lundi 22 mars 2021

 

Une noisette, un livre
 
Cavalier noir
Philippe Bordas

 


Quel est ce cavalier chevauchant une monture de fer de Paris jusqu’au massif montagneux de la vallée du Neckar ? Un chevalier errant, un troubadour du XXI° siècle, un capitaine de son âme et maître de son destin ? Mystérieux, énigmatique, il est autant un personnage qu’un ectoplasme volant sur la partition d’une vie, les mots sonnant comme des notes pour une irrépressible virtuosité de la langue française baignée d’une symphonie sensuelle. Mélodie livresque oscillant entre ombres et lumières, la noirceur d’une mélancolie acide et l’éclat d’un amour envouté, c’est un roman en noir et blanc à lire pianissimi.

Le narrateur n’a qu’une idée. Fuir le vide. Le vide de son passé qui n’a été qu’une illusion, celle d’entrer dans la cour des grands pour suivre des hautes études littéraires. Ce banlieusard hors de son milieu a vite désenchanté au milieu de cette coterie, de ces effervescences stériles, de ces attitudes insipides lui provoquant des fièvres obsidionales et une irrépressible déliquescence  Surtout que dans sa tête, un mirage aux cheveux blonds et au corps sculptural ne cesse de tournoyer. Une muse, l’envoutante Mylena rencontrée au Burkina-Faso lors d’une mission effectuée par la jeune étudiante en médecine et qui l’a invité à la rejoindre dans son chalet perdu sur les hauteurs du Bade-Wurtemberg. C’est le début d’une valse des esprits et des corps sur rhapsodies érotiques mêlant voluptés et sentiments. Et quelques morceaux plus ou moins d’anthologie du déjà vécu mais qui reviennent dans un mouvement perpétuel.

Un roman qui renferme tous les arts, celui de la littérature mais aussi de la peinture, de la photographie, de la musique, de la sculpture. Philippe Bordas est un sculpteur de mots, il les assemble pour les projeter sur une toile aux mille teintes sans pour autant s’enfoncer dans un sinistre ballet baroque où le superflu est maître de cérémonie. Tout est en grâce, comme un couple de danseurs s’élançant sur les croupes des roches et enjambant des torrents d’instants de vie. Car une autre invitée est omniprésente : la nature et ses cascades d’ondes enchanteresses. Oui, ce roman est un tableau, une photo, une statue rendue vivante par l’Aphrodite Mylena et un concerto où Eros semble tenir la baguette.

« Ce n’est pas l’ascension qui m’émeut, mais l’enlèvement au ciel, cet engrènement des roues de la rotation des sphères célestes – cette course à l’étoile sur les cimes d’Europe adoucies par les glaciers et le rabot des migrations ».

« Mylena se retourne et les draps en torche s’enroulent sur son mollet. Ses cheveux masquent son visage, son souffle arrive sur mes yeux. Je ne jalouse pas sa torpeur sensuelle, cette innocence, quand le soleil m’offre sa nudité. C’est par la grâce de l’insomnie que je l’observe à satiété et vérifie l’effet de la pesanteur sur la courbure des seins, l’asymétrie de ses aréoles ».

« Maintenant que les sacrements de la pensée occidentale ont été réduits à pitié, la moindre citation d’un philosophe semble une indécence ».

Cavalier noir – Philippe Bordas – Editions Gallimard – Février 2021

 

 

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