samedi 27 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le flambeur de la Caspienne
Jean-Christophe Rufin

 


Sans connaître une once des dessus et dessous du monde diplomatique  une chose est pourtant certaine : ses représentants ne peuvent être repérés par des effluves de naphtaline et le mot « casanier » est rayé de leur vocabulaire. Bien que piètre élément du Quai d’Orsay, le sieur Aurel Timescu, électron libre de la diplo,  suit les mêmes règles et c’est en Azerbaïdjan que l’on retrouve ce fin limier dont le flair est aussi redoutable qu’un chien de Saint-Hubert.

Quittant les souffles de l’harmattan, le petit Consul va s’engouffrer dans ceux du khazri et du gilavar en arrivant à Bakou comme consul adjoint d’une certaine Amélie. Tombant sous le charme de cette ville aux allures haussmanniennes, il est enfin satisfait de cette nouvelle nomination bien que c’est l’effet inverse qui était recherché au Ministère des Affaires Etrangères pour cet encombrant titulaire. En arrivant au siège de l’Ambassade, il est surpris par le ton compassé des uns et des autres, ambiance feutrée en signe de deuil : l’épouse de l’ambassadeur a fait une chute accidentelle en allant photographier la citadelle d’Ordubad dans la province quasi-inaccessible du Nakhichevan. Sensible comme la rosée du matin, Aurel ne peut que s’émouvoir de ce tragique événement, sentiment amplifié lorsqu’il regarde les différents portraits installés pour rendre hommage à cette première dame. Pourtant, lorsqu’il répond à la convocation du grand chef, l’empathie a tourné casaque mais disons tout de suite que l’ambassadeur n’a pris guère de gants pour signifier à cet être – d’apparence – insignifiante et grotesque qu’il allait tout faire pour le renvoyer dans les plus brefs délais en lui demandant qu’une seule faveur, ne rien faire avant le retour dans une autre écurie ! A cet instant, Aurel aurait pu se mettre à jouer au piano un air de Tosti : Ideale ! D’autant plus que le décès accidentel ne convainc pas le diplomate d’origine roumaine, son emploi du temps sera donc consacré à chercher la vérité.

Je ne sais si le Tokay mûrit agréablement au fil des ans mais une chose est désormais certaine c’est qu’une plume devient organoleptique en traçant de plus en plus finement le personnage, en y ajoutant de la complexité et une finesse de goût qui fait saliver les cellules liseuses. Mais pas que. Ce nouvel opus, qui dès le départ prend un mouvement allegro, est une occasion subliminale de relater les méandres politico-diplomatiques de la planète, de jongler entre authenticité et absurdité, de s’amuser à croquer les personnalités en dehors des apparences, de faire voyager les lecteurs vers d’autres horizons et de soulever quelques tapis de cabinet qui regorgent de curiosités. Quelques éléments nouveaux font épaissir Timescu – au propre comme au figuré – et ses extravagances se multiplient dans de nombreux domaines, principalement dans la mode masculine et sa création musicale, n’hésitant pas un faire medley des genres musicaux jusqu’à incorporer des éléments d’un requiem dans un oratorio.

Quant à l’humour, c’est indéniablement l’une des marques de fabrique de Jean-Christophe Rufin pour cette série aussi truculente que caustique, faisant d’Aurel Timescu presque un charmeur. Une enquête inclassable où se mêlent géopolitique, carnets de voyage, psychologie et bien d’autres choses encore. Lecture flamboyante depuis les bords de la mer caspienne jusqu’aux vagues carnavalesques de Rio de Janeiro.  

« Aurel entendit crier son nom et mit un instant à reconnaître Jean-Louis. Le gendarme s’était changé. Il portait un jean et un tee-shirt noir sur lequel était écrit en français : Mort aux vaches ».

« Aurel se dirigea vers sa penderie et prit le premier pantalon venu. C’était une salopette en jean. Il la passa, fourra dedans les pans de sa chemise de soirée et enfila les bretelles. Au moins, pensa-t-il, la question toujours délicate de la ceinture était réglée. Il tira une veste au hasard, un blazer de yachting à boutons dorés qu’il aimait porter au printemps. Par association d’idées, il pensa qu’il aurait froid et il saisit un gilet en laine rouge cirque, sans forme. Il l’enfila par-dessus le blazer, tout en ayant vaguement conscience qu’il ne faisait pas les choses dans le bon ordre ».

Le flambeur de la Caspienne – Jean-Christophe Rufin – Editions Flammarion – Juin 2020

Les chroniques des précédentes enquêtes sont à retrouver ici et ici


jeudi 25 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
La nuit des orateurs
Hédi Kaddour

 


