Une noisette, un livre
Les derniers guépards
Patrick Reumaux
« Nous fûmes les Guépards, les Lions ; ceux qui nous
remplaceront seront les petits chacals, les hyènes… et tous, Guépards, chacals
et moutons nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre ».
Comment oublier Palerme ? Cette Sicile du Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui en un seul livre dressera le portrait de ses compères de la noblesse sicilienne et de la bourgeoisie naissante en s’inspirant de sa propre famille, son père, ses grands-tantes jusqu’à son fils adoptif, Tandredi. Lui l’observateur devient avec cet essai de Patrick Reumaux l’arroseur arrosé.
On découvre plus amplement l’histoire des aïeux, le père Giulo Marie Tomasi, bien falot, la mère Béatrice Tasca Filangeri di Cuto, vrai personnage de roman et figure tutélaire, mais aussi son épouse Alessandra Wolff Stormesee, dite Licy en guerre avec sa belle-mère et spécialiste du loup-garou…
Autour des princes et des princesses, sans sou ou sans plus de sou à force de dilapider les pièces sonnantes et trébuchantes dans ces extravagances que seuls ceux qui se croient immortels ont l’art de pratiquer. Bel exemple avec ce duc de Belsito qui pensa faire fortune au Danemark en vendant des chaussures italiennes et autres spécialités de la péninsule, il revint ruiné et se trouva expulsé de sa vaste demeure pour cause de construction d’une route touristique… un parmi d’autres qui illustre le déclin de ces félins du XX° siècle.
Un récit inclassable – qui peut d’ailleurs plus que surprendre par son style et le côté bordélique de la narration, non dénuée d’humour – mais qui égrène une caste environnée d’art et de débauche, où un poète parle aux ectoplasmes et où un barbier – pas celui de Séville évidemment mais la ressemblance n’est pas loin – est le dépositaire attitré de la mémoire de l’île. Dialogues authentiques, extraits des écrits de Lucio Piccolo et autres plumes de l’époque, anecdotes croustillantes et tragiques, font de cet ouvrage une source pour mieux encore comprendre tout ce que le prince di Lampedusa a voulu transmettre dans son roman, un roman au final crépusculaire qui n’apparait d’ailleurs pas dans le film de Luchino Visconti.
Avec quelques surprises garanties.
« Plus tragique encore est le destin de Giula Cuto (cf la tante du Guépard) qui épouse le comte Trigona, futur maire de Palerme, a de lui deux enfants, lui est fidèle pendant treize ans et puis soudain… Il faut dire que l’amant, Vincenzo del Cugno, un voyou du grand monde, est d’une beauté capable d’émouvoir même une Sappho, ou de ranger un Valentino au rang des accessoires démodés. Lieutenant de cavalerie, en uniforme, gants blancs, képi aux armes de la famille régnante de Savoie, il regarde un peu de travers, l’air d’être ce qu’il est : un salaud. Joueur invétéré, d’une jalousie de tigre, il n’hésite pas à maltraiter, faire chanter, puiser à pleines mains dans l’argent de la dame, contrainte de vendre ses bijoux. Dans un hôtel de passe à Rome, lors d’un ultime rendez-vous, il lui porte, lorsqu’elle se retourne, un coup de couteau dans le dos, puis un dernier mortel, avant de se rater en tirant (sans conviction) une balle dans la tempe ».
Les derniers guépards – Patrick Reumaux – Editions Gallimard – Mars 2021
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire