mardi 23 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Dora Maar et le Minotaure
Slavenka Drakulic

 


1935. Dora Maar est photographe pour le film de Jean Renoir « Le crime de Monsieur Lange ». La jeune femme aux origines diverses se sent bien à Paris et semble s’épanouir avec les surréalistes qu’elle fréquente dont Paul Eluard qui lui présentera Pablo Picasso dans l’un des plus célèbres cafés germanopratins.

Un an plus tard, le couple est déjà sur les ailes de l’errance et Picasso peint « Dora et le Minotaure », tableau d’un érotisme cruel mais qui illustre à la perfection la relation entre le « Maître » et sa nouvelle muse, une relation perdue dans un labyrinthe de domination, de supériorité, de sexe. Un sexe proche du cannibalisme avec l’ogre Picasso.

Pour ce journal intime fictif, l’écrivaine Croate Slavenk Drakulic ne pouvait choisir meilleur titre que cette toile si représentative de l’histoire de ce couple et de la charge destructrice qui s’ensuivra. Le récit commence lorsqu’ Henriette Theodora Markovitch, son vrai nom, sort de l’hôpital Sainte-Anne après avoir subi de terribles électrochocs. Nul ne sait qui l’a fait interner mais c’est Jacques Lacan qui signera un bon de sortie et suivra sa patiente pour encore quelques années. Sa séparation avec Picasso ne passe pas, l’humiliation face à la nouvelle maîtresse est le coup de pinceau qui a fait dériver la désormais ex-muse.

Mais remontons au commencement, de cette enfance en Argentine, du rideau blanc qui séparait sa chambre à celle de ses parents et qui deviendra une obsession – une sorte d’Œil – de sa mère pieuse et autoritaire, de son père séducteur et volage. La jeune Dora ne sait qui elle est, elle vit à Buenos Aires, ses gènes sont français et croate. Quand elle se met au tango, la mère décide de retourner à Paris et emmène sa fille par crainte qu’elle devienne une « francesa ». Mais Dora semble indomptable, prête à tout pour imposer sa liberté et assouvir sa passion de la photographie, elle se met en couple avec Georges Bataille, sa réputation ne sera alors plus à faire quant à sa sexualité. Puis, la rencontre avec Picasso. Malgré que l’artiste continue à fréquenter ces précédentes maîtresses, Dora accepte tout. Par amour. Un amour qui ira de Charybde en Scylla.

Un récit qui se lit comme un roman, captivant dès les premières pages et ce jusqu’aux dernières lignes. Un regard objectif sur cette femme affranchie mais qui finira par se replier sur elle-même pour terminer humblement, presque en ascète et terriblement aigrie. A partir des cahiers réels de la photographe,  on réalise très bien les tourments de la jeune femme, elle qui a immortalisé par des clichés Pablo peignant Guernica, un Pablo d’ailleurs beaucoup moins engagé comme on a pu le faire croire et qui a traversé l’Occupation sans aucun souci. Intéressant également cette comparaison entre Le Minotaure et l'Origine du Monde de Courbet. Deux tableaux provocateurs mais ô combien différents dans l’approche et la signification.

Un beau portait d’une femme victime de son propre destin. Un livre qui fait écho à celui de Marina Picasso « Grand-père ».

« Il nous avait montré, par son comportement comme par ses peintures, que le rapport sexuel ne signifiait ni plus ni moins qu’un acte de cannibalisme. Il consistait non seulement à consommer le corps, mais également à posséder l’être tout entier (…). Celui qui se nourrit ainsi de chair féminine vivante doit avoir en lui quelque chose d’animal, de minotaure. Une personne créative est dangereuse pour autrui, car elle n’a pas d’égards, elle prend, s’approprie, vole, consomme, dévore, détruit tout sur son passage. Elle aspire l’énergie des gens qui l’entourent, et leurs vies aussi. Bien souvent, elle n’est même pas consciente du mal qu’elle leur fait ».

Dora Maar et le Minotaure – Slavenka Drakulic – Traduction : Chloé Billon – Editions Charleston – Février 2021

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