Herennius Selecio. Philosophe sous le soleil de Rome au Ier siècle, il plaide la cause de Baebius Massa pour attaquer le pouvoir impérial. Pour enfoncer le clou dans le cercueil, il publie l’éloge d’un autre philosophe stoïcien : Gaius Helvidius, exilé puis mis à mort sous Vespasien. Il cherche des soutiens prestigieux et les trouve avec Pline le Jeune et un certain Publius Cornelius, sénateur avec d’autres fonctions glorieuses à son actif, et, plus connu sous le nom de Tacite. Mais ces trois têtes risquent de tomber bien que Tacite soit proche de l’empereur. Nous sommes sous le règne de Domitien. Et si Le Tibre s’écoule majestueusement à Rome il est témoin de flots de sang provoqués par cet homme impitoyable, cruel, qui aime encore plus faire assassiner ses amis que ses ennemis, qui « tue comme il éternue » et aime offrir un sourire carnassier devant sa prochaine victime. Entre deux condamnations, il aime torturer les mouches avec un poinçon. Pourtant, une femme va oser l’affronter. Elle le connait, sait qu’il aimerait avoir ses faveurs, elle, la superbe romaine qui fait enrager la prostituée Flavie, la maîtresse de son mari. Oui, son mari, qui se nomme Tacite. C’est le début de l’histoire, de cette histoire d’orateurs dans les ténèbres des effluves romains, Lucretia dans une longue nuit qui s’annonce dans des combats de l’esprit où la poésie trouve une place au milieu d’un cirque de haine et de jalousie.

Loin d’être des vacances romaines, ce nouveau roman de Hédi Kaddour est un récit au vitriol sur l’emprise politique, sur un Domitien sans foi ni loi – sûrement en s’inspirant des carnets de Pline le Jeune – et sur cette cour prête à également torturer amis ou ennemis pour obtenir le droit de vivre. Un droit précaire. Courtisans, affranchis, esclaves… quel que soit le rang auquel on accède on peut terminer du jour au lendemain dans les caves de l’enfer, fouetté à coups de verges et brûlé à petit feu pour faire durer le plaisir. Les rumeurs se réjouissent, les complots frétillent. Et même quand ils n’existent pas, du haut du Mont Palatin on les invente. Un jeu comme un autre dans un labyrinthe machiavélique.

Mais l’histoire ne s’arrête pas aux faits. Elle s’habille de toges, de drapés, de tuniques, elle se mélange aux couleurs, aux parfums doucereux, au miel, aux fleurs. Elle rampe dans la boue, dans l’immondice, les odeurs de cadavres et de pourriture. Elle se cogne aux félins, surveille les flambeaux, rencontre les dieux, de Jupiter à Minerve en passant par Priape car tous les appétits charnels sont légion. Avec parfois une étrange modernité….

Impérial !

« Les tyrans ne sont pas aimés et ils se vengent en faisant en sorte que les citoyens ne s’aiment pas entre eux ».

La nuit des orateurs – Hédi Kaddour – Editions Gallimard – Janvier 2021

mardi 23 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Dora Maar et le Minotaure
Slavenka Drakulic

 


1935. Dora Maar est photographe pour le film de Jean Renoir « Le crime de Monsieur Lange ». La jeune femme aux origines diverses se sent bien à Paris et semble s’épanouir avec les surréalistes qu’elle fréquente dont Paul Eluard qui lui présentera Pablo Picasso dans l’un des plus célèbres cafés germanopratins.

Un an plus tard, le couple est déjà sur les ailes de l’errance et Picasso peint « Dora et le Minotaure », tableau d’un érotisme cruel mais qui illustre à la perfection la relation entre le « Maître » et sa nouvelle muse, une relation perdue dans un labyrinthe de domination, de supériorité, de sexe. Un sexe proche du cannibalisme avec l’ogre Picasso.

Pour ce journal intime fictif, l’écrivaine Croate Slavenk Drakulic ne pouvait choisir meilleur titre que cette toile si représentative de l’histoire de ce couple et de la charge destructrice qui s’ensuivra. Le récit commence lorsqu’ Henriette Theodora Markovitch, son vrai nom, sort de l’hôpital Sainte-Anne après avoir subi de terribles électrochocs. Nul ne sait qui l’a fait interner mais c’est Jacques Lacan qui signera un bon de sortie et suivra sa patiente pour encore quelques années. Sa séparation avec Picasso ne passe pas, l’humiliation face à la nouvelle maîtresse est le coup de pinceau qui a fait dériver la désormais ex-muse.

Mais remontons au commencement, de cette enfance en Argentine, du rideau blanc qui séparait sa chambre à celle de ses parents et qui deviendra une obsession – une sorte d’Œil – de sa mère pieuse et autoritaire, de son père séducteur et volage. La jeune Dora ne sait qui elle est, elle vit à Buenos Aires, ses gènes sont français et croate. Quand elle se met au tango, la mère décide de retourner à Paris et emmène sa fille par crainte qu’elle devienne une « francesa ». Mais Dora semble indomptable, prête à tout pour imposer sa liberté et assouvir sa passion de la photographie, elle se met en couple avec Georges Bataille, sa réputation ne sera alors plus à faire quant à sa sexualité. Puis, la rencontre avec Picasso. Malgré que l’artiste continue à fréquenter ces précédentes maîtresses, Dora accepte tout. Par amour. Un amour qui ira de Charybde en Scylla.

