Une noisette, un livre
J’ai cru qu’ils
enlevaient toute trace de toi
Yoan Smadja
Ceci
n’est pas un livre. C’est un être vivant. Un être qui vous regarde, qui
raconte, qui souffre.
Ce
livre c’est un cœur qui bat, qui palpite. Intensément. Qui risque de s’arrêter
mais qui continue la lutte.
Ce
livre est la vie ; il sourit, pleure, tremble, espère. C’est Eros contre
Thanatos pour renaître au milieu des ténèbres. Au milieu des pages meurtries,
déchirées, des pages tachées de sang, subsistent des effluves de vanilles, des
mots d’espoir sur les feuilles du non-oubli pour montrer au monde que l’amour
est plus fort que la haine, que l’amour c’est l’immortalité de l’âme.
Sacha
est reporter de guerre. Le Liban, l’ex-Yougoslavie, la Somalie n’ont plus de
secrets pour elle. En 2017, elle songe à cette année 1994, l’année où elle a
demandé le divorce avec Dieu parce qu’elle a vu l’horreur, l’horreur au-delà de
l’horreur, une autre « Shoah, une extermination de masse dans une
succession de massacres insoutenables. Elle a vu des enfants assassinés, des
couples séparées, des femmes enceintes éventrées. Elle a côtoyé la haine dans
toute son obscénité. Elle était au Rwanda.
En
recevant une enveloppe avec un carnet sur lequel une fleur est gravée sur le côté
droit, elle se dit que les personnes lumineuses existent aussi, ces êtres qui
malgré le poids du malheur continuent à porter un faisceau de brillance dans
leurs veines. C’est Rose et ses lettres à Daniel. Rose, la muette qui parle
avec sa plume.
Sacha
se souvient de Daniel, ce médecin tutsi à la recherche de sa femme et de son
fils, rencontré dans l’hôtel où elle logeait avec Benjamin le photographe.
Daniel avait aidé comme il avait pu les journalistes et au fur et à mesure une
touchante personnalité se dégageait de cet homme. Rose et Daniel, deux êtes
perdus dans la géhenne d’une guerre civile où les voisins amis deviennent des
ennemis sanguinaires.
C’est
cette histoire fictive sur fond d’épouvantable réalité que raconte Yoan Smadja
avec une force scripturale qui met le lecteur en totale symbiose avec les
personnages jusqu’à en tirer des larmes, larmes de tristesse pour la capacité
des humains à devenir des tortionnaires, larmes d’émotion pour la beauté du
texte et des sentiments exprimés.
Narrer
l’indicible est un hommage aux victimes de ce génocide, l’écrit permettant de
ne pas enlever toute trace de ces milliers de vies arrachées, de ces femmes,
comme Rose, qui subissent des viols devenus des armes de guerre.
« Au moment où
l’ambassadeur a versé une larme, j’ai cru que la ville s’était mise à sentir la
vanille, comme pour se souvenir de mon père ».
« J’ai cru qu’ils
m’étouffaient. J’ai cru qu’ils effaçaient ce que nous avions vécu. J’ai cru
qu’ils étaient des dizaines ou des milliers.
J’ai cru qu’ils
enlevaient toute trace de toi.
J’ai cru qu’ils
enlevaient toute trace de moi.
J’ai cru que je ne
serais plus que poussière. A mesure qu’ils s’avançaient en moi, mon corps
s’enfonçait dans la terre. Peut-être que la Rwanda et moi ne faisions plus
qu’un. Ils nous ont violés au même instant. »
« L’humanité serait
un no man’s land si telle étincelle trouant la nuit ne provoquerait pas de
sursaut ».
J’ai cru qu’ils
enlevaient toute trace de toi – Yoan Smadja – Editions Pocket / Mars 2020 –
Editions Belfond / Avril 2019
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