1915. Au moment où la France était engagée dans une guerre épouvantable, l’institution du quai Conti créait un prix littéraire pour continuer à donner vie à la culture et à ceux qui la façonnent. Nul besoin d’énumérer les noms qui ornent cette prestigieuse galerie : Mauriac, Kessel, Lacretelle, Bernanos, Saint-Exupéry, Nourissier, Modiano, Schoendoerffer, Dormann, Nothomb, Littel, Ono-Dit-Biot… mais peut-être que l’année 1968 mérite que l’on se pose un instant, Albert Cohen était couronné des lauriers de l’Académie pour sa «  Belle du Seigneur ».

Pourquoi ? A la question posée à François-Henri Désérable sur ses premières impressions de recevoir les lauriers de l’Académie française, sa réponse fut sans appel : « Je ressens une joie immense et je ne cesse de penser à Belle du Seigneur d’Albert Cohen parce que c’est ce roman qui m’a fait devenir écrivain et qui m’a parlé en premier d’amour ». Comment alors ne pas évoquer les paroles de feu Yves Pouliquensur cette Belle « C’est un immense roman d’amour, l’histoire de ce couple a priori improbable qui va entretenir une passion quasi démente, riche des promesses d’un délice amoureux qui se voudrait absolu, éternel (…) et qui se terminera par la mort ».

De mort, il s’en est fallu d’un rien pour « Mon maître et mon vainqueur » car il s’agit aussi d’une histoire d’amour. Oh, une histoire relativement banale : un homme tombe amoureux d’une femme mariée. Quoi de plus commun et sujet maintes fois exploité. Un peu comme la base des opéras où un baryton apparaît toujours pour empêcher que le ténor et la soprano couchent ensemble. Ce qui fait la différence c’est le ton, le tempo, la mélodie. C’est exactement pareil pour l’opus de Désérable, tout est dans le rythme, l’interprétation, l’apparente facilité du glissement de la plume pour un récit aussi plaisant qu’érudit.

Maurice Genevoix disait, lors justement de la proclamation du Prix pour Belle du Seigneur, que « l’Académie voulait montrer que l’imagination reste la qualité majeure d’un romancier ». En 2021, les académiciens optent pour une attitude similaire.

Le narrateur est l’ami d’un mis en examen pour tentative de meurtre. Il est là, le narrateur, dans le bureau du juge pour expliquer – et en l’occurrence pour nous expliquer aussi – comment ce pistolet a pu être braqué par Vasco l’amant de Tina sur Edgar son mari, célèbre porteur d’une doudoune. Geste d’autant plus étrange que les protagonistes sont éperdus de Rimbaud et Verlaine.

Amours contrariées et impossibles, passion infinie et tourments entre un homme et une femme étrangement singuliers, singulièrement étranges qui forcent l’empathie au fur et à mesure de la narration. Car tout est affaire de cœur, même celui de Voltaire que l’auteur nous fait revivre lors d’un épisode particulièrement cocasse dans le salon d’honneur de la Bibliothèque Nationale de France, celle de Richelieu.

J’avoue en toute honnêteté avoir eu un peu de mal à me concentrer sur la lecture puisque le nom de Vasco m’a rappelé celui d’un chien, qui plus est avait l’habitude de voler tout ce qu’il avait à portée de patte ou de museau… Cela dit, dès l’incipit on sait déjà que le roman va nous surprendre, à commencer par la forme, puis progressivement par cette prestidigitation des vocables qui virevoltent dans un ballet à la fois presque cruel et étonnamment poétique, cet art de passer du noir au blanc en y mettant toutes les couleurs de la vie. Reste le protagoniste, invisible au milieu des personnages mais qui est le point culminant du roman, sorte de Karakorum sur la chaîne de l’humour : fantaisie et verve.  Croustillant – et je ne dis pas ça pour les scènes torrides entre Vasco et Tina – piquant et tel un artiste dans un one-man-show (pardon l’Académie française) François-Henri Désérable ne fait pas que raconter, il joue avec son public, avec son lectorat.


Es-tu doux ou dur ?

Es-tu sensible ou moqueur ?

Roman ?

Je n’en sais rien mais je rends grâce à l’écriture

Que tu aies fait de ton roman un maître et un vainqueur.


Mon maître et mon vainqueur – François-Henri Désérable – Editions Gallimard – Août 2021

Grand Prix du roman de l’Académie française 2021


© Squirelito


 

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