Un récit qui se lit comme un roman, captivant dès les premières pages et ce jusqu’aux dernières lignes. Un regard objectif sur cette femme affranchie mais qui finira par se replier sur elle-même pour terminer humblement, presque en ascète et terriblement aigrie. A partir des cahiers réels de la photographe,  on réalise très bien les tourments de la jeune femme, elle qui a immortalisé par des clichés Pablo peignant Guernica, un Pablo d’ailleurs beaucoup moins engagé comme on a pu le faire croire et qui a traversé l’Occupation sans aucun souci. Intéressant également cette comparaison entre Le Minotaure et l'Origine du Monde de Courbet. Deux tableaux provocateurs mais ô combien différents dans l’approche et la signification.

Un beau portait d’une femme victime de son propre destin. Un livre qui fait écho à celui de Marina Picasso « Grand-père ».

« Il nous avait montré, par son comportement comme par ses peintures, que le rapport sexuel ne signifiait ni plus ni moins qu’un acte de cannibalisme. Il consistait non seulement à consommer le corps, mais également à posséder l’être tout entier (…). Celui qui se nourrit ainsi de chair féminine vivante doit avoir en lui quelque chose d’animal, de minotaure. Une personne créative est dangereuse pour autrui, car elle n’a pas d’égards, elle prend, s’approprie, vole, consomme, dévore, détruit tout sur son passage. Elle aspire l’énergie des gens qui l’entourent, et leurs vies aussi. Bien souvent, elle n’est même pas consciente du mal qu’elle leur fait ».

Dora Maar et le Minotaure – Slavenka Drakulic – Traduction : Chloé Billon – Editions Charleston – Février 2021

jeudi 18 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le Stradivarius de Goebbels
Yoann Iacono
 


Qui se souvient de Nejiko Suwa ? Qui même connait son nom ? Elle fait partie de ces personnages de l’histoire qui revivent un peu par la magie des livres et des plumes.

Seconde Guerre mondiale. Le Japon est allié avec l’Allemagne nazie. Les relations entre les deux nations sont omniprésentes et c’est à celle qui remportera la sinistre course à l’horreur et à la torture. Pourtant dans ce pandémonium du vingtième siècle, un art qui aurait pu adoucir les mœurs restera bien vivant : celui de la musique classique, à condition qu’elle ne soit pas issue de compositeurs classés comme dégénérés – c'est-à-dire non conforme à l’idéologie du III° Reich et d’écriture juive. Le raffinement barbare va jusqu’à créer des orchestres dans les camps de la mort, comme quoi la culture n’est pas la voie infaillible contre la cruauté.

Dans l’entourage d’Hitler, le musicologue Herbert Gerigk – musicien raté – s’emploie à rédiger des ouvrages en faveur de la musique digne d’être glorifiée et à rechercher tous les instruments appartenant à des musiciens juifs pour les récupérer. Parmi son butin, un Stradivarius – qui en réalité serait un Guarneri – appartenant à Lazare Braun, déporté par le convoi 77 et qui périra avec sa famille à Auschwitz. La récipiendaire est une jeune virtuose japonaise, Nejiko Suwa. Sa destinée sera impactée à jamais à ce cadeau de Goebbels.

Le primo-romancier Yoann Iacono s’est attaché à reconstruire le plus scrupuleusement possible l’histoire de cette musicienne en s’attardant sur la période qui déterminera le reste de sa vie, entre 1943 et les années 50. Proche du document, il a créé néanmoins un narrateur pour laisser libre l’imagination des dialogues.

Un roman aux accents de valse triste, sombres mots sur un crépuscule de l’inhumanité autour d’un instrument et de celle qui tiendra l’archet devant des officiels nazis, puis, la guerre terminée, devant des officiels américains. Une roue qui tourne inlassablement dans les méandres des hautes autorités et des arrangements de circonstance : l’empereur Hirohito, pourtant bienveillant envers Hitler et ses sbires, sera récupéré par les Américains face au péril rouge. Et peu importe si quelques diplomates ont les mains tâchées de sang. Cela rappelle une autre aventure, celle des premiers pas sur la lune et de l’ingénieur du camp de Dora, Wernher von Braun.

Mais Nejiko Suwa, elle, n’était pas responsable de ce vol de violon. Elle a été choisie, emportée par le tourbillon d’une époque où jouer n’était pas forcément être en accord avec les autorités ; exilée en Allemagne et en France, manipulée contre son gré par quelques profiteurs machiavéliques et amoureuse du séduisant diplomate Oga Koshiro avec qui elle finira par se marier des années plus tard. Attachée à ce violon et désirant le conserver comme son bien le plus précieux, elle aura des difficultés à l’apprivoiser et progressivement une mélancolie l’envahira puis une espèce de culpabilité qui l’entraînera vers la dépression.

Un concerto en mode majeur, maîtrisé avec la précision d’un métronome, et, qui monte crescendo au fil des pages écrites par un crayon qui semble taillé dans un épicéa pour refléter toute l’âme d’une tragédie mondiale et de l’insanité des guerres. Avec quelques passages jazzy pour détendre l’atmosphère.

« La petite fille et sa mère l’observent, médusées, prendre l’archet et commencer à jouer une sonate pour violon de Dvorak : Indian Lament. La peur se mêle d’émotion. L’esprit de Nejiko s’éloigne progressivement de l’abri plongé dans l’obscurité. Nejiko voyage, elle est dans le quartier de Shiba à Tokyo, dans cette rue qu’elle aimait tant lorsqu’elle jouait avec ses amis. Oga la fixe intensément mais de si loin ».

