samedi 27 novembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Montagnes humaines
Jean-Christophe Rufin  avec Fabrice Lardreau


 

Le titre est à lui seul l’oreille qui a écouté Jean-Christophe Rufin répondre aux questions de Fabrice Lardreau : des roches assimilées à tout ce qu’il y a de plus vivant et une humanité s’érigeant dans les hautes sphères de la bienveillance sur les parois de la liberté, de l’amitié, de la solidarité. Sans oublier celle de l’authenticité, la vraie, pas celle utilisée à des fins publicitaires, celle à l’image de ceux qui côtoient la montagne, l’affrontent, tentent de l’adopter ; franchise du geste, véracité de la conviction, sincérité des paroles.

Curieusement les relations entre l’écrivain et la montagne n’ont pas débuté sous les meilleures auspices : enfant, il s’est retrouvé momentanément éloigné de sa famille, au cœur de la montagne suisse où Zeus avait lancé son foudre contre les parois des Alpes. Depuis la crainte de l’orage est restée – ça me parle énormément puisque pour votre serviteur c’est le contraire qui s’est produit.  Mais le défi d’apprivoiser la bête rocheuse s’est ancré au plus profond de Jean-Christophe Rufin dans un souci du respect des éléments et dans la satisfaction de se hisser sur les hauteurs de la liberté.

L’académicien raconte sa conception de l’alpinisme – ni militaire, ni hippie mais avec cette soif de faire corps avec la montagne, de sortir de sa zone de confort tout en étant conscient de ses dangers – et plus globalement sa vision sur la nature, l’écologie ; ô combien on ne peut séparer les éléments sur terre et surtout les opposer. Si l’homme est responsable des maux de la terre, c’est également ce même homme qui pourra apporter des solutions.

Si la montagne est évidemment le socle de ce livre, d’autres lieux sont évoqués, notamment le Berry et ses cieux  qui imitent les sommets, et,  diverses réflexions escaladent les paragraphes en fixant  bien consciencieusement les pitons sur les falaises de la nuance ; Rufin abomine les idéologies extrêmes, les combats soi-disant pour le bien qui mènent paradoxalement à la violence. Celui qui met toujours en fiction des personnages solaires aime la réalité de la lumière, préfère avancer que reculer, construire que détruire, allumer toute source de vie plutôt que d’enfermer les âmes dans des couloirs crépusculaires.

Avec toute l’humilité qu’on lui connaît, Jean-Christophe Rufin refuse de se considérer comme un grand alpiniste. Pourtant il ouvre des voies sur les versants de notre société, en réchauffant l’ubac et en apportant de la fraîcheur vers l’adret ; une façon de soigner par les mots ce qui engendre les maux.

« Le Berry revendique sa platitude, dans la mesure où les reliefs se trouvent dans le ciel et des nuages qui accompagnent la vie quotidienne quasiment comme des massifs montagneux. Je me souviens que mon père, très attaché à cette région dont il n’était pourtant pas originaire, aimait se promener en voiture, le dimanche, le coude sur la portière, pour le seul plaisir de regarder le ciel… Il est vrai qu’en Berry, c’est un spectacle en soi. Les ciels de la Champagne berrichonne, mouvants et éphémères, sont particulièrement propices à la rêverie, car rien en fait obstacle à leur contemplation ».

« Je déteste détruire, je déteste ce qui se casse, s’abîme, J’aime essayer de réparer, de redonner aux choses leur forme (…) En médecine, quand un malade va mieux, je ressens une joie profonde, sincère, existentielle ».

« L’alpinisme est un sport individuel qui se pratique au moins à deux ».

« L’amitié, le véritable compagnonnage de cordée ajoute une dimension à l’alpinisme ».

« Je trouve curieux ce besoin qu’ont les « calmes » de chercher à convertir les « agités ».

« L’écologie pour moi ne peut être qu’un humanisme. Je ne peux concevoir la Nature sans l’être humain et ce que je souhaite, c’est une harmonie entre les deux. Ce point d’équilibre entre l’humanité et la montagne a été rompu. Doublement rompu. D’abord en haute montagne où l’activité humaine provoque la fonte des glaciers, l’écoulement des parois, puis en moyenne montagne à cause de la crise agricole. Dans d’autres pays comme la Suisse, les montagnes sont restées beaucoup plus claires, car les paysans sont payés pour les entretenir. Ils sont des producteurs, mais aussi des paysagistes, des protecteurs des espaces naturels. La France n’a eu aucune politique volontariste sur ce sujet ».

« Je me suis toujours intéressé, en tant que citoyen et romancier, aux dérives radicales du « Bien » : toutes les idéologies du Bien, politiques, écologiques, humanitaires, peuvent dévier vers le totalitarisme et le meurtre. On ne comprend pas les phénomènes totalitaires si on ne voit pas qu’ils procèdent toujours d’une volonté de faire le Bien. La « pureté dangereuse » d’un Saint-Just est d’abord une révolte contre certaines injustices et elle finit par en produire d’autres. Des millions de gens se sont retrouvés sous la guillotine ou dans des camps à cause d’idéologies a priori bienveillantes. L’écologie n’est pas exempte de ces risques de dérive ».

Des drames, des tragédies surviennent parfois en montagne. Le drame y existe (hélas), mais le mélodrame n’y a pas sa place. On ne tolère pas les faux-semblants dans ce milieu qui décape les sentiments, évacue tout ce qui est faux, que ce soit les gens qui se vantent d’avoir fait tel ou tel sommet et sont confrontés à la performance réelle, ou les pseudo-souffrances, les bobos sans conséquence : tout cela vole en éclats face à la réalité de la montagne ! ».

Montagnes humaines – Jean-Christophe Rufin – Entretiens avec Fabrice Lardreau – Editions Arthaud – Collection Versant intime – Octobre 2021

Note : Quatre lectures montagnardes sont conseillées dans ce livre avec une critique de Jean-Christophe Rufin, suivie d’un court extrait. Elles seront évoquées, dans quelques semaines,  lors d’une autre chronique sur le blog.

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