Une noisette, un livre
La fantasia
Loris Chavanette
« J’avais
tant de fois désiré l’Orient que je le regardais de tous mes yeux et croyant à
peine ce que je voyais » Eugène Delacroix
Loris
Chavanette a également regardé de tous ses yeux cette terre algérienne et offre
un roman à l’image d’un tableau : une palette de mots, des nuances dans
les phrases, des pages en couleur pour une perspective livresque qui plonge le
lecteur dans un espace d’émotions et d’impulsions humaines.
L’histoire
commence à Montpellier avec Antoine, étudiant qui rend visite à sa grand-mère
Marianne. Entre eux, ce sont des relations assez tendues sans aucune réelle
chaleur malgré le soleil qui a façonné cette famille originaire d’Algérie et
qui a pris dans les années cinquante le chemin de l’exil, un retour en France avec
larmes et regrets. Marianne est aidée par Naoel qui est la fille de l’employé
de maison lorsque Marianne et son époux Georges habitaient Mostaganem. Entre
elles, c’est une amitié irréversible.
Au
crépuscule de sa vie, Marianne décide de révéler son secret ; après en
avoir longuement parlé avec Antoine et
Naoel, elle remet à Antoine un carnet qu’elle a rédigé sur le bateau du retour.
Antoine va découvrir une femme qu’il ne connaissait pas et comprend pourquoi sa
grand-mère s’est réfugiée dans une sorte de mausolée de silence, dans la
solitude. Parce que son cœur est resté dans les montagnes de Tlemcen et qu’il
avait commencé à battre différemment lors d’une fantasia à l’issue tragique.
C’est
là que le récit prend une intensité incroyable et que la plume se transforme en
pinceau entre l’ocre du paysage, la tension d’un pur-sang qui se cabre, la
vision des cavaliers et des montagnes, le symbole des chevaux et de la
violence, la passion humaine et cette impression gigantesque de la liberté. Le
roman devient un carnet de voyage qui n’oublie pas de peindre l’histoire d’un
pays, ses blessures, ses croyances, ses forces et ses faiblesses où se mêlent
la mort et l’amour. Cet amour qui ne dure qu’un instant mais qui deviendra
éternel même quand l’âme se détache du
corps.
Un
premier roman qui peut, à première vue, sembler démarrer doucement, mais qui
galope progressivement vers des sommets scripturaux avec une fin qui mériterait
la danse des sept voiles pour toutes les métaphores des destinées.
« Antar, qui avait
repris ses esprits, m’expliqua que la qoubba devant laquelle nous étions
rendait hommage à Lalla Setti, la patronne de Tlemcen. Cette femme, de son vrai
nom Dawiya, était une des rares figures de la sainteté musulmane. D’après la
légende, cette fille de la noblesse arabe, née au XII° siècle à Bagdad, était
habitée d’une foi inébranlable. Elle aurait fréquenté la medersa de son père à
Bagdad et fait le pèlerinage à La Mecque. A son retour, elle enseigna l’islam
jusqu’à sa mort. Lalla Setti serait enterrée sur le plateau portant son nom,
célébrée par les femmes de Tlemcen qui venaient prier la saine pour qu’elle
soigne leurs maladies et les rende fécondes ».
« Antar me
conduisit alors à travers les oliviers jusqu’à un arbre épais, massif, ramassé
sur lui-même et produisant une ombre noire qui abritait parfaitement du soleil.
C’était un caroubier que l’on disait millénaire. Il se trouvait presque au bord
du précipice et surplombait un panorama superbe sur la ville et les remparts
qui la cerclaient. Tlemcen me parut s’étende comme une rose des sables qu’on
pouvait cueillir du regard ».
La fantasia – Loris Chavanette
– Editions Albin Michel – Janvier 2020
Prix Méditerranée 2020 du Premier Roman
Fantasia arabe par Eugène Delacroix |
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