« Nejiko l’a appris au contact de Goebbels : la guerre et sa continuation ne sont qu’affaire de communication et de propagande maîtrisée. Dans ce domaine, les Américains ne sont pas en reste. Douglas MacArthur tient ainsi à ce que l’Empereur du Japon soit mis hors de cause dans le procès de Tokyo qui s’ouvre. Les anciens ministres et les généraux de l’armée, les ambassadeurs à Berlin, à Rome, ceux-là doivent être reconnus coupables de la doctrine expansionniste du Japon, mais pas Hirohito. Lui, il s’agit de l’utiliser pour maintenir la stabilité du pays, de l’exhiber comme la marionnette d’un folklore passé, en guise du repoussoir du communisme ».

« Mars 1951. Impossible de laisser le monde une seconde sans surveillance. L’homme est insatiable en matière d’hégémonie et de guerre, de puissance et de sauvagerie ».

« Mais la paix demeure toujours fragile quand elle ne repose pas sur un vigilant travail de mémoire. Ce jour-là, qui se souvient que c’est Hitler qui a instauré le symbole du relais de la flamme olympique aux jeux de Berlin en 1936 ? »

Le Stradivarius de Goebbels – Yoann Iacono – Editions Slatkine & Cie – Janvier 2021

 

 

mardi 16 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
L’Empreinte du loup
Alain Pyre

 


Pas la première fois qu’un livre m’attire par un titre. Pour un pays, une ville… et un animal. Mais lorsqu’après les premières pages l’histoire tourne à des relations sentimentales et dialogues assortis, ma progression est à pas de loup ne sachant si cet ouvrage pourra se transformer en noisette. Mais le côté Pygmalion version écureuil a encore fonctionné parce que c’est un hymne à la montagne, à la nature et à la sauvegarde des loups tout comme celle des bergers.

Après avoir été confrontée à la mort de brebis égorgées lorsqu’elle était adolescente – le loup ayant fait sa réapparition au début des années 90 dans le Mercantour avec un specimen retrouvé par Jacques Audibert – 20 ans plus tard avec un parcours bien solide, Juliette décide de se lancer dans un projet pharaonique : faire vivre ensemble brebis et loups, amoureux des loups et bergers en détresse. « Louable », nom de code pour l’opération pastorale, va prendre ses marques dans les alentours de Nevache dans les Hautes-Alpes avec Nicolas, le compagnon de Juliette et Jeremy, spécialiste de la faune sauvage. Leur moyen : l’outil informatique et l’usage de drones. L’hostilité des éleveurs est prévisible mais le fils de l’un d’entre eux va devenir le socle de cette expédition de l’impossible.

Il parait qu’un bon roman est celui qui fait réagir. Alors, aucun doute, le personnage de Juliette est une réussite car ô combien cette jeune femme a le don de provoquer à la fois dérision et admiration. Dérision pour le côté un peu « too much » voire caricatural de la femme engagée et amoureuse, admiration parce que progressivement l’auteur la convertit dans une forme d’authenticité avec une sensibilité à fleur de peau qui devient une arme.

Si la fin de l’histoire est prévisible, ce sont au fil des pages de belles galopades dans les montagnes et surtout un roman qui rapproche deux parties sans aucun a priori et qui démontre que la technologie peut être au service de la nature, de sa préservation – et non l’inverse. Qu’il sera peut-être possible un jour de faire cohabiter les loups et les agneaux en préservant chacun le mieux possible. Cette envie irrésistible de grimper en haut d’un mélèze et d’admirer toute l’immensité de la faune et de la flore, de s’enivrer du parfum des Alpes, de tous les versants de la vie en faisant le vœu d’une entente cordiale entre tous les êtres qui foulent ces précieux espaces.

« La vérité, la Terre entière s’en fiche ! Ce qui la captive, c’est la curiosité, les intrigues, la chasse, le goût du sang, la transgression punie de toutes formes d’interdit. Elle se passionne pour les affaires, quelle qu’en soit la nature, et ignore que les vérités qui fleurissent dans ses jardins ou renouvellent les saisons sont les seules dignes d’intérêt. Elle préfère les frasques des célébrités, les meurtres à qui mieux mieux, les pantins qu’on agite pour faire diversion dans le champ visuel de plus en plus restreint des hommes, le martelage publicitaire assenant que le bonheur réside dans l’usage de cosmétiques gommant les outrages du temps ou dans la possession de voitures connectées, ou dans un style vestimentaire chic et branché ! Aujourd’hui, le téléphone ne sert plus à téléphoner : on l’achète pour photographier, pour jouer ou regarder la télé, pour contrôler son pouls, surveiller son poids, pour gérer son chauffage central, son alarme antivol et que sais-je encore ? »

La suite de l’extrait à découvrir dans ces traces lupines…

L’Empreinte du loup – Alain Pyre – Editions de Borée – Janvier 2021

Ouvrage reçu et lu dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio


tous les livres sur Babelio.com

 

lundi 15 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Ultime preuve d’amour
Michel Canesi – Jamil Rahmani
 


Vous est-il arrivé de parfois tomber amoureux d’un personnage de roman ? C’est très rare pour ma part et pourtant ô combien ce Rachid a su me charmer, m’émouvoir, l’envie de le prendre dans mes bras et caresser la noblesse de son âme.

