Une noisette, un livre
Les trois femmes du
consul
Jean-Christophe Rufin
Notre
cher Aurel a quitté l’Afrique de l’Ouest pour aller vers l’Afrique australe, au
Mozambique précisément. Si le consul adjoint est un nomade comme tout
diplomate, il a indéniablement une sédentarité de l’esprit : ne jamais
changer ses habitudes au gré des déplacements et bien faire comprendre à
ses supérieurs que sa fonction principale est de ne rien faire. Ou presque.
Seules deux occupations le motivent : les enquêtes pour rendre justice et
la musique.
Quelques
mois avant de trouver un logement, Aurel Timescu séjourne dans un hôtel de
Maputo aussi étrange que bizarre : la Résidence dos Camaroes a la particularité de n’héberger aucun client.
Ceux qui s’y sont risqués ayant déguerpi aussi vite qu’une gazelle devant un
lion, le lion étant un vieux félin au pelage tout élimé, passablement lubrique mais
toujours rugissant quand il s’agit de donner des ordres. Jusqu’au jour où ce Béliot est retrouvé noyé dans sa piscine. Assassiné.
Aurel
ne pouvait mieux commencer son nouveau séjour, surtout qu’il trouve enfin un
supérieur hiérarchique, Didier Mortereau, à sa convenance, un jeune perdreau qu’il
tentera d’utiliser comme pâte à modeler grâce à la dextérité de ses doigts de
pianiste et son infaillible « stratégie de résistance passive ».
Il
commence par aller rendre visite à Françoise détenue en prison et accusée du
meurtre de son ex-mari. Là, il apprend que Béliot a deux autres femmes,
Fatoumata et Lucrecia. Mais c’est sans compter qu’une histoire parallèle se
déroule en même temps, un sordide braconnage aussi gigantesque que les
éléphants sans défense et Laurel va devoir jouer sans fausses notes… surtout
quand l’ambassadeur, Jocelyn de Pellepoix de la Neuville, sera de retour d’Afrique
du Sud…
Ce
deuxième épisode de l’enquêteur Aurel (le premier étant Le suspendu de Konakry)
est un pur délice mêlant évasion, humour et petites piques sur les attitudes
humaines et les méandres dans lesquels elles se fondent, se confondent. Sans
jamais quitter le travail de limier qu’effectue le consul au gré de ses
humeurs, de la quantité de vin blanc ingurgité et de ses inspirations
musicales, des Beatles à Johnny Halliday en passant par Schubert, Satie,
Chostakovitch, le tout avec la maestria d’un Barenboim qui donnerait le tempo
avec une baguette invisible mais singulièrement redoutable.
Jean-Christophe
Rufin place ses mots comme s’il était devant un échiquier, positionnant ses
personnages comme des pions, certains isolés, d’autres en pièces majeures.
Savant dosage pour ne jamais mettre l’écriture en échec. Un jeu
livresque où verve et fantaisie se rejoignent pour rythmer une investigation qui
ne peut que ravir le lecteur. Lecteur bientôt en pâmoison (si ce n’est déjà
fait) devant ce personnage d’Aurel qui casse les codes et s’amuse à
déstabiliser ses interlocuteurs avec la sagesse d’un fou et la légèreté d’un saugrenu
rebelle. Voltigeant comme le panache.
« Elle baissa les
yeux sur elles et Aurel les regarda aussi. C’étaient des mains carrées, très
soignées. Les bagues qu’on avait dû lui retirer à l’entrée laissaient des
traces blanches sur le bronzage. Il y avait quelque chose d’impudique dans ces mains.
Elles révélaient une sensualité, une coquetterie, une avidité charnelle et, en
même temps, elles semblaient porter la trace de travaux de force ».
« Ce que les
diplômes peuvent rendre stupide, tout de même… Aurel, sans rien laisser
paraître, était affligé. Dieu sait qu’il aimait la France, pays qui l’avait
littéralement racheté et tiré des griffes de Ceausescu. Mais il ne s’était
jamais résolu à ce système de concours qui permettait d’obtenir à vingt ans un
avantage à vie, qui classait les individus en castes et protégeait à jamais des
nigauds du calibre de Mortereau ».
« Tout le monde
connaissait la maison Eiffel à Maputo. C’était une construction entièrement
métallique, édifiée selon des plans d’Eiffel lui-même. L’idée n’était pas
mauvaise en soi. Malheureusement, dans un pays où le soleil tape aussi fort,
cette boîte en métal était plutôt une sorte d’ancêtre du four à micro-ondes ».
Les trois femmes du
consul – Jean-Christophe Rufin – Editions Flammarion – Octobre 2019
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