mercredi 3 février 2021

 

Une noisette, un livre
 
Marina A
Eric Fottorino

 


Marina A. Marina Abramovic. A l’instar du narrateur, le Docteur Paul Gachet, je ne connaissais pas cette performeuse d’origine serbe et qui a fait le tour du monde en s’arrachant le corps devant des milliers de visiteurs. Une lanceuse d’alerte par la mutilation du corps. L’art non pas pour sublimer mais pour une violence à réparer.

Chirurgien orthopédiste dans un service pédiatrique, le narrateur passe, avec son épouse et sa fille, quelques jours dans une ville à musée ouvert, Florence. Leurs pas ne songent qu’à suivre les traces de Boticelli, Donatello, Da Vinci… mais un tremblement de terre artistique provoque un séisme intérieur, le protagoniste est bouleversé par les affiches mettant en scène Marina Abramovic. Visites, recherche d’information, observation d’images, l’obsession est proche. Choc psychologique contre violence artistique, plus besoin du poids des mots, la vision d’une femme qui nettoie des squelettes, s’attache avec son compagnon, expose son corps et laisse le public libre de faire ce qu’il veut avec déclenche un big-bang chez celui qui a pour métier de réparer des os brisés. Métaphore littéraire pour roman en mode warning sociétaire.

Deux ans plus tard, un soi-disant pangolin farceur envoie un cataclysme planétaire par le messager Coronavirus, nom de code : Covid-19. Notre narrateur songe toujours à la provocante Marina, d’autant plus qu’en plein confinement son cerveau bascule et son corps nécessite un repos confiné. Les métaphores tourbillonnent encore dans les pages et derrière un ton léger semblant primesautier se dessine une réflexion sur la société individualiste que la crise sanitaire a renvoyé en boomerang dans la figure des hommes.

Combien de fois sommes nous interpellés ? Souvent, très souvent. Sommes-nous pour autant touchés ? Pas certain. C’est là que se joue ce roman, chevauchant sur l’art qui s’éloigne de la beauté pour montrer la laideur du monde, de ce que l’humain est capable de faire et, encore pire, sur sa capacité à détruire. Banalisation de l’effondrement de l’autre pour protection individuelle, regard de proximité malgré la mondialisation. Marina Abramovic défie les humains : en rendant un corps accessible d’aucuns sont capables des plus viles intentions. Eric Fottorino signe un roman qui fait résonner les systèmes d’alerte pour que les raisons cessent de s’égarer.

Même si à titre personnel j’estime que l’art se doit d’être beau pour supporter les affres de l’existence, une belle claque peut être un geste salutaire pour réveiller les consciences endormies. Parfois, il suffirait d’un geste pour que la face du monde puisse changer. Collectivement. Avec humilité. Prendre soin des autres et prononcer deux mots : « après vous ».

« Je décidai non plus de baisser le son, mais d’éteindre la télé. Au messianisme à la petite semaine, je préférais le silence, écouter le silence à l’intérieur de moi ».

« Elle s’était tenue au strict nécessaire, combien tu veux de tomates, d’oranges, de pommes, pour quand les avocats ? On n’avait pas blagué, je ne l’avais pas félicitée pour sa nouvelle coupe de cheveux – de toute façon, un autre virus dissuadait les hommes de complimenter les femmes pour leur grâce. Et quand elle s’était dirigée vers l’extérieur de l’étal, là où je pouvais enfin voir son visage sans protection pour qu’elle me tende mes sachets – mais pas sa joue à embrasser -, je ne m’étais pas attardé ».

« Marina A était sans doute la seule lanceuse d’alerte au monde à crier sans un mot, à écrire avec son corps, son sang, ses silences ».

Marina A – Eric Fottorino – Editions Gallimard – Janvier 2021

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