Une histoire d’amour à trois mais partagé à chaque fois entre deux. Dans une Algérie écartelée, que ce soit à la veille de l’Indépendance ou pendant la guerre civile quelques décennies plus tard. En 1962, Pierre est un pied-noir, il milite pour une Algérie française, fait partie de l’OAS, au grand dam de ses parents. Il est jeune, exalté. Et amoureux. Fou amoureux de la belle Inés, une native du pays au tempérament déterminé et militant au FLN. Ils sont voisins, se fréquentent, s’aiment. Ensemble ils décident de concrétiser leur amour une après-midi à l’hôtel Aletti. Mohand le groom voit le couple, bien différent de ceux qu’il a l’habitude de guider dans les étages. Que vont devenir ces amants d’un jour ?  Pierre partira en métropole la mort dans l’âme, Inès est presque convaincu que son amour est perdu à jamais dans son cœur. Lors d’une manifestation, un homme la remarque, puis la retrouve. Il sait tout sur elle, Mohand lui a raconté son passage clandestin à la chambre numéro 310, chambre qui sera l’écrin de la nuit de noces entre Inès et Rachid… Deux décennies plus tard, Rachid est condamné par la maladie en pleine guerre civile algérienne, il n’a plus qu’un seul désir, celui de protéger sa femme.

J’avais découvert le duo Canesi & Rahmani avec Alger sans Mozart et je retrouve la même partition à quatre mains pour une histoire bien différente mais toujours aux effluves méditerranéens à la fois enivrants de beauté et piquants de blessures. Avec toutefois une belle métaphore sur la possible réconciliation entre les deux rives de la Mare Nostrum.

Deux plumes qui cheminent à l’unisson sur le destin des êtres que tout va séparer dans un amour qui n’arrivera pas à se briser malgré les déchirements d’une Algérie qui, à l’instar du couple, ne désirait que vivre, s’épanouir lors de l’indépendance tant attendue. Mais qui se retrouvera une fois encore dans les cendres des flammes de la violence humaine. Images en cascades, diaporama sur l’intolérance et envolées lyriques sur fond de poésie. C’est tout simplement beau, bien au-delà d’une simple histoire d’amour ; un hommage à la paix, à la liberté, à la femme émancipée.

« Elle était splendidement belle. Je m’approchai d’elle, ses amies scandaient : « Algérie algérienne ! » Elle me fixa quelques secondes de ses magnifiques yeux verts, mon visage n’accrocha pas son regard et elle détourna la tête. Je tentai désespérément d’attirer son attention mais elle disparut bientôt emportée par le foule… C’était une déesse descendue de l’Olympe pour fêter la victoire, bientôt Zeus se saisirait de son doigt et l’entraînerait vers le séjour des dieux. Une seule coupe d’ambroisie lui ferait oublier Constantine et moi, pauvre mortel, garderais à jamais son image divine et la tristesse du passant anonyme face à une madone intouchable ».

Ultime preuve d’amour – Michel Canesi et Jamil Rahmani – Editions Anne Carrière – Janvier 2020

 

vendredi 12 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les pianos perdus de Sibérie
Sophy Roberts

 


Et si la Sibérie était à l’image d’un clavier et d’une partition… Des notes et touches blanches, neigeuses, avec une glace entrelacée comme une clé de sol ; immensité jusqu’à parfois une quasi virginité. Des notes et touches noires, dures, ténébreuses comme un requiem sur les millions de trépassés au cours des siècles. Tempi graves de la souffrance, allegro sur une culture faite de résistance. Ce récit est une ode à la joie et un lacrimosa, un cheminement piano pour l’histoire trépidante de l’une des régions les plus vastes du monde.

Sophy Roberts a entrepris un voyage en Sibérie à la recherche de pianos perdus après la révolution de 1917. De connotation bourgeoise, ils ont été bannis par les bolcheviques, détruits ou cachés, certains sauvés in-extremis, puis, progressivement, remis à l’honneur. L’un de ses plus grands facteurs – sans jeu de mots – de motivation était de ramener un piano pour une jeune pianiste Mongolienne, Ogderel Sampilnorov, afin qu’elle puisse en avoir un et diffuser sa musique dans la vallée de l’Orkhon. Véritable gageure pour l’intrépide journaliste britannique – vers la fin de son périple elle sera presque surveillée comme possible agent du MI6 – que de parcourir cet immense territoire des Monts Oural jusqu’à Vladivostok et même jusqu’au détroit de Béring, balayant  plus de quatre siècles d’histoire au son de rhapsodies et des mouvements politiques de cette Russie impériale.

Le récit commence près de Karakorum en Mongolie où la journaliste, ne jouant pas de piano, rencontre Ogderel Sampilnorov issue de la minorité Bouriate. Face à cette brillante virtuose et à toute la culture qui l’entoure, l’idée de retracer l’histoire de cet instrument dans le mélodrame russe devient une obsession.

