Une noisette, un livre
La dixième muse
Alexandra Koszelyk
« Ô muse, conte-moi l’aventure de l’inventif ». Ce vers d’Homère revient à l’esprit quand on tourne la dernière page du deuxième roman d’Alexandra Koszelyk. Sur les pas d’Apollinaire, le narrateur, Florent, va remonter l’histoire des neuf muses du poète dans un conte aux accents gothiques, mythologiques et lyriques. Un choc va se produire et c’est une dixième muse qui apparait, surgissant à la fois de la terre et du ciel pour un embrasement maternel total, une communion arboricole, un immense pont entre celui qui a loué celui de Mirabeau et notre mère à tous : Dame Nature.
Un ami de Florent l’appelle pour lui demander de le conduire au cimetière du Père-Lachaise pour dégager quelques canalisations prises dans les racines des arbres. Sachant que ce jeune professeur n’est pas au mieux de sa forme et qu’il faut le forcer à bouger un peu, c’est une occasion pour l’emmener dans un coin tranquille de la capitale et peut-être d’évacuer ce deuil qui prolonge Florent en état de léthargie, son père étant décédé six mois auparavant, lui orphelin de mère dès pratiquement sa naissance. Déambulant dans les allées, Florent s’évade progressivement, grimpe dans un arbre et un chat va le conduire jusqu’à la tombe d’un certain Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky. Révélation soudaine, emprise inexplicable catalysée par un morceau de bois mystérieux qu’il ramène chez lui. Peu gourmand de littérature, sa compagne Louise lit pour deux, il n’a qu’un désir, retrouver ce poète, savoir tout de lui. Une obsession commence dans un voyage fantastique au royaume des morts devenant plus vivants que jamais.
Alexandra Koszelyk, dans une langue fourmillant de sensibilité et de métaphores, entraîne le lecteur dans l’univers d’Apollinaire au milieu de ses muses – Marie Laurencin, Madeleine Pagès, Louise de Coligny, Jacqueline Kolb – mais aussi de sa mère, de Pablo Picasso, d’Henri Rousseau et d’une certaine Gaia, probablement les pages les plus majestueuses du roman. Avec l’aide d’une figure stylistique, la prosopopée, maniée avec tant de délicatesse que l’on imagine une plume convertit en patin à glace pour illustrer toutes les formes les plus imaginaires des vocables dans une brume fantomatique.
Un hymne à la fois à l’amour et à la nature qui, entre deux branches poétiques, réincarne non seulement Apollinaire mais aussi les dieux, créateurs de l’univers en proie avec l’un des ses représentants : l’homme. Amour omniprésent dans toutes ses formes grecques – de Philia à Eros – en parallèle avec la terre, le ciel et les plus nobles représentants de la planète : les arbres. Seulement, est-ce que cette immortalité de l’humanité et de ce qui l’entoure sera éternelle ? Apollinaire emportée à 38 ans par un virus et combien de ses compagnons de route ont trépassé sous les flammes de l’enfer de la guerre ! Grand temps de retrouver les bases de notre existence, de retrouver les bras de Gaia pour qu’elle ne désespère pas davantage et qu’elle reste notre muse à tous.
« Durant la période de l’âge d’or, l’air ardent portait le rire des hommes jusqu’à moi ; j’étais leur géante aux pieds d’airain, et ils me bénissaient chaque jour d’offrandes aussi riches que variées. Grâce au vent, les arbres me chuchotaient leurs messages, leur mélodie était constante, suave, charnelle et dansante ; la nuit, les branches ne cessaient de craquer sous le poids de leur mélopée rassurante. Je m’endormais rassurée, sur mes fines lèvres se dessinait le sceau de l’harmonie. Les dieux et les hommes faisaient partie d’un tout indistinct : quand la souffrance accablait les derniers, ils venaient s’allonger sous les branches et attendaient, confiants et conscients du savoir millénaire semé par le vent dans les branches. Une fois apaisés et guéris, ils repartaient. C’était à cet endroit que je délivrais mes oracles, sous de grands chênes, près d’une fissure du sol. Cronos lui-même venait y découvrir l’avenir ».
La dixième muse – Alexandra koszelyk – Editions Aux forges de vulcain – Janvier 2021
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