Souvenirs d'un médecin d'autrefois

samedi 27 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le flambeur de la Caspienne
Jean-Christophe Rufin

 


Sans connaître une once des dessus et dessous du monde diplomatique  une chose est pourtant certaine : ses représentants ne peuvent être repérés par des effluves de naphtaline et le mot « casanier » est rayé de leur vocabulaire. Bien que piètre élément du Quai d’Orsay, le sieur Aurel Timescu, électron libre de la diplo,  suit les mêmes règles et c’est en Azerbaïdjan que l’on retrouve ce fin limier dont le flair est aussi redoutable qu’un chien de Saint-Hubert.

Quittant les souffles de l’harmattan, le petit Consul va s’engouffrer dans ceux du khazri et du gilavar en arrivant à Bakou comme consul adjoint d’une certaine Amélie. Tombant sous le charme de cette ville aux allures haussmanniennes, il est enfin satisfait de cette nouvelle nomination bien que c’est l’effet inverse qui était recherché au Ministère des Affaires Etrangères pour cet encombrant titulaire. En arrivant au siège de l’Ambassade, il est surpris par le ton compassé des uns et des autres, ambiance feutrée en signe de deuil : l’épouse de l’ambassadeur a fait une chute accidentelle en allant photographier la citadelle d’Ordubad dans la province quasi-inaccessible du Nakhichevan. Sensible comme la rosée du matin, Aurel ne peut que s’émouvoir de ce tragique événement, sentiment amplifié lorsqu’il regarde les différents portraits installés pour rendre hommage à cette première dame. Pourtant, lorsqu’il répond à la convocation du grand chef, l’empathie a tourné casaque mais disons tout de suite que l’ambassadeur n’a pris guère de gants pour signifier à cet être – d’apparence – insignifiante et grotesque qu’il allait tout faire pour le renvoyer dans les plus brefs délais en lui demandant qu’une seule faveur, ne rien faire avant le retour dans une autre écurie ! A cet instant, Aurel aurait pu se mettre à jouer au piano un air de Tosti : Ideale ! D’autant plus que le décès accidentel ne convainc pas le diplomate d’origine roumaine, son emploi du temps sera donc consacré à chercher la vérité.

Je ne sais si le Tokay mûrit agréablement au fil des ans mais une chose est désormais certaine c’est qu’une plume devient organoleptique en traçant de plus en plus finement le personnage, en y ajoutant de la complexité et une finesse de goût qui fait saliver les cellules liseuses. Mais pas que. Ce nouvel opus, qui dès le départ prend un mouvement allegro, est une occasion subliminale de relater les méandres politico-diplomatiques de la planète, de jongler entre authenticité et absurdité, de s’amuser à croquer les personnalités en dehors des apparences, de faire voyager les lecteurs vers d’autres horizons et de soulever quelques tapis de cabinet qui regorgent de curiosités. Quelques éléments nouveaux font épaissir Timescu – au propre comme au figuré – et ses extravagances se multiplient dans de nombreux domaines, principalement dans la mode masculine et sa création musicale, n’hésitant pas un faire medley des genres musicaux jusqu’à incorporer des éléments d’un requiem dans un oratorio.

Quant à l’humour, c’est indéniablement l’une des marques de fabrique de Jean-Christophe Rufin pour cette série aussi truculente que caustique, faisant d’Aurel Timescu presque un charmeur. Une enquête inclassable où se mêlent géopolitique, carnets de voyage, psychologie et bien d’autres choses encore. Lecture flamboyante depuis les bords de la mer caspienne jusqu’aux vagues carnavalesques de Rio de Janeiro.  

« Aurel entendit crier son nom et mit un instant à reconnaître Jean-Louis. Le gendarme s’était changé. Il portait un jean et un tee-shirt noir sur lequel était écrit en français : Mort aux vaches ».

« Aurel se dirigea vers sa penderie et prit le premier pantalon venu. C’était une salopette en jean. Il la passa, fourra dedans les pans de sa chemise de soirée et enfila les bretelles. Au moins, pensa-t-il, la question toujours délicate de la ceinture était réglée. Il tira une veste au hasard, un blazer de yachting à boutons dorés qu’il aimait porter au printemps. Par association d’idées, il pensa qu’il aurait froid et il saisit un gilet en laine rouge cirque, sans forme. Il l’enfila par-dessus le blazer, tout en ayant vaguement conscience qu’il ne faisait pas les choses dans le bon ordre ».

Le flambeur de la Caspienne – Jean-Christophe Rufin – Editions Flammarion – Juin 2020

Les chroniques des précédentes enquêtes sont à retrouver ici et ici


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