L’essor de la musique en général et du piano en particulier correspond au règne de Catherine II malgré son peu d’intérêt et de goût pour cet art ; mais l’un de ses plus célèbres amants était mélomane, Grigori Potemkine, pour ne pas le nommer. Il sera l’un des personnages emblématiques dans la popularisation du piano tout comme, quelques décennies plus tard, Maria Volkovsky, l’épouse d’un décembriste, qui se consacra corps et âme à aider et instruire les populations de ces contrées du bout du monde.

Mais cette épopée aux variations énigmatiques n’est pas qu’une partition musicale, c’est un récit prodigieux sur cette Sibérie quasi mystique, pétrie de tragédies, pays synonyme de déportation, tant sous les tsars qu’après la révolution bolchevique et de souffrances multiples. Des décembristes à Anton Tchekhov, de la colonne pénitentiaire de l’île de Sakhaline – maintes fois en conflit avec le Japon – aux survivants du siège de Léningrad, sans oublier, au pied des Monts Oural, Ekaterinbourg, sinistre lieu où furent assassinés les derniers des Romanov dans la maison Ipatiev, ensuite détruite, et où se trouvait un piano. Un des nombreux fantômes dans cet opéra sibérien. Longues pages sur cette Russie incapable d’échapper à son passé. Nonobstant, les épouvantables charniers ne résument pas ce territoire gigantesque modelé également par des héros et des personnages terriblement attachants. Avant-hier, hier, aujourd’hui. Du peuple Nevet aux conquérants des montagnes de l’Altaï en passant par les aventuriers du détroit de Béring – Anna Béring compris – et ces anonymes que croisera Sophy Roberts lors de sa quête : pianiste de jazz, ancien navigateur d’Aeroflot construisant sa propre salle de concert et cette vieille dame de Khabarovsk…

Une plume faisant figure d’archet pour retracer le drame sibérien et l’histoire de ses peuples tissant une culture prodigieuse sur la toile des ténèbres. Un livre éperdument mélodieux mais qui est pour l’autrice une symphonie encore inachevée…

« Confrontée à la mémoire et à l’oppression, je sais une chose : j’aurai beau vouloir de toutes mes forces que ma traque du piano puisse célébrer ce que la Sibérie a de magnifique, la plupart de ce que je cherche est associé à un passé terrifiant. Je dois tenir compte des conseils prodigués par un courageux journaliste russe au début de mes voyages ; selon lui, il faut comprendre pourquoi on ignore délibérément ce qu’on n’a pas envie d’entendre, être conscient de ce qui  doit rester inscrit dans la mémoire, et savoir pourquoi les gens se taisent et tâchent d’oublier ».

Les pianos perdus de Sibérie – Sophy Roberts – Traduction : Blandine Longre – Editions Calmann-Levy – Janvier 2021

lundi 8 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
De sel et de fumée
Agathe Saint-Maur

 


Piquant et gustatif. Goûteux quand le sel est dosé, corrosif quand il n’y plus que lui. Dans la mystique il est à la fois purificateur et maléfique, symbole de justice pour Pythagore, cendres pour les alchimistes. Ces cristaux représentant l’amitié, là il est l’amour. Mais il partira en fumée après les flammes qui ont jailli entre Samuel et Lucas.

Lucas est parti, Lucas est mort. Samuel, dévasté, raconte. Raconte cet amour perdu, cet amour fait de passion et de colère, de larmes, de sang, de joie. Lucas n’est plus, il ne reviendra pas ; Samuel ne pourra pas lui dire que la porte est à nouveau ouverte, lui qui l’a mis dehors peu de temps avant son trépas. Les croissants ne pourront pas le faire ressusciter même si Lucas pensait que les viennoiseries réparaient tout. L’intolérance, la haine a tué Lucas, ce Lucas, hétérosexuel, qui n’avait aimé que des femmes et qui s’était mis en couple avec Samuel plus orienté vers la bisexualité. Amis à Sciences Po ils étaient devenus amants, torrides amants. Tout les séparait et pourtant tout les a unis, le paradoxe qui rassemble, à coups d’étincelles, de baisers brûlants et de sexe incandescent. Incandescence des flammes, étincelles de l’amour, cendres des ténèbres de la mort.

En dépit de quelques errances, un premier roman qui porte tous les espoirs d’une plume explosive. Agathe Saint-Maur. Retenez ce nom, son écriture et son imagination ne peuvent qu’interpeller. Elle ne se regarde pas dans un miroir en glissant les mots, elle crée des personnages de romans qui sont plus authentiques que des vrais. Intéressant cette capacité à se fondre dans le corps d’un homme puis à faire tenir le lecteur malgré le manque d’action réelle. Tout est basé sur cette relation de soufre et de désir et les quelques longueurs ne finissent que par se convertir en de nouvelles pistes pour un tourbillon incessant. La jeune autrice a choisi d’alterner la vie d’avant et la vie d’après, Samuel avec Lucas, Samuel sans Lucas, ce qui laisse une large place au thème du deuil, au vide après la disparition d’un être aimé et aux sentiments contradictoires de la vie et de la mort : l’éternité n’est pour personne mais les regrets rongent celui qui reste pris dans l’étau de la tristesse et de la culpabilité.

Sodome et Gomorrhe, détruites par le feu et le soufre, Loth transformé en statue de sel ; l’histoire de la mer Morte version XXI° siècle du temps de la Manif pour Tous… Et un amour perdu, brisé.

