Une noisette, un livre
La nuit des orateurs
Hédi Kaddour
Herennius Selecio. Philosophe sous le soleil de Rome au Ier siècle, il plaide la cause de Baebius Massa pour attaquer le pouvoir impérial. Pour enfoncer le clou dans le cercueil, il publie l’éloge d’un autre philosophe stoïcien : Gaius Helvidius, exilé puis mis à mort sous Vespasien. Il cherche des soutiens prestigieux et les trouve avec Pline le Jeune et un certain Publius Cornelius, sénateur avec d’autres fonctions glorieuses à son actif, et, plus connu sous le nom de Tacite. Mais ces trois têtes risquent de tomber bien que Tacite soit proche de l’empereur. Nous sommes sous le règne de Domitien. Et si Le Tibre s’écoule majestueusement à Rome il est témoin de flots de sang provoqués par cet homme impitoyable, cruel, qui aime encore plus faire assassiner ses amis que ses ennemis, qui « tue comme il éternue » et aime offrir un sourire carnassier devant sa prochaine victime. Entre deux condamnations, il aime torturer les mouches avec un poinçon. Pourtant, une femme va oser l’affronter. Elle le connait, sait qu’il aimerait avoir ses faveurs, elle, la superbe romaine qui fait enrager la prostituée Flavie, la maîtresse de son mari. Oui, son mari, qui se nomme Tacite. C’est le début de l’histoire, de cette histoire d’orateurs dans les ténèbres des effluves romains, Lucretia dans une longue nuit qui s’annonce dans des combats de l’esprit où la poésie trouve une place au milieu d’un cirque de haine et de jalousie.
Loin d’être des vacances romaines, ce nouveau roman de Hédi Kaddour est un récit au vitriol sur l’emprise politique, sur un Domitien sans foi ni loi – sûrement en s’inspirant des carnets de Pline le Jeune – et sur cette cour prête à également torturer amis ou ennemis pour obtenir le droit de vivre. Un droit précaire. Courtisans, affranchis, esclaves… quel que soit le rang auquel on accède on peut terminer du jour au lendemain dans les caves de l’enfer, fouetté à coups de verges et brûlé à petit feu pour faire durer le plaisir. Les rumeurs se réjouissent, les complots frétillent. Et même quand ils n’existent pas, du haut du Mont Palatin on les invente. Un jeu comme un autre dans un labyrinthe machiavélique.
Mais l’histoire ne s’arrête pas aux faits. Elle s’habille de toges, de drapés, de tuniques, elle se mélange aux couleurs, aux parfums doucereux, au miel, aux fleurs. Elle rampe dans la boue, dans l’immondice, les odeurs de cadavres et de pourriture. Elle se cogne aux félins, surveille les flambeaux, rencontre les dieux, de Jupiter à Minerve en passant par Priape car tous les appétits charnels sont légion. Avec parfois une étrange modernité….
Impérial !
« Les tyrans ne sont pas aimés et ils se vengent en faisant en sorte que les citoyens ne s’aiment pas entre eux ».
La nuit des orateurs – Hédi Kaddour – Editions Gallimard – Janvier 2021
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