Une noisette, un livre
Giono, furioso
Emmanuelle Lambert
Furioso, comme l’aurait peut-être aussi décrit Ludovico Ariosto, lui aussi poète comme Jean Giono, observateur des mœurs et des comportements chaotiques des humains. Emmanuelle Lambert par une écriture parfois proche de celle du roman fait de l’écrivain provençal une sorte de personnage de conte qui semble avoir chevauché le vingtième siècle comme une époque de la Renaissance après avoir essuyé toute la laideur de la Première guerre mondiale.
L’écrivaine a une passion pour Jean Giono, aucun doute. Mais une passion raisonnée, loin de tout fanatisme, ce pourquoi on peut lire son ouvrage avec empathie. Car elle n’hésite pas à envoyer quelques piques ou à s’interroger sur le comportement réel du « papa » du célèbre Angelo sous l’Occupation ; à juste titre.
S’adressant quelquefois directement à l’écrivain, elle repasse sa vie au gré des événements marquants – notamment la guerre 14-18 où Giono fut choqué à jamais – et de ses ouvrages qui sont loin d’être toujours une ode à la joie. C’est là tout le paradoxe du personnage, j’en avais l’impression et mes doutes d’amateur sont confirmés par un regard professionnel : aussi poétique que réaliste, aussi contemplateur qu’acteur, autant à représenter la vie que la mort, optimiste un jour, pessimiste le lendemain, amoureux de sa femme comme de ses maîtresses… seule certitude, apôtre de la paix et farouchement opposé à la vésanie de la finance.
Comme tout écrivain, il puisera son inspiration sur le vécu, sur ses idéaux, sur ses relations. De ses parents, il voue un amour sans faille à son père, pour sa mère tout est plus ombrageux. De ses amis, il portera toujours dans son cœur son compagnon de combat arraché par les griffes de la guerre et sera souvent fidèle en amitié. L’occasion de remettre en lumière un bien oublié Lucien Jacques.
L’occasion de retrouver aussi les livres de Giono, ceux lus dans mon enfance et de découvrir ceux vers lesquels je n’ai encore pris comme compagnons d’une soirée.
Furioso. Ma non troppo.
« Il ne faut jamais prendre ce qu’un écrivain dit pour argent comptant. Surtout Giono, qui, ravi de ses qualités de conteur, aimait beaucoup se raconter lui-même. Il avait la passion de l’invention, cette tendresse de l’esprit qui n’est pas exactement le mensonge, mais un endroit où la réalité qu’on raconte est tordue, à peine déformée par rapport à la vérité, un tout petit peu plus belle, ou agréable ».
« Que ce grand bavard ait eu pour idéal le silence de la communication lorsqu’elle s’efface devant la poésie ne doit pas surprendre. Giono, en ce sens, est un poète parmi d’autres. Mais il le fait en malaxant une telle glaise romanesque, les pieds si fermement sur terre, avec un attachement si permanent aux choses concrètes longuement décrites dans le toucher, dans l’odorat, à travers de longues phrases orales, de longues vagues de parole, que les moments où le silence advient stupéfient le lecteur ».
Giono, furioso – Emmanuelle Lambert – Editions Folio – Septembre 2020
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