« Je sais en tout cas depuis longtemps que se toucher c’est succomber. Deux personnes qui se sont aimées ne peuvent continuer à se détester qu’à la condition d’une distance respectable entre leurs corps. Le corps est à la porte d’entrée dérobée du cœur, celle par laquelle on ne voit pas le danger passer. La peau a la mémoire de l’amour bien plus longtemps que les cerveaux ».

« Le sexe, c’est juste la manière la plus complète d’être avec quelqu’un »

« L’amertume prend le pas sur ma solitude confortable. J’ai envie d’être deux, on est trois, et je suis tout seul ».

« Je pense que c’est une chance que la justice ne soit pas passion mais raison ».

« Les choses qui arrivent sont plus longtemps des souvenirs que des moments présents ».

De sel et de fumée – Agathe Saint-Maur – Editions Gallimard – Janvier 2021

jeudi 4 février 2021

 

Une noisette, un livre


La vie, les gens & autres effets secondaires
Ivan Nabokov avec Philippe Aronson

 


Le nom de Nabokov est un pedigree. Ivan Nabokov, éditeur avant toute chose, est né dans le domaine des arts : son père Nicolas n’est autre que le fameux compositeur et c’est un de ses cousins, Vladimir, qui a écrit le célébrissime « Lolita ». Prince de par sa mère, issue d’une ligné d’aristocrates russes, il est né apatride en Alsace en 1932 suite à l’exil de ses parents pour cause de révolution et durant son enfance il va et vient un peu partout lui qui, au fil des ans, ne se sent nulle part et surtout pas venant de Russie.

Editeur de Nadine Gordimer, Mary Higgins Clark, Salman Rushdie, Toni Morrison, il livre ses mémoires sur un ton léger, volontairement extravagant et parfois allant même du coq à l’âne. Pourtant, l’épisode du milieu de l’édition représente à peine la moitié du livre, le personnage préférant porter un regard sur l’ensemble de son parcours, un regard lucide malgré la cécité qui l’a frappé à l’hiver de sa vie après moult problèmes oculaires. De ses vagabondages, il en tire une grande vitalité et la sincérité avec laquelle il évoque ses parents et autres membres de sa famille force la sympathie. Et davantage lorsqu’il évoque à maintes reprises sa femme Claude Joxe dont le père Louis a été ambassadeur à Moscou sous de Gaulle et son frère Pierre ministre sous Mitterrand. Les grandes familles forment la grande histoire…

Mais le plus savoureux dans ce récit sont les diverses anecdotes semées – on aimerait en lire davantage – comme des petits cailloux, progressivement et irrégulièrement comme pour activer la curiosité du lecteur. Etonnement en mode majeur opus 130 lorsqu’on apprend qu’il n’a pas lu tous les livres édités par ses soins – même si cela reste épisodique –  pour ces quelques exceptions il s’est sans doute basé  sur la notoriété pour proposer une traduction à sa maison d’éditions. Quelques autres révélations relativement croustillantes pimentent le récit – ah que j’aime ce voyage à Moscou effectué en 1980 - qui, toutefois, manque un peu de style littéraire. Mais d’aucuns préféreront sans aucun doute des mémoires qui s’éloignent d’une forme trop romancée.

La vie, les gens & autres effets secondaires – Ivan Nabokov avec Philippe Aronson – Editions Les Escales – Janvier 2021

 

 

mercredi 3 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Marina A
Eric Fottorino

 


Marina A. Marina Abramovic. A l’instar du narrateur, le Docteur Paul Gachet, je ne connaissais pas cette performeuse d’origine serbe et qui a fait le tour du monde en s’arrachant le corps devant des milliers de visiteurs. Une lanceuse d’alerte par la mutilation du corps. L’art non pas pour sublimer mais pour une violence à réparer.

Chirurgien orthopédiste dans un service pédiatrique, le narrateur passe, avec son épouse et sa fille, quelques jours dans une ville à musée ouvert, Florence. Leurs pas ne songent qu’à suivre les traces de Boticelli, Donatello, Da Vinci… mais un tremblement de terre artistique provoque un séisme intérieur, le protagoniste est bouleversé par les affiches mettant en scène Marina Abramovic. Visites, recherche d’information, observation d’images, l’obsession est proche. Choc psychologique contre violence artistique, plus besoin du poids des mots, la vision d’une femme qui nettoie des squelettes, s’attache avec son compagnon, expose son corps et laisse le public libre de faire ce qu’il veut avec déclenche un big-bang chez celui qui a pour métier de réparer des os brisés. Métaphore littéraire pour roman en mode warning sociétaire.

Deux ans plus tard, un soi-disant pangolin farceur envoie un cataclysme planétaire par le messager Coronavirus, nom de code : Covid-19. Notre narrateur songe toujours à la provocante Marina, d’autant plus qu’en plein confinement son cerveau bascule et son corps nécessite un repos confiné. Les métaphores tourbillonnent encore dans les pages et derrière un ton léger semblant primesautier se dessine une réflexion sur la société individualiste que la crise sanitaire a renvoyé en boomerang dans la figure des hommes.

