Une noisette, un livre
Le Stradivarius de Goebbels
Yoann Iacono
Qui se souvient de Nejiko Suwa ? Qui même connait son nom ? Elle fait partie de ces personnages de l’histoire qui revivent un peu par la magie des livres et des plumes.
Seconde Guerre mondiale. Le Japon est allié avec l’Allemagne nazie. Les relations entre les deux nations sont omniprésentes et c’est à celle qui remportera la sinistre course à l’horreur et à la torture. Pourtant dans ce pandémonium du vingtième siècle, un art qui aurait pu adoucir les mœurs restera bien vivant : celui de la musique classique, à condition qu’elle ne soit pas issue de compositeurs classés comme dégénérés – c'est-à-dire non conforme à l’idéologie du III° Reich et d’écriture juive. Le raffinement barbare va jusqu’à créer des orchestres dans les camps de la mort, comme quoi la culture n’est pas la voie infaillible contre la cruauté.
Dans l’entourage d’Hitler, le musicologue Herbert Gerigk – musicien raté – s’emploie à rédiger des ouvrages en faveur de la musique digne d’être glorifiée et à rechercher tous les instruments appartenant à des musiciens juifs pour les récupérer. Parmi son butin, un Stradivarius – qui en réalité serait un Guarneri – appartenant à Lazare Braun, déporté par le convoi 77 et qui périra avec sa famille à Auschwitz. La récipiendaire est une jeune virtuose japonaise, Nejiko Suwa. Sa destinée sera impactée à jamais à ce cadeau de Goebbels.
Le primo-romancier Yoann Iacono s’est attaché à reconstruire le plus scrupuleusement possible l’histoire de cette musicienne en s’attardant sur la période qui déterminera le reste de sa vie, entre 1943 et les années 50. Proche du document, il a créé néanmoins un narrateur pour laisser libre l’imagination des dialogues.
Un roman aux accents de valse triste, sombres mots sur un crépuscule de l’inhumanité autour d’un instrument et de celle qui tiendra l’archet devant des officiels nazis, puis, la guerre terminée, devant des officiels américains. Une roue qui tourne inlassablement dans les méandres des hautes autorités et des arrangements de circonstance : l’empereur Hirohito, pourtant bienveillant envers Hitler et ses sbires, sera récupéré par les Américains face au péril rouge. Et peu importe si quelques diplomates ont les mains tâchées de sang. Cela rappelle une autre aventure, celle des premiers pas sur la lune et de l’ingénieur du camp de Dora, Wernher von Braun.
Mais Nejiko Suwa, elle, n’était pas responsable de ce vol de violon. Elle a été choisie, emportée par le tourbillon d’une époque où jouer n’était pas forcément être en accord avec les autorités ; exilée en Allemagne et en France, manipulée contre son gré par quelques profiteurs machiavéliques et amoureuse du séduisant diplomate Oga Koshiro avec qui elle finira par se marier des années plus tard. Attachée à ce violon et désirant le conserver comme son bien le plus précieux, elle aura des difficultés à l’apprivoiser et progressivement une mélancolie l’envahira puis une espèce de culpabilité qui l’entraînera vers la dépression.
Un concerto en mode majeur, maîtrisé avec la précision d’un métronome, et, qui monte crescendo au fil des pages écrites par un crayon qui semble taillé dans un épicéa pour refléter toute l’âme d’une tragédie mondiale et de l’insanité des guerres. Avec quelques passages jazzy pour détendre l’atmosphère.
« La petite fille et sa mère l’observent, médusées, prendre l’archet et commencer à jouer une sonate pour violon de Dvorak : Indian Lament. La peur se mêle d’émotion. L’esprit de Nejiko s’éloigne progressivement de l’abri plongé dans l’obscurité. Nejiko voyage, elle est dans le quartier de Shiba à Tokyo, dans cette rue qu’elle aimait tant lorsqu’elle jouait avec ses amis. Oga la fixe intensément mais de si loin ».
« Nejiko l’a appris au contact de Goebbels : la guerre et sa continuation ne sont qu’affaire de communication et de propagande maîtrisée. Dans ce domaine, les Américains ne sont pas en reste. Douglas MacArthur tient ainsi à ce que l’Empereur du Japon soit mis hors de cause dans le procès de Tokyo qui s’ouvre. Les anciens ministres et les généraux de l’armée, les ambassadeurs à Berlin, à Rome, ceux-là doivent être reconnus coupables de la doctrine expansionniste du Japon, mais pas Hirohito. Lui, il s’agit de l’utiliser pour maintenir la stabilité du pays, de l’exhiber comme la marionnette d’un folklore passé, en guise du repoussoir du communisme ».
« Mars 1951. Impossible de laisser le monde une seconde sans surveillance. L’homme est insatiable en matière d’hégémonie et de guerre, de puissance et de sauvagerie ».
« Mais la paix demeure toujours fragile quand elle ne repose pas sur un vigilant travail de mémoire. Ce jour-là, qui se souvient que c’est Hitler qui a instauré le symbole du relais de la flamme olympique aux jeux de Berlin en 1936 ? »
Le Stradivarius de Goebbels – Yoann Iacono – Editions Slatkine & Cie – Janvier 2021
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