jeudi 12 mars 2020


Une noisette, un livre


 J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi

Yoan Smadja




Ceci n’est pas un livre. C’est un être vivant. Un être qui vous regarde, qui raconte, qui souffre.
Ce livre c’est un cœur qui bat, qui palpite. Intensément. Qui risque de s’arrêter mais qui continue la lutte.
Ce livre est la vie ; il sourit, pleure, tremble, espère. C’est Eros contre Thanatos pour renaître au milieu des ténèbres. Au milieu des pages meurtries, déchirées, des pages tachées de sang, subsistent des effluves de vanilles, des mots d’espoir sur les feuilles du non-oubli pour montrer au monde que l’amour est plus fort que la haine, que l’amour c’est l’immortalité de l’âme.

Sacha est reporter de guerre. Le Liban, l’ex-Yougoslavie, la Somalie n’ont plus de secrets pour elle. En 2017, elle songe à cette année 1994, l’année où elle a demandé le divorce avec Dieu parce qu’elle a vu l’horreur, l’horreur au-delà de l’horreur, une autre « Shoah, une extermination de masse dans une succession de massacres insoutenables. Elle a vu des enfants assassinés, des couples séparées, des femmes enceintes éventrées. Elle a côtoyé la haine dans toute son obscénité. Elle était au Rwanda.
En recevant une enveloppe avec un carnet sur lequel une fleur est gravée sur le côté droit, elle se dit que les personnes lumineuses existent aussi, ces êtres qui malgré le poids du malheur continuent à porter un faisceau de brillance dans leurs veines. C’est Rose et ses lettres à Daniel. Rose, la muette qui parle avec sa plume.
Sacha se souvient de Daniel, ce médecin tutsi à la recherche de sa femme et de son fils, rencontré dans l’hôtel où elle logeait avec Benjamin le photographe. Daniel avait aidé comme il avait pu les journalistes et au fur et à mesure une touchante personnalité se dégageait de cet homme. Rose et Daniel, deux êtes perdus dans la géhenne d’une guerre civile où les voisins amis deviennent des ennemis sanguinaires.

C’est cette histoire fictive sur fond d’épouvantable réalité que raconte Yoan Smadja avec une force scripturale qui met le lecteur en totale symbiose avec les personnages jusqu’à en tirer des larmes, larmes de tristesse pour la capacité des humains à devenir des tortionnaires, larmes d’émotion pour la beauté du texte et des sentiments exprimés.
Narrer l’indicible est un hommage aux victimes de ce génocide, l’écrit permettant de ne pas enlever toute trace de ces milliers de vies arrachées, de ces femmes, comme Rose, qui subissent des viols devenus des armes de guerre.

« Au moment où l’ambassadeur a versé une larme, j’ai cru que la ville s’était mise à sentir la vanille, comme pour se souvenir de mon père ».

« J’ai cru qu’ils m’étouffaient. J’ai cru qu’ils effaçaient ce que nous avions vécu. J’ai cru qu’ils étaient des dizaines ou des milliers.
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi.
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de moi.
J’ai cru que je ne serais plus que poussière. A mesure qu’ils s’avançaient en moi, mon corps s’enfonçait dans la terre. Peut-être que la Rwanda et moi ne faisions plus qu’un. Ils nous ont violés au même instant. »

« L’humanité serait un no man’s land si telle étincelle trouant la nuit ne provoquerait pas de sursaut ».

J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi – Yoan Smadja – Editions Pocket / Mars 2020 – Editions Belfond / Avril 2019

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