Combien de fois sommes nous interpellés ? Souvent, très souvent. Sommes-nous pour autant touchés ? Pas certain. C’est là que se joue ce roman, chevauchant sur l’art qui s’éloigne de la beauté pour montrer la laideur du monde, de ce que l’humain est capable de faire et, encore pire, sur sa capacité à détruire. Banalisation de l’effondrement de l’autre pour protection individuelle, regard de proximité malgré la mondialisation. Marina Abramovic défie les humains : en rendant un corps accessible d’aucuns sont capables des plus viles intentions. Eric Fottorino signe un roman qui fait résonner les systèmes d’alerte pour que les raisons cessent de s’égarer.

Même si à titre personnel j’estime que l’art se doit d’être beau pour supporter les affres de l’existence, une belle claque peut être un geste salutaire pour réveiller les consciences endormies. Parfois, il suffirait d’un geste pour que la face du monde puisse changer. Collectivement. Avec humilité. Prendre soin des autres et prononcer deux mots : « après vous ».

« Je décidai non plus de baisser le son, mais d’éteindre la télé. Au messianisme à la petite semaine, je préférais le silence, écouter le silence à l’intérieur de moi ».

« Elle s’était tenue au strict nécessaire, combien tu veux de tomates, d’oranges, de pommes, pour quand les avocats ? On n’avait pas blagué, je ne l’avais pas félicitée pour sa nouvelle coupe de cheveux – de toute façon, un autre virus dissuadait les hommes de complimenter les femmes pour leur grâce. Et quand elle s’était dirigée vers l’extérieur de l’étal, là où je pouvais enfin voir son visage sans protection pour qu’elle me tende mes sachets – mais pas sa joue à embrasser -, je ne m’étais pas attardé ».

« Marina A était sans doute la seule lanceuse d’alerte au monde à crier sans un mot, à écrire avec son corps, son sang, ses silences ».

Marina A – Eric Fottorino – Editions Gallimard – Janvier 2021

lundi 1 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Giono, furioso
Emmanuelle Lambert

 


Furioso, comme l’aurait peut-être aussi décrit Ludovico Ariosto, lui aussi poète comme Jean Giono, observateur des mœurs et des comportements chaotiques des humains. Emmanuelle Lambert par une écriture parfois proche de celle du roman fait de l’écrivain provençal une sorte de personnage de conte qui semble avoir chevauché le vingtième siècle comme une époque de la Renaissance après avoir essuyé toute la laideur de la Première guerre mondiale.

L’écrivaine a une passion pour Jean Giono, aucun doute. Mais une passion raisonnée, loin de tout fanatisme, ce pourquoi on peut lire son ouvrage avec empathie. Car elle n’hésite pas à envoyer quelques piques ou à s’interroger sur le comportement réel du « papa » du célèbre Angelo sous l’Occupation ; à juste titre.

S’adressant quelquefois directement à l’écrivain, elle repasse sa vie au gré des événements marquants – notamment la guerre 14-18 où Giono fut choqué à jamais – et de ses ouvrages qui sont loin d’être toujours une ode à la joie. C’est là tout le paradoxe du personnage, j’en avais l’impression et mes doutes d’amateur sont confirmés par un regard professionnel : aussi poétique que réaliste, aussi contemplateur qu’acteur, autant à représenter la vie que la mort, optimiste un jour, pessimiste le lendemain, amoureux de sa femme comme de ses maîtresses… seule certitude, apôtre de la paix et farouchement opposé à la vésanie de la finance.

Comme tout écrivain, il puisera son inspiration sur le vécu, sur ses idéaux, sur ses relations. De ses parents, il voue un amour sans faille à son père, pour sa mère tout est plus ombrageux. De ses amis, il portera toujours dans son cœur son compagnon de combat arraché par les griffes de la guerre et sera souvent fidèle en amitié. L’occasion de remettre en lumière un bien oublié Lucien Jacques.

L’occasion de retrouver aussi les livres de Giono, ceux lus dans mon enfance et de découvrir ceux vers lesquels je n’ai encore pris comme compagnons d’une soirée.

Furioso. Ma non troppo.

« Il ne faut jamais prendre ce qu’un écrivain dit pour argent comptant. Surtout Giono, qui, ravi de ses qualités de conteur, aimait beaucoup se raconter lui-même. Il avait la passion de l’invention, cette tendresse de l’esprit qui n’est pas exactement le mensonge, mais un endroit où la réalité qu’on raconte est tordue, à peine déformée par rapport à la vérité, un tout petit peu plus belle, ou agréable ».

« Que ce grand bavard ait eu pour idéal le silence de la communication lorsqu’elle s’efface devant la poésie ne doit pas surprendre. Giono, en ce sens, est un poète parmi d’autres. Mais il le fait en malaxant une telle glaise romanesque, les pieds si fermement sur terre, avec un attachement si permanent aux choses concrètes longuement décrites dans le toucher, dans l’odorat, à travers de longues phrases orales, de longues vagues de parole, que les moments où le silence advient stupéfient le lecteur ».

Giono, furioso – Emmanuelle Lambert – Editions Folio – Septembre 2020

  Noisette saint-amandoise Pour Noisette livresque   Il était une fois au cœur de la France, une ville entourée